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Crime contre l’humanité: La guerre des États-Unis contre les sans-défense…
Par Sara Flounders
Mondialisation.ca, 27 décembre 2019
workers.org/ 3 décembre 2019
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La forme de guerre moderne la plus insidieuse et la plus répandue de Wall Street et du Pentagone, agissant en coordination, passe largement inaperçue et incontestée. Cette attaque calculée fait reculer des décennies de progrès dans les soins de santé, l’assainissement, le logement, les infrastructures essentielles et le développement industriel dans le monde entier.

Presque tous les pays en développement qui tentent de mettre en place des programmes sociaux pour leurs populations sont ciblés.

L’impérialisme américain et ses partenaires juniors ont affiné l’étranglement économique en une arme dévastatrice. Les sanctions entre les mains des puissances militaires et économiques dominantes font désormais plus de morts que les bombes ou les fusils. Cette arme freine la croissance de millions de jeunes et entraîne des migrations désespérées, délocalisant des dizaines de millions de gens.

Un crime contre l’humanité

Les sanctions et les blocus économiques contre le Venezuela, Cuba, l’Iran, la Russie et la Chine sont bien connus. Mais les effets dévastateurs des sanctions américaines sur la Palestine occupée – ou sur des pays déjà appauvris tels que le Mali, le Zimbabwe, la République centrafricaine, la Guinée-Bissau, le Kirghizistan, les Fidji, le Nicaragua et le Laos – ne sont même pas sur l’écran radar des groupes de défense des droits de l’homme.

La plupart des sanctions sont intentionnellement cachées ; elles ne génèrent même pas une ligne dans les actualités. Certaines sanctions sont rapidement adoptées après un nouvel article sur une présumée atrocité. Les civils qui souffriront n’ont rien à voir avec le crime que les médias de masse utilisent comme excuse. Ce qui n’est jamais mentionné, ce sont les concessions économiques ou politiques que le gouvernement ou les sociétés américaines recherchent avec ces sanctions.

Les sanctions ne peuvent être posées comme une alternative à la guerre. Elles sont, en fait, la forme de guerre la plus brutale, ciblant délibérément les civils les plus faibles – les jeunes, les personnes âgées, les malades et les handicapés. À une époque de l’histoire de l’humanité où les problèmes de la faim et de la maladie peuvent être résolus scientifiquement, priver des centaines de millions de personnes de leurs besoins essentiels est un crime contre l’humanité.

Le droit et les conventions internationales, notamment les Conventions de Genève et de Nuremberg, la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, interdisent explicitement le ciblage de civils sans défense, en particulier en temps de guerre.

Les sanctions condamnent

La société industrielle moderne est construite sur un tissu fragile de technologies essentielles. Si les pompes et les canalisations d’égout, les ascenseurs et les générateurs ne peuvent pas fonctionner en raison du manque de pièces de rechange simples, des villes entières peuvent être submergées par les flots. Si les agriculteurs se voient refuser les semences, les engrais, les machines et les installations de stockage, et si la nourriture, les médicaments et l’équipement essentiel sont délibérément refusés, tout un pays est menacé.

L’ambassadeur du Venezuela aux Nations Unies, Samuel Moncada, a prononcé un discours lors du XVIIIe Sommet du Mouvement des pays non alignés qui s’est tenu à Bakou, Azerbaïdjan, le 26 octobre. S’adressant aux 120 pays représentés, il a dénoncé l’imposition de mesures arbitraires, appelées «sanctions» par les États-Unis, comme un « terrorisme économique qui touche un tiers de l’humanité avec plus de 8 000 mesures touchant 39 pays ».

Ce terrorisme, a-t-il dit, est « une menace pour l’ensemble du système des relations internationales et constitue la plus grande violation des droits de l’homme dans le monde ».

Le Groupe des 77 et la Chine, un organisme international basé à l’ONU et représentant 134 pays en développement, ont appelé « la communauté internationale à condamner et à rejeter l’imposition de telles mesures comme moyen de coercition politique et économique contre les pays en développement. » 

Le Groupe a expliqué : « La politique criminelle et anti-humaine consistant à cibler les populations sans défense, qui constitue une violation flagrante de la Charte des Nations Unies et du droit international, est désormais devenue la nouvelle arme de choix pour ces États puissants car ils sont confrontés à une forte opposition de la part de la majorité de leur propre population aux guerres d’occupation sans fin dans lesquelles ils sont déjà impliqués ».

