Print

Développements inquiétants en Irak
Par Abdel Bari Atwan
Mondialisation.ca, 01 septembre 2009
Blog d'Abdel Bari Atwan 1 septembre 2009
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/d-veloppements-inqui-tants-en-irak/15000

Plus tôt dans le mois, le premier ministre irakien avait fait part de sa grande confiance en la capacité de son gouvernement à contrôler la situation sécuritaire interne, à la suite du retrait des Etats-Unis des principales villes irakiennes le 30 juin dernier.


Impressionnantes traces laissées par un des attentats du 19 août 2009 dans Bagdad – Photo : AFP

Le niveau de violence avait régressé en juillet et Al Maliki avait alors décrété que dans Bagdad, la plupart des fortifications et des murs à l’épreuve des explosions seraient démantelés d’ici la mi-septembre.

Mais le mois d’ août a vu une nouvelle vague d’attaques et mercredi [19 août 2009] la capitale a été secouée par sept attentats simultanés de voitures et camions piégés qui se sont produits au même moment à travers la ville – les plus graves visant les ministères des affaires étrangères et des finances à proximité de la très fortifiée « zone verte », tuant plus de cent personnes et en envoyant 1203 à l’hôpital.

Les poseurs de bombes ont simplement démontré de la manière la plus brutale possible à quel point les forces de sécurité irakiennes, mal équipées, peuvent maintenir la loi et l’ordre en dépit des milliards de dollars US jetés par les fenêtres pour les former et les équiper. Le mercredi soir, Al Maliki a « invité » les troupes des Etats-Unis à revenir dans Bagdad pour l’aider à rétablir la situation sécuritaire.

Le problème en Irak reste la lutte sectaire, en dépit des assurances données par Al Maliki devant l’Assemblée générale de l’ONU selon quoi il initierait une ère de réconciliation nationale. Août a vu une majorité des attaques portées sur des cibles shiites, tuant au moins 50 personnes. C’était presque avec certitude le fait de groupes insurgés sunnites – dont Al Qaïda, qui a été rapide à se rétablir dans un contexte sécuritaire de plus en plus relâché, faisant revenir d’Afghanistan des combattants endurcis dans les combats et trouvant de nouvelles recrues dans une population sunnite de plus en plus désillusionnée.

Les attaques dévastatrices de mercredi ont également été attribuées à Al Qaïda, et elles portent plusieurs des signatures de cette organisation (explosions simultanées de camions par exemple). Mais elles peuvent être liées aussi à une rupture de plus en plus dangereuse à l’intérieur même de la coalition sous domination shiite.

Il faut rappeler que les actuelles forces de sécurité irakiennes sont en grande partie composées d’anciens membres de milices – armées privées mises en place par des « seigneurs de guerre » shiites rivaux et des chefs de factions religieuses, dont beaucoup sont aujourd’hui ministres. Al Maliki lui-même est toujours à la tête du parti Da’awa, alors qu’Abdul Aziz Al Hakim, chef du Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak (SCIRI), était également à la tête de son infâme milice, l’Organisation Badr. Le vice-président Adel Abdul Mahdi est également un personnage éminent dans le SCIRI.

Les fidélités passées sont alors un ingrédient déterminant dans toute campagne orchestrée pour déstabiliser Al Maliki et son gouvernement.

La mise en évidence récente d’une scission interne dans l’élite au pouvoir s’est révélée dans une curieuse succession d’évènements à Bagdad fin juillet. Al Maliki a accusé le vice-président Adel Abdul Mahdi d’être l’organisateur d’un vol 4 million de livres sterling dans la banque Rafidain gérée par l’Etat, où huit gardes de sécurité ont perdu la vie. Abdul Mahdi a nié toute participation mais l’argent volé a été retrouvé dans les bureaux d’un journal qui lui appartient et cinq des voleurs ont été démasqués comme faisant partie de son propre service de sécurité.

Il est peu probable que les camions explosifs de mercredi puissent avoir été amenés près de leurs cibles pourtant bien-gardées comme le ministère des affaires étrangères, sans qu’il y ait eu connivence du personnel de sécurité, et dès le jeudi le Commandement opérationnel pour Bagdad sous la responsabilité d’Al Maliki annonçait que 11 officiers de la force de sécurité irakienne avaient été arrêtés en liaison avec les attaques – avec parmi eux les commandants de deux bataillons postés dans la zone où ont eu lieu les attaques, des agents des services de renseignement et des policiers.

Il y a deux explications possibles à leur prétendue participation : ou les attaques ont été effectuées par des éléments d’une milice shiite avec des agents de sécurité complices, ou ces agents de sécurité n’ont pas été capables d’empêcher les insurgés d’amener les véhicules chargés d’explosifs jusqu’à leurs cibles.

La liste des ennemis d’Al Maliki ne cesse d’augmenter. Il s’est montré de plus en plus autoritaire envers ses ministres, renforçant sa position personnelle d’une façon rappelant Saddam Hussein. Al Maliki s’est entouré d’hommes de son parti et de membres de son propre clan, construisant un sinistre réseau de renseignements pour étouffer dissidence et opposition. Son régime orchestre aussi une corruption sur une grande échelle – l’année dernière, la journaliste enquêtrice Jane Corbin de la BBC a constaté que 23 milliards de dollars venant de l’aide des Etats-Unis et destinés à l’Irak avaient disparu.

A la suite du succès du parti Da’awa aux élections provinciales de février, Al Maliki a tourné le dos à la coalition de l’Alliance Irakienne Unie (intégrant la plupart des organisations shiites) avec laquelle il devait participer aux élections parlementaires de janvier 2010, optant à la place pour un projet nationaliste de son cru.

De plus en plus isolé parmi les organisations shiites, Al Maliki a commis une autre sérieuse erreur en n’incorporant pas les plus de 100 000 sunnites « Fils de l’Irak » dans les services étatiques. Recrutés et entraînés par les Etats-Unis pour combattre Al Qaïda et neutraliser l’insurrection sunnite, cette milice très efficace est négligée et donc très contrariée. Cela n’étonnerait personne si, pour contrer Al Maliki, les « Fils de l’Irak » se joignaient à leurs ennemis d’autrefois à l’intérieur de la mouvance de la résistance sunnite.

La fragmentation de la situation politique et sécuritaire en Irak est non seulement une tragédie pour les gens de cette nation qui souffre depuis si longtemps, mais également un grand souci pour l’administration Obama. Confrontée en Afghanistan à une autre guerre ne pouvant être gagnée, elle fait maintenant face à un dilemme à propos du redéploiement de 115 000 hommes de troupes en Irak. S’ils « sont invités » à entrer de nouveau dans les villes pour se confronter une résistance renaissante, des pertes élevées seront inévitables – d’autant plus que les forces de sécurité irakiennes elles-mêmes ne sont plus fiables. Mais si ces troupes restent à l’écart, le cours violent actuel peut augmenter durant le Ramadan, l’Irak poursuivant sa spirale vers le bas pour ajouter son nom à la liste des états en faillite, déchirés par la guerre civile.

Article original en anglais : Worrying developments in Iraq, le 22 août 2009.

Traduction : Claude Zurbach, Info-Palestine.

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.