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Crash de l’Airbus A320 de Germanwings: Le contexte social et politique de la catastrophe aérienne
Par Peter Schwarz
Mondialisation.ca, 30 mars 2015
wsws.org
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Le crash en France du vol 9525 de la Germanwings qui a provoqué la mort de cent cinquante personnes est, selon les enquêteurs, la conséquence des actions délibérées du copilote, Andreas Lubitz.

Après l’examen des données de l’enregistreur vocal, les experts du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) et le procureur de la République de Marseille, Brice Robin, ont conclu qu’après que le pilote a quitté le cockpit, le copilote de 27 ans a changé manuellement l’autopilote de l’Airbus A320 de façon à ce que l’avion descende de 38.000 pieds à 96 pieds, soit le paramétrage le plus bas possible. Lubitz a ensuite refusé au commandant de bord l’accès au cockpit, restant tranquillement aux commandes jusqu’au moment de l’impact de l’avion contre la paroi de la montagne.

Les enquêteurs disent qu’il ne peut s’agir d’un accident. Du bruit de la respiration calme du co-pilote qui est entendu sur la bande, ils tirent la conclusion qu’il était parfaitement conscient jusqu’au moment de l’impact.

A peine cette analyse extrêmement inquiétante a-t-elle été révélée que les médias, divers politiciens et la direction de la Lufthansa ont cherché à présenter la catastrophe comme un événement incompréhensible n’ayant aucune signification sociale plus profonde.

L’événement tragique ne serait qu’un cas isolé que les meilleures procédures de sécurité et de contrôles psychologiques n’auraient pu empêcher, a dit le patron de la Lufthansa, Carsten Spohr. Il a dit que même « dans ses pires cauchemars » il n’aurait pu « imaginer qu’une telle chose puisse un jour arriver. »

Sur le site Internet du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, le rédacteur Mathias Müller von Blumencron écrit: « Il faut trouver une explication à cet accident car ce n’est que comme cela que nous pourrons le surmonter. » Mais il n’a cherché d’explication que dans le psychisme individuel du coupable et a déclaré: « Au coeur de l’explication, il y a un homme, pour être plus précis, sa tête, son cerveau probablement malavisé… C’est le psychisme d’Andreas Lubitz qui a provoqué l’incompréhensible. Sur la base de l’état actuel des choses, on ne peut trouver la réponse que dans la personne du copilote. »

Vraiment ?

Il faut bien sûr établir les motivations, problèmes personnels ou psychologiques qui ont poussé Lubitz à commettre cet acte abominable. Mais le passé psychologique ne peut à lui seul expliquer un désastre de cette amplitude. Lubitz a agi dans un contexte social particulier. Pour comprendre ses actions, il faut comprendre non seulement sa maladie personnelle mais aussi la société dans laquelle il vivait.

Quelles sont les immenses pressions sociales capables de pousser un jeune homme, décrit par tous ceux qui le connaissaient comme discret, calme, agréable et facile à vivre, à tuer 149 personnes? Comment se fait-il que personne n’a détecté les signes avant-coureurs du désastre à venir?

Sonder ces questions nécessite inévitablement que l’on aille plus loin que le « cerveau probablement malavisé » du coupable et que l’on examine un contexte social caractérisé par l’augmentation du stress au travail, la précarité économique, l’anxiété de la population, les tensions sociales, la violence d’Etat et le militarisme.

Le parquet de Düsseldorf a perquisitionné les appartements de Lubitz à Montabaur et à Düsseldorf mais n’a trouvé ni lettre de confession, ni preuves de motivations politiques ou religieuses. Il a découvert un certificat de maladie, déchiré, qui recommandait un arrêt de maladie, y compris pour le jour du crash, et en a conclu que « le défunt avait dissimulé sa maladie à son employeur et à ses collègues de travail.»

Pourquoi Lubitz est-il allé travailler alors qu’il était en arrêt de maladie? Craignait-il de perdre son emploi qui était apparemment l’emploi de ses rêves ? Il s’était inscrit au club d’aéronautique local à l’âge de 15 ans et avait reçu une formation de pilote chez Lufthansa après avoir quitté le lycée à Brême. Mais il avait interrompu sa formation pendant six mois, à cause d’une dépression, à en croire des informations non confirmées.