Le pouvoir des banques

Le mécanisme et la capacité d’un pays, ou d’un vote, à détruire un pays à l’autre bout du monde ne sont pas bien compris.

Le capital international utilise le système du dollar. Toutes les transactions internationales passent par des banques américaines. Ces banques sont en mesure de bloquer les transferts d’argent pour la plus petite transaction et de confisquer des milliards de dollars détenus par les gouvernements et les individus ciblés. Elles sont également en mesure d’exiger que toutes les autres banques acceptent les restrictions soudaines imposées par Washington, sauf à s’exposer elles-mêmes à des sanctions.

Cela ressemble à la façon dont la marine américaine peut revendiquer le pouvoir d’intercepter des navires et d’interrompre le commerce n’importe où, ou dont l’armée américaine peut cibler des personnes avec des drones et envahir des pays sans même formuler une déclaration de guerre.

Parfois, un média, un groupe de « défense des droits de l’homme » financé par les États-Unis ou une institution financière porte des accusations, souvent sans fondement, de violations des droits de l’homme, de répression politique, de trafic de drogue, de financement du terrorisme, de blanchiment d’argent, d’infractions de cybersécurité, de corruption ou non-respect d’une institution financière internationale. Ces accusations deviennent le prétexte à une demande de sanctions à titre punitif.

Les sanctions peuvent être imposées par une résolution du Congrès américain ou une déclaration présidentielle ou être autorisées par une agence gouvernementale américaine, telle que les départements du Trésor, du Commerce, de l’État ou de la Défense. Les États-Unis peuvent faire pression pour obtenir le soutien de l’Union européenne, du Conseil de sécurité des Nations Unies ou de l’une des innombrables organisations de sécurité régionales établies aux États-Unis, comme l’Organisation des États américains.

Une personne morale américaine qui souhaite un accord commercial plus favorable est en mesure d’influencer de nombreuses agences ou politiciens pour agir en son nom. Les agences secrètes des États profonds, les sous-traitants militaires, les organisations non gouvernementales financées par le National Endowment for Democracy et de nombreuses fondations financées par des entreprises manœuvrent pour créer des bouleversements économiques et faire pression sur les pays riches en ressources.

Même des sanctions qui semblent légères et limitées peuvent avoir un impact dévastateur. Les autorités américaines affirmeront que certaines sanctions ne sont que des sanctions à vocation militaire, nécessaires pour bloquer les ventes d’armes. Mais dans la catégorie des «doubles utilisations» possibles, les interdictions incluent le chlore nécessaire pour purifier l’eau, les pesticides, les engrais, l’équipement médical, les simples batteries et les pièces détachées de toute nature.

Un autre subterfuge est celui des sanctions qui ne sont censées s’appliquer qu’aux fonctionnaires du gouvernement ou à des agences spécifiques. Mais en fait, toutes les transactions qu’ils effectuent peuvent être bloquées pendant que des enquêtes sans fin sont menées. Des responsables bancaires anonymes peuvent geler toutes les transactions en cours et examiner tous les comptes détenus par un pays. Toute forme de sanction, même contre des individus, augmente le coût et le niveau de risque du crédit et des prêts.

Il y a plus de 6 300 noms sur la liste de personnes spécialement désignées et bloquées par des sanctions venant de l‘Office of Foreign Assets Control (OFAC) du département du Trésor américain.

L’OFAC décrit son rôle de la manière suivante : « L’OFAC administre un certain nombre de programmes de sanctions différents. Les sanctions peuvent être globales ou sélectives, en utilisant le blocage des avoirs et des restrictions commerciales pour atteindre les objectifs de politique étrangère et de sécurité nationale ».

Il existe également une liste du Groupe d’action financière et une liste du Règlement sur le trafic international d’armes.

L’arme des sanctions est devenue si étendue qu’il existe désormais tout un ensemble de lois pour guider les sociétés et les banques américaines dans les actes de ventes, de crédit et de prêts. Ces lois sont destinées à être opaques, troubles et ouvertes à l’interprétation, à la corruption et au subterfuge. Il ne semble pas y avoir de site en ligne unique qui répertorie tous les différents pays et individus sous sanctions américaines.

