Déclaration de guerre aux étudiants

Des amendes pouvant aller jusqu’à 125 000$ par jour pour les associations étudiantes

Photo : Agence Reuters Mathieu Bélanger

Le premier ministre du Québec Jean Charest a refusé de rencontrer les étudiants.

Le texte du projet de loi 78

Le projet de loi 78 visant à mettre fin au conflit étudiant a soulevé l’ire des associations et de l’opposition, hier. Loi digne d’un « État policier », « déclaration de guerre au mouvement étudiant », les étudiants et l’opposition ont rivalisé de qualificatifs pour conspuer la solution législative présentée par le gouvernement Charest.

Alors que la ministre de l’Éducation Michelle Courchesne venait de faire volte face en annonçant être disposée à rediscuter avec certaines associations étudiantes, les détails du projet de loi ont eu pour effet de braquer ces dernières. Le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), Léo Bureau-Blouin, a soutenu qu’il ne pouvait négocier avec une telle menace aussi grande placée au-dessus de sa tête. « [Il s’agit d’un projet de loi] qui vise à tuer à terme les associations étudiantes, mais aussi à taire l’expression d’une population. […] Cette loi est, et de loin, pire pour la liberté d’expression que l’augmentation de 75 % des droits de scolarité peut l’être pour l’accessibilité aux études », a-t-il dénoncé. « On vient dire aux jeunes que tout ce qu’ils ont fait, tout ce qu’ils ont créé comme mouvement social depuis 14 semaines sera désormais criminel », s’est indignée Martine Desjardins, de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ). « C’est une déclaration de guerre au mouvement étudiant .»

Aux yeux de Gabriel Nadeau-Dubois, coporte-parole de la CLASSE, avec cette loi, le Québec est en train de « sombrer dans une dérive autoritaire ». Il a dit « avoir honte d’être gouverné par des gens qui osent déposer des projets de loi aussi ignobles ». Il a soutenu qu’il s’agissait d’un « projet de loi qui remet en question des libertés fondamentales », qui « remet en question des droits constitutionnels reconnus ». Selon le représentant étudiant, le gouvernement de Jean Charest est « en train de se servir d’un état d’urgence pour appliquer une loi spéciale à court terme en sachant pertinemment que les procédures judiciaires sont trop longues pour nous permettre de la contester. C’est un abus de pouvoir. » La CLASSE respectera-t-elle la loi spéciale ? « On verra. »

Pour Pauline Marois, le projet de loi 78, en limitant le droit à la manifestation, est le signe d’un « gouvernement qui dérape ». Elle a qualifié de geste sans précédent le fait que dans la loi, le gouvernement autorise le ministre d’interpréter la loi et de l’adapter.

« On n’a pas osé aller jusque-là [à comparer le projet de loi à la loi sur les mesures de guerre]. Mais, c’est sûr quand on regarde certains des éléments de la loi, à partir du moment où on attaque de front le droit d’association, le droit de manifester, la liberté d’expression, je crois qu’on s’en approche. »

Avant d’entamer les débats de la nuit, Pauline Marois a demandé au premier ministre de retirer son projet de loi. À ses yeux, de toute façon, il « n’a plus l’autorité morale ni la légitimité pour gouverner ».

Par contraste, François Legault de la Coalition avenir Québec a dit appuyer l’essentiel du projet de loi, bien qu’une loi spéciale, aux yeux de sa formation, soit un constat d’échec dans une démocratie comme le Québec. Il a dit s’inquiéter que la réorganisation des calendriers scolaires conduisent à la distribution de « diplôme au rabais ».

Le dépôt du projet de loi a été perturbé peu après 21 heures par une alerte à la bombe qui a contraint les agents de sécurité au parlement à vider les tribunes. Étrangement, les élus ont pu rester à l’intérieur avec leur personnel, mais les travaux ont été suspendus. Le parlement a toutefois été rapidement rouvert aux journalistes et aux visiteurs.

