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Désaccords planétaires
Par Colette Thomas
Mondialisation.ca, 28 novembre 2005
RFI 28 novembre 2005
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/d-saccords-plan-taires/1345

C’est devenu une habitude : chaque année, les pays signataires de la Convention climat et du Protocole de Kyoto se retrouvent, à l’automne, pour essayer de faire avancer la lutte contre le réchauffement de la planète. Les deux instruments juridiques ont maintenant pris de la bouteille. Globalement, leur mise en oeuvre en reste aux bonnes intentions. A Montréal, 180 pays se réunissent à partir de ce lundi.

La Convention sur les changements climatiques a été signée en 1992 et le Protocole de Kyoto, chargé de mettre en œuvre ce traité, en 1997. Les années ont passé, ces deux accords internationaux se sont installés dans la diplomatie internationale. La lutte contre le réchauffement de la planète fut, par exemple, évoquée en juillet dernier, pendant le G8 de Gleaneagles, en Ecosse. Tony Blair avait dû s’échapper pour cause d’attentats. Au cours du sommet, surprise, George Bush se montrait un peu plus ouvert à la lutte contre le réchauffement de la planète.

Ce léger frémissement de la position américaine a nourri les supputations sur un hypothétique retour des Américains dans le Protocole. Depuis, rien de nouveau. Washington compte toujours sur de futures innovations technologiques pour diminuer les quantités d’énergie fossile utilisées et donc diminuer les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les mauvaises langues disent que Washington réintégrera la négociation du Protocole lorsque les chercheurs américains auront trouvé la recette miracle pour diminuer les émissions.

Chacun campe sur ses positions

L’Union européenne, de son côté, se rend compte que malgré ses bonnes intentions, elle ne parviendra pas à tenir les engagements pris, dans le cadre du Protocole de Kyoto, de réduire ses émissions.

Enfin les pays émergents comme la Chine et l’Inde, en pleine expansion économique, refusent de prendre leur part du fardeau. Leur argument : ce ne sont pas eux qui ont modifié les climats en faisant la révolution industrielle. Leur absence d’engagements chiffrés de réduction de leurs émissions a été l’un des arguments de George Bush pour ne pas signer le Protocole. Restent les pays les moins avancés, ils attendent encore, dans un contexte de guerre économique, les transferts de technologie qui leur permettraient de faire des affaires en sautant quelques étapes de développement, habituellement sources de pollutions.

Depuis que les Américains ont dit non au Protocole de Kyoto, en 2001, les conférences annuelles réunissant les pays membres de la Convention climat, tentaient tout de même d’aller de l’avant. Même si le processus international n’englobait pas la plus grosse partie de la pollution atmosphérique mondiale en raison du retrait américain, il fallait mettre en place les dispositifs prévus par le Protocole, pour faire baisser les quantités de gaz à effet de serre rejetées.

Un système pour la grande industrie

Le premier janvier dernier, par exemple, une directive européenne est entrée en vigueur. Elle encadre, surveille, les rejets de l’industrie lourde européenne en inventant un nouveau marché. Des quotas d’émissions de gaz à effet de serre ont été attribués aux entreprises du secteur, des quotas échangeables entre elles. Mais le système a du mal à convaincre. Ce sont les Etats qui ont donné les quotas d’émissions à ces entreprises. D’une certaine manière, plus on était un gros pollueur au moment de la création des quotas, plus on avait droit à des permis d’émission, de faire du business avec la pollution, sur ce nouveau marché.

L’invention de ce nouveau commerce avait pourtant le mérite de donner une valeur économique aux gaz polluants, une approche qui a fait ses preuves dans le domaine des déchets par exemple, avec la récupération des journaux ou le recyclage du verre et des plastiques.

Ce mécanisme des permis a été fortement critiqué par les écologistes, trouvant immoral de faire commerce de la pollution au lieu de chercher à la faire disparaître. Ce système, impliquant des Etats et des entreprises sur un nouveau marché, n’a, en tout cas, pas encore fait ses preuves. Trop nouveau peut-être, mais aussi trop compliqué pour bon nombres d’entreprises. N’ayant pas la taille d’une multinationale, en général, elles n’ont pas LE service spécialisé qui pourrait étudier ces questions très techniques, très sophistiquées. De manière à trouver l’intérêt d’entrer sur ce nouveau marché.