Une fois qu’un pays est sanctionné, il doit alors «négocier» avec diverses agences américaines qui exigent des mesures d’austérité, des élections qui rencontrent l’approbation de l’Occident, des coupes dans les programmes sociaux et d’autres concessions politiques et économiques pour que les sanctions soient levées.

Les sanctions sont un élément essentiel des opérations américaines de changement de régime, conçues de la manière la plus cynique pour maximiser le coût humain. L’hyperinflation soudaine, les perturbations économiques et les pénuries inattendues sont ensuite imputées de manière hypocrite au gouvernement en place dans le pays sanctionné. Les fonctionnaires sont qualifiés d’incompétents ou de corrompus.

Les agences surveillent attentivement la crise interne qu’elles créent afin de déterminer le moment optimal pour imposer un changement de régime ou fabriquer une révolution de couleur. Le Département d’État et les agences secrètes américaines financent de nombreuses ONG et organisations sociales qui incitent à la dissidence. Ces tactiques ont été utilisées au Venezuela, au Nicaragua, en Iran, en Syrie, en Libye, au Zimbabwe, au Soudan et dans de nombreux autres pays.

Une arme de l’impérialisme en déclin

Il est révolu le temps des promesses de type Plan Marshall de reconstruction, de commerce, de prêts et de développement des infrastructures. Elles ne sont même plus offertes en cette période de décadence capitaliste. L’arme des sanctions est désormais un instrument tellement répandu qu’il ne se passe pratiquement pas une semaine sans nouvelles sanctions, même contre d’anciens alliés.

En octobre, les États-Unis ont menacé la Turquie de sévères sanctions, celle-ci est membre de l’alliance militaire de l’OTAN, depuis 70 ans sous commandement américain.

Le 27 novembre, Trump a soudainement annoncé, par décret présidentiel, des sanctions plus sévères contre le Nicaragua, le qualifiant de «menace pour la sécurité nationale». Il a également déclaré que le Mexique était une menace «terroriste» et a refusé d’exclure toute intervention militaire contre lui. Les deux pays ont des gouvernements démocratiquement élus.

D’autres sanctions naviguent au Congrès américain sans vote par appel nominal,  juste une acclamation et un vote à l’unanimité, telles que les sanctions contre Hong Kong à l’appui des manifestations financées par les États-Unis.

Pourquoi Wall Street ne peut pas être sanctionné

Y a-t-il une possibilité que les États-Unis soient sanctionnés pour leurs guerres sans fin en vertu des mêmes dispositions par lesquelles ils ont affirmé leur droit de faire des ravages dans d’autres pays ?

Le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a demandé en novembre 2017 à celle-ci, basée à La Haye, d’ouvrir des enquêtes officielles sur les crimes de guerre commis par les talibans, le réseau Haqqani, les forces afghanes, l’armée américaine et la CIA.

L’idée même que les États-Unis soient accusés de crimes de guerre a conduit le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, John Bolton, à menacer les juges, et autres responsables de la CPI, d’arrestation et de sanction s’ils envisageaient même une accusation contre les forces américaines en Afghanistan.

« Si le tribunal vient jusqu’à nous, Israël ou d’autres alliés américains, nous ne resterons pas les bras croisés », a déclaré Bolton. Il a noté que les États-Unis «sont prêts à imposer des sanctions financières et des accusations criminelles aux fonctionnaires de la cour s’ils poursuivent un membre du personnel américain. … Nous interdirons à ses juges et procureurs d’entrer aux États-Unis. Nous sanctionnerons leurs fonds dans le système financier américain et nous les poursuivrons dans le système pénal américain. (…) Nous ferons de même pour toute entreprise ou État qui prête son concours à une enquête de la CPI sur des Américains ». (The Guardian, 10 septembre 2018)

Bolton a également cité une décision récente des dirigeants palestiniens de poursuivre des responsables israéliens devant la CPI pour violations des droits de l’homme. Les juges de la CPI ont compris le message. Ils ont statué que malgré « une base raisonnable » pour considérer les crimes de guerre commis en Afghanistan, il y avait peu de chances que les poursuites soient couronnées de succès. Une enquête «ne servirait pas les intérêts de la justice».