Par ailleurs, « une loi spéciale, ça ne signifie pas la fin des haricots », avait insisté Michel Courchesne quelques minutes avant d’entrer en Chambre. Même après la loi spéciale, « il pourra y avoir une entente », a-t-elle affirmé plus tard. La ministre a eu une conversation téléphonique avec le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Léo Bureau-Blouin, plus tôt hier. Elle a dit avoir discuté d’une version modifiée de l’entente du 5 mai.

La loi, qui serait d’application temporaire (jusqu’au 1er juillet 2013), aurait des dents. Il permet une réorganisation du calendrier scolaire. Il suspend les sessions des établissements touchés par un « boycott » (ou une grève, selon le vocable utilisé par les associations étudiantes). Il contraint notamment les professeurs des établissements visés à se présenter à 7 h à partir du 17 août à leur lieu de travail et à enseigner. Le projet de loi indique que « nul ne peut, par un acte ou une omission, entraver le droit d’un étudiant de recevoir l’enseignement dispensé par l’établissement d’enseignement qu’il fréquente ».

La loi baliserait de manière serrée le droit de manifestation, exigeant que les organisateurs d’une manifestation révèlent le nombre de manifestants impliqués et leur itinéraire au moins huit heures avant le début de la manifestation. La loi prévoira qu’une association étudiante d’un établissement et une fédération d’associations sont « solidairement responsables du préjudice causé à un tiers ». La loi comportera une disposition pour priver les associations étudiantes de leurs cotisations.

Les amendes prévues à la loi se veulent sévères. Entre 7000 et 35 000 $ s’il s’agit d’un dirigeant, employé ou représentant d’association étudiante. Entre 25 000 et 125 000$ pour une association étudiante. En cas de récidive, les montants seraient doublés.

Dépôt retardé

On s’attendait à ce que le leader parlementaire Jean-Marc Fournier présente la motion en matinée hier tout de suite après la période de questions à l’Assemblée nationale, ce qui aurait dispensé les élus libéraux des salves des partis d’opposition lors d’une autre période de questions, et ce qui aurait accéléré l’adoption du projet. Mais selon nos informations, le projet de loi, dont une partie touche au droit d’association, un droit garanti par les chartes des droits, n’a pas été prêt à temps, les juristes de l’État cherchant à éviter toute possibilité de contestation victorieuse devant les tribunaux.

Lors de la période de questions en matinée comme en soirée, la chef de l’opposition officielle, Pauline Marois, s’est montrée particulièrement virulente, accusant Jean Charest d’être « le premier responsable du gâchis que nous connaissons à l’heure actuelle ».

« Nous en sommes à débattre d’une loi spéciale contre les enfants, contre notre jeunesse, tous ça à cause de l’entêtement du premier ministre », a-t-elle clamé. La chef péquiste a déploré la suspension de la session des étudiants, les blessés dans les manifestations et les arrestations, évoquant le sort « des jeunes dont la vie va être bouleversée, des familles déchirées, tout cela parce que le premier ministre s’est enfermé dans une logique d’assiégé ».

En se tournant vers les leaders étudiants Martine Desjardins, de la Fédération étudiante universitaire du Québec, et Léo Bureau-Blouin, de la Fédération étudiante collégiale du Québec, qui étaient présents dans les tribunes de l’Assemblée nationale, Pauline Marois a sommé le premier ministre, s’il « a vraiment à coeur la paix sociale », de les rencontrer, hier matin, pour la première fois depuis le début du conflit afin d’en arriver à solution négociée.

Jean Charest a refusé de rencontrer les étudiants. La chef péquiste « devrait aujourd’hui faire un appel au calme et encourager les étudiants à réintégrer leurs cours », a répliqué le premier ministre. « Nous allons continuer d’agir avec des politiques qui sont des politiques courageuses pour l’avenir du Québec fondées sur le principe de la liberté et du respect de la loi. »

Puis, ce fut au tour de la députée de Taillon et porte-parole de l’opposition officielle en matière d’enseignement supérieur, Marie Malavoy, d’interpeller la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Michelle Courchesne, pour exiger des négociations entre le gouvernement et les étudiants. Autre fin de non-recevoir.



Articles Par : Antoine Robitaille

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