Malgré une lutte balbutiante contre l’effet de serre, une échéance se profile à l’horizon : la fin de la première phase du Protocole de Kyoto. La discussion internationale devrait maintenant porter sur ce qui se passera après 2010. Et c’est en principe cette année, à Montréal, que devraient commencer les discussions concernant la nouvelle période d’engagements de réduction des émissions. Ce serait la deuxième phase du Protocole de Kyoto.

A Montréal, du surplace

Puisque les Américains se sont retirés du Protocole de Kyoto, plusieurs pays riches traînent des pieds pour remplir les engagements pris dans la première phase de l’accord. A quoi bon alourdir des économies en luttant contre les gaz à effet de serre, alors que la compétition mondiale est féroce ? Pour tous les autres pays signataires, il semble presque légitime d’avoir envie d’en rester là. Le responsable par intérim de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique le sait, et a annoncé par avance : «Soyons honnêtes, il n’y aura pas de mandat de négociation» pendant ces quasi deux semaines de discussions à Montréal. Les pays qui seront présents ont «de grandes divergences d’opinion», a encore précisé le responsable onusien.

Richard Kinley, coordinateur du dossier climat pour les Nations unies, s’exprimait à Bonn, au siège de la Convention. Concernant la position des Etats-Unis, il a précisé que ce pays jugeait officiellement «prématuré» de discuter de l’avenir des négociations sur les changements climatiques. Les Etats-Unis ont une position originale dans cet ensemble juridique. S’ils se sont retirés du Protocole en 1997, ils sont restés dans la Convention signée à Rio en 1992. Ils ont donc un droit de regard sur le démarrage d’une nouvelle phase de négociations.

L’union européenne, pour sa part, fait comme si tout continuait normalement, comme si de nouvelles négociations allaient aboutir aux alentours de 2008-2010. Le bilan n’est pourtant pas fameux au sein des 25. Si certains pays vont respecter l’engagement de revenir, en 2010, à leur niveau d’émission de gaz à effet de serre de 1990, c’est le plus souvent en raison d’un ralentissement de la croissance. «Il est déjà évident que la plupart des pays industrialisés déraperont par rapport à leurs engagements de Kyoto, y compris la grande majorité des pays de l’Union européenne, et le Japon. Il ne leur restera plus que la possibilité d’acheter des réductions à la Russie», écrit dans son livre l’ancien patron de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).

Pierre Radanne (Energies de ton siècle, des crises à la mutation, éditions Lignes de repères) précise encore les pays qui atteindront à peu près les objectifs : Royaume-Uni, Allemagne et France. Les pays dont les émissions dérapent inexorablement «en l’absence de politique sérieuse» sont l’Italie et la Belgique. Enfin pour l’auteur et spécialiste du climat, quatre pays «ont laissé exploser leurs émissions» : Espagne, Portugal, Irlande et Grèce. Pierre Radanne estime par ailleurs que la position «délinquante» des Etats-Unis a servi de prétexte à bon nombre de pays développés pour ne pas faire d’efforts.

Peu de changements visibles

Concernant les transports, l’habitat, et même l’industrie, peu de choses ont changé depuis l’élan de 1992 et les bonnes résolutions prises par la communauté internationale. Aujourd’hui, le public commence à s’interroger sur le lien entre une augmentation des catastrophes naturelles et les changements climatiques. Mais l’automobile, qui rejette plus du tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre, reste reine, avec le camion.

Les gouvernements qui n’ont pas réussi à freiner les émissions en raison des coûts supplémentaires et de la complexité du problème cherchent souvent à gagner du temps pour traiter un problème qui semble encore assez lointain. D’autres prennent une option sur le nucléaire, réputé fonctionner sans émettre de gaz à effet de serre. C’est le cas notamment de Tony Blair. Le Premier ministre britannique a, tout récemment, laissé entendre qu’il pourrait prendre prochainement des «décisions difficiles et controversées». Le patronat lui demande une décision rapide pour assurer l’approvisionnement énergétique du Royaume-Uni alors que les centrales nucléaires sont vieillissantes.

L’argument en faveur d’une énergie «propre» envers l’atmosphère pourrait bien l’emporter. La paix mondiale pourtant y perdra car les pays qui veulent avoir la bombe atomique savent qu’un parc de centrales civiles représente un bon début.

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