Le procureur en chef Bensouda, pour avoir proposé une enquête impartiale, a vu son visa américain révoqué par le secrétaire d’État Mike Pompeo.

Les sanctions sont une arme dans l’ordre mondial capitaliste utilisée par les pays les plus puissants contre ceux qui sont plus faibles et en développement. Il y a cent ans, en 1919, le président Woodrow Wilson préconisait les sanctions comme une arme silencieuse, mais mortelle, qui exerce une pression qu’aucune nation dans le monde moderne ne peut supporter.

Les sanctions montrent comment les lois capitalistes protègent le droit de huit multimilliardaires de posséder plus que la population de la moitié du monde.

Sanctions des Nations Unies exigées par Washington

Les États-Unis, avec le plus grand arsenal nucléaire de la planète et 800 bases militaires, affirment – alors qu’ils sont engagés dans des guerres en Irak, en Afghanistan, en Syrie et en Libye – que la République populaire démocratique de Corée et la République islamique d’Iran sont les plus grandes menaces pour la paix du monde.

Au Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis ont réussi à obtenir de nouvelles sanctions sévères contre l’Iran et la RPDC en brandissant la menace, à la veille de «manœuvres de jeux de guerre», que les États-Unis intensifieraient les hostilités en une attaque militaire ouverte.

Cette menace s’est avérée suffisante pour amener les autres membres du Conseil de sécurité à faire la queue et à voter pour des sanctions ou à s’abstenir.

Ces tactiques fortes ont réussi encore et encore. Au cours de la guerre de Corée, alors que l’armée américaine bombardait la Corée à saturation, l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’ONU Warren Austin a brandi une mitraillette au Conseil de sécurité pour exiger une plus grande autorité de la part de cet organisme dans la guerre.

Tout au long des années 1990, le gouvernement américain a utilisé les sanctions contre l’Irak comme une horrible expérience sociale pour calculer comment réduire considérablement l’apport calorique, détruire la production agricole et ruiner la purification de l’eau. L’impact de ces sanctions a été largement exploité dans des menaces contre d’autres pays.

La secrétaire d’État de Bill Clinton, Madeleine Albright, interrogée sur le demi-million d’enfants qui sont morts des suites des sanctions américaines contre l’Irak, a répondu : « Nous pensons que le prix en valait la peine. »

Les sanctions imposées par les États-Unis contre l’Iran sont une saga en plusieurs tomes, s’étendant sur 40 ans depuis la révolution iranienne. Le blocus et les sanctions contre Cuba se poursuivent depuis 60 ans.

La campagne meurtrière des sanctions

C’est un énorme défi politique de briser le silence des médias et de dénoncer ce crime. Nous devons donner un visage humain à la souffrance.

On ne peut pas laisser les pays ciblés lutter seuls par eux-mêmes – ils faut être pleinement solidaire de leurs efforts. Le grand nombre des pays qui sont affamés par le biais de sanctions imposées par les États-Unis doit être présenté à la lumière du jour. Et une étape pour contester l’injustice des relations de propriété capitalistes est d’attaquer le rôle criminel des banques.

L’effort de rallier l’opinion mondiale contre les sanctions en tant que crime de guerre commence par un appel aux Journées internationales d’action contre les sanctions et la guerre économique les 13 et 15 mars 2020. Ses slogans sont « Les sanctions tuent ! Les sanctions sont la guerre ! Mettez fin aux sanctions maintenant ! »

Ces manifestations internationales coordonnées sont une première étape cruciale. Recherche de témoignages ; résolutions venant des syndicats, des groupes d’étudiants, des travailleurs culturels et des organisations communautaires ; campagnes sur les réseaux sociaux ; apport de fournitures médicales et de secours internationaux aux pays sanctionnés, tout peut jouer un rôle. Tout type de campagne politique pour dénoncer le crime international des sanctions est une contribution cruciale.

Sara Flounders

Article original en anglais :

Crimes against Humanity: US Sanctions Harm One Third of World’s People, Workers World, le 3 décembre 2019.

Traduit par J.J. pour Le Saker francophone

 

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