Crise d’octobre au Québec (1970)- Des excuses s’imposent

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Quand le premier ministre Justin Trudeau, aux prises avec des barricades partout Canada contre le pipeline Coastal Gaslink, a déclaré : « Il n’est pas question d’envoyer l’Armée contre des citoyens canadiens », les cloches auraient dû sonner au Québec et au Canada. Car que son père n’avait pas de telles scrupules 50 ans plus tôt.

Peu de gens se rappellent que beaucoup de ses contemporains, d’éminents Canadiens anglais, en avaient, et ils l’ont critiqué vivement pour sa décision d’imposer les mesures de guerre.

Le chef historique du NPD, Tommy Douglas, père de l’assurance maladie au Canada, a mené le bal. Le jour même, le 16 octobre, quand 12 500 troupes canadiennes occupaient le Québec – dont 7 500 à Montréal, des centaines de personnes se faisaient arrêter chez eux au milieu de la nuit et la police effectuait des milliers de perquisitions, Tommy Douglas a déclaré à la Chambre des communes : 

« En ce moment même, la constitution canadienne, la Déclaration des droits et les diverses constitutions provinciales sont suspendues. Le gouvernement a aujourd’hui le pouvoir, par simple décret du conseil, de faire tout ce qu’il veut : interner des citoyens, expulser des particuliers, arrêter n’importe qui ou déclarer subversive ou illégale n’importe quelle organisation. Il s’agit là d’énormes pouvoirs. »(1)

Il a aussi dénoncé l’absence de « la moindre preuve » fourni par le gouvernement à l’appui de sa thèse « d’insurrection appréhendée ».

Tommy Douglas était un opposant de longue date de la Loi des mesures de guerre. Il se rappelait comment, dans les années 1940, il a été chassé de la scène lorsqu’il s’est opposé aux mesures de guerre utilisées contre Canadiens de descendance japonaise. Il a dénoncé les règlements adoptés sous cette loi qui ont permis au gouvernement du Canada d’interner tous les Canadiens d’origine japonaise, dont la grande majorité nés au Canada, et de confisquer leur propriété. Le prétexte : des Japonais allaient faire exploser des trains et bien d’autre choses. Mackenzie King a reconnu par la suite qu’il n’en était rien. (Ça rappelle la fameuse « insurrection appréhendée ».)

En 1988, le gouvernement du Canada a reconnu ce crime et s’est excusé. 

De membres du conseil des ministres de Trudeau ont aussi été très critiques. Don Jamieson, ministre des Transports a dit dans ses mémoires que « nous n’avions pas de motifs sérieux » pour penser qu’il y avait « insurrection appréhendée ». Il était de l’avis que les ministres québécois du cabinet de Trudeau (Jean Marchand, Gérard Pelletier, Bryce MacKasey) ainsi que son secrétaire principal, Marc Lalonde, ont utilisé cette loi pour combattre leurs adversaires politiques au Québec, que ceux-ci soient fédéralistes comme Claude Ryan ou souverainiste comme René Lévesque. 

Eric Kierans, ministre des Communications, consacre des pages entières dans ses mémoires à cette « injustice massive ». En décrivant la réunion du conseil des ministres du 15 octobre, il rappelle que John Robarts, premier ministre de l’Ontario, appelait à « la guerre totale » contre les terroristes, que les éditoriaux des journaux canadiens réclamaient en hurlant une action drastique. Il ajoute que les déclarations de certains collègues ministres (Jean Marchand, Gérard Pelletier, John Turner) « enflammaient et endossaient » cette hystérie. « Nous avons perdu le gros bon sens; c’était un acte de foi aveugle. »

Kierans conclut :

« C’était Tommy Douglas du NPD qui s’est levé dans la Chambre, jour après jour, critiquant sans cesse le gouvernement pour avoir suspendu nos droits civiques. Il a preuve d’un grand courage politique. »

Certains disent que la Loi des mesures de guerre était nécessaire pour arrêter les membres du FLQ. Mais le grand spécialiste des questions de sécurité au Canada, le professeur Reg Whitaker, sur la base de recherches approfondies, écrit dès 1993:

« La GRC n’a jamais réclamé la Loi des mesures de guerre, n’a pas été consultée quant à son utilité, et s’y serait opposée si on avait demandé l’avis de ses dirigeants. »

L’autre raison invoquée était l’histoire d’un « gouvernement provisoire » sous la direction de René Lévesque, de Claude Ryan et de Louis Laberge de la FTQ. Cette sornette a paru la première fois dans The Toronto Star. Or, Peter C. Newman, rédacteur en chef du Toronto Star à l’époque, l’a dégonflé avec aplomb dans ses mémoires. « Ce scénario était un mensonge méticuleusement concocté » par le premier ministre Trudeau et son secrétaire principal Marc Lalonde. « Tous les deux, dit-il, m’ont menti sur les raisons pour lesquelles les mesures de guerre ont été imposées. »

Le chef du NPD Tommy Douglas a eu raison de dénoncer les mesures de guerre en 1940 utilisée contre les Canadiens de descendance japonaise. Et il a eu raison on 1970. 

L’heure est venue pour le gouvernement du Canada de présenter des excuses. 

Robin Philpot

Photo en vedette : Capture d’écran. Photo par Benoit Brouillette. Flickr.com

Note:

1 Les citations viennent principalement de Trudeau et ses mesures de guerre, Vus du Canada anglais (Septentrion, 2011 – paru dans une nouvelle édition anglaise Pierre Trudeau’s Darkest Hour, War Mesures 1970 – Baraka Books 2020).



Articles Par : Robin Philpot

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