Est-ce que Lubitz n’arrivait pas à faire face à l’intensification, toujours plus grande, de la pression au travail, notamment chez Lufthansa et sa filiale low cost, Eurowings? Ce problème est au centre d’un conflit social qui dure depuis un an entre la compagnie et les pilotes.

Le stress lié au travail et les troubles psychiques associés sont en très nette augmentation, non seulement dans l’industrie de l’aviation, mais dans la société toute entière. Selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé, 5 pour cent de la population allemande en âge de travailler, soit 3,1 millions de personnes souffrent d’une psychose dépressive exigeant un traitement. Le nombre de jours d’arrêt de travail dus à des maladies psychiques a fortement augmenté ces dernières années; selon les caisses d’assurance maladie il a été multiplié par 18. Rien qu’en 2012, il avait augmenté de 10 pour cent.

Lubitz devait sentir peser sur lui une énorme pression pour commettre un acte aussi monstrueux. Même des psychologues expérimentés n’ont pas souvenir d’un cas aussi extrême.

Bien qu’il existe un phénomène appelé suicide élargi, où une victime de suicide tue d’autres personnes que lui-même, les autres victimes font généralement partie de la famille ou sont des gens avec lesquels l’auteur du suicide entretient une relation personnelle. Comparer les actions de Lubitz à la folie meurtrière du massacre au lycée de Columbine aux Etats-Unis ou à celui du lycée Gutenberg d’Erfurt en Allemagne n’est que partiellement possible.

Lors de tels événements, les victimes sont généralement issues du milieu social de l’auteur du crime et sont ciblées parce que ce dernier s’est senti, d’une certaine manière, offensé. Mais dans la catastrophe de la Germanwings, 149 personnes que Lubitz ne connaissait probablement pas, ont été tuées tout à fait au hasard, juste parce qu’elles se trouvaient à bord de l’avion.

On s’attendrait à ce que même une personne dépressive souffrant d’une maladie psychique ait des inhibitions à commettre un tel massacre. Il faut considérer l’absence de telles inhibitions dans le contexte d’une dévaluation générale de la vie humaine.

Andreas Lubitz avait 11 ans lorsque la Bundeswehr est entrée en Yougoslavie lors de la première opération militaire de l’armée allemande à l’étranger après la Deuxième guerre mondiale. Par la suite, il a assisté à une succession de guerres où les troupes américaines et allemandes ont tué des milliers de personnes et les responsables se sont vantés publiquement du nombre de présumés terroristes « éliminés.»

En Méditerranée, des milliers de réfugiés se noient chaque année tandis que l’Union européenne érige de nouvelles barrières pour les empêcher d’atteindre le continent. Les coupes budgétaires d’austérité exigées par le gouvernement allemand plongent des millions de personnes dans la pauvreté en Grèce et y poussent un nombre inconnu d’autres au suicide.

On ne peut chercher l’explication à la catastrophe de Germanwings uniquement dans le psychisme d’Andreas Lubitz. Il faut au contraire placer sa maladie dans son vrai contexte, celui d’un ordre social malade et dysfonctionnel.

Dans le même temps, la vague de sympathie, de solidarité humaine et d’empressement à apporter de l’aide qui a été la réaction de la population vivant sur le lieu du crash, ainsi que de toute la France et des pays d’origine des victimes, a mis en lumière autre chose: l’aspiration profonde à une société véritablement humaine.

Les politiciens qui rendent hommage aux victimes ne satisferont pas cette aspiration. Ils retournent des cérémonies commémoratives pour poursuivre leur politique de coupes budgétaires dans les prestations sociales, de « réformes » du marché du travail, de pouvoirs toujours plus étendus accordés à la police à l’intérieur et de guerres toujours plus sanglantes à l’extérieur.

Peter Schwarz

Article original, WSWS, paru le 28 mars 2015

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