Démembrer la Bolivie ouvrirait une boîte de Pandore en Amérique latine

L’investiture du président intérimaire Eduardo Rodriguez a dilué de nombreuses protestations, quoique les plus radicaux envisagent encore des assemblées populaires, des marches et des blocages pour la nationalisation du gaz. Rodriguez convoquera bientôt des élections lors desquelles Samuel Medina, leader de l’Unité nationale, et l’ex-président Jorge Quiroga tenteront d’obtenir un mandat qui permette au centre droit de « ramener l’ordre », tandis que le dirigeant indien et député Evo Morales visera à devenir le Lula bolivien.

Ces dernières semaines, l’autorité de l’Etat central a paru se réduire, tandis que les pouvoirs locaux parallèles semblaient se renforcer, quoique pas nécessairement durablement. El Alto et d’autres zones de la Bolivie étaient contrôlés par des syndicats, des comités de quartier, des conseils et assemblées populaires. Dans le Sud et l’Est agissent quelques comités civiques qui ne veulent pas « effrayer les investisseurs étrangers » et qui proposent des autonomies régionales.

Alors que dans l’orient bolivien le département de Santa Cruz veut être le centre d’une « demi-lune » qui se démarque de l’Altiplano pour promouvoir un capitalisme libéralisé, ses zones pétrolières et celles de Tarija parlent de se détacher. Ceux qui veulent que Santa Cruz se convertisse en « Etat libre associé » souhaitent attirer dans cette mouvance les départements de Pando, Beni et peut-être aussi de Tarija. Néanmoins, dans le Chaco -un Koweit bolivien qui comprend les zones les plus riches des départements de Santa Cruz, Chuquisaca et Tarija- beaucoup s’y refusent et voudraient s’ériger en nouveau département.

Alimenté par certains secteurs de la Bolivie orientale centrés sur Santa Cruz, un séparatisme « camba » pourrait être vu d’un bon oeil par des capitaux chiliens ou liés à d’autres intérêts étrangers. A Santiago du Chili, on pourrait considérer avec sympathie un Santa Cruz indépendant, allié et partenaire commercial. Cela donnerait moins de poids à la revendication bolivienne d’un accès à la mer, quoique plus tard le Chili pourrait s’en ressentir tant sur le plan intérieur qu’international.

Une fracture de l’orient bolivien encouragerait dans son occident l’irrédentisme indien aymara, qui affecterait l’intégrité du Pérou. Les Aymaras soutiennent que leur patrie est divisée entre deux ou trois pays, comme celle des Kurdes et des Basques. La croissance de mouvements pour l’autodétermination nationale aymara, quechua et guarani aurait un effet de contagion sur le continent, de l’Araucanie et la Patagonie jusqu’au Mexique.

Le séparatisme de régions riches aurait aussi des conséquences au-delà des frontières boliviennes. En Equateur, par exemple, l’idée que des territoires plus enclins à la libre entreprise devraient se séparer des zones montagneuses indiennes conflictuelles pourrait induire à un nationalisme côtier.

République parmi les plus centralisées d’Amérique du Sud, la Bolivie pourrait adopter des modèles de régionalisme ou d’autonomie similaires à ceux de ses voisins ou de l’Espagne. Elle pourrait aussi se baser sur l’exemple du Canada et du Groenland, qui ont octroyé l’autogestion territoriale à des peuples autochtones. Tant la persistance du centralisme que l’activation de séparatismes pourraient conduire les Boliviens à la guerre civile.

Au chapitre des implications internationales de la crise bolivienne, les Etats-Unis ont insinué que le président vénézuélien Hugo Chavez financerait le leader aymara Evo Morales, chef du Mouvement vers le socialisme (MAS), et d’autres mouvements de gauche afin qu’il prennent le pouvoir dans la région. Caracas sent que son influence s’étend sur le continent, frustrant notamment la tentative de George W. Bush, lors du dernier sommet de l’Organisation des Etats américains (OEA), de créer un organisme qui superviserait la démocratie dans la région, ce qui, aux yeux de nombre de pays latino-américains, risquait d’octroyer à Washington le pouvoir de les contrôler.



Articles Par : Isaac Bigio

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