Daech poursuit curieusement le même objectif stratégique que l’Inde en Afghanistan

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Le groupe terroriste le plus notoire au monde a revendiqué un attentat-suicide à la bombe au Pakistan qui a tué le frère cadet du chef taliban et menacé de faire dérailler les pourparlers de paix de l’organisation avec les États-Unis, qui s’inscrivent curieusement dans le même objectif stratégique que l’Inde poursuit en Afghanistan.

Daech a revendiqué un attentat-suicide à la bombe perpétré samedi dans une mosquée pakistanaise qui a tué le frère cadet du chef taliban, faisant brièvement craindre en conséquence que l’organisation ne se retire de ses pourparlers de paix en cours avec les États-Unis. Ces inquiétudes ont été rapidement balayées du revers de la main après qu’un des représentants anonymes du groupe eut déclaré à Reuters que « si quelqu’un pense que martyriser nos dirigeants nous empêcherait d’atteindre notre objectif, c’est qu’il vit dans un paradis de fous« , ce qui a été accueilli avec un grand soulagement par pratiquement tout le monde, sauf l’Inde.

L’État d’Asie du Sud n’appuie pas la décision des États-Unis d’entamer des pourparlers de paix avec les Talibans, comme l’auteur l’a expliqué plus tôt cette année dans son article intitulé « Lire entre les lignes : L’Inde est amère face aux pourparlers de paix afghans« , qui explique que New Delhi veut que Washington reste indéfiniment en Afghanistan puisque la présence militaire de son partenaire garantit que le pays enclavé pourrait être utilisé pour étendre sa « profondeur stratégique » en servant de terrain de guerre hybride contre l’État pivot mondial, le Pakistan.

Il est donc curieux que le dernier attentat suicide de Daech au Pakistan ait pu réaliser le fantasme politique de l’Inde de saboter les pourparlers de paix entre les États-Unis et les Talibans et de maintenir ainsi indéfiniment le Pentagone en Afghanistan. On aurait tendance à croire que Daech préférerait que les États-Unis quittent le pays dès que possible, mais le groupe terroriste le plus notoire au monde a défié les attentes par son action effrontée qui pourrait aboutir à l’inverse.

Bien que la rivalité entre Daech et les talibans soit bien connue, il est difficile de croire qu’il ferait ce qu’il a fait à ce moment précis étant donné le contexte ultra-sensible lié au retrait possible des États-Unis d’Afghanistan si les pourparlers de paix réussissaient, alors on peut certainement se demander si le renseignement indien aurait pu, à tout le moins, avoir une influence sur les événements. Ce ne serait pas sans précédent non plus puisque l’agent de guerre hybride Kulbhushan Jadav a admis avoir organisé des attentats terroristes dans la région pakistanaise du Baloutchistan, où s’est produite le dernier attentat de Daech.

Il n’y a aucun moyen de savoir avec certitude si cela a été le cas ou non, mais c’est néanmoins une théorie plausible si l’on considère les variables stratégiques en jeu mentionnées ci-dessus. Les services de renseignements indiens ont des liens avec des groupes terroristes et les utilisent comme mandataires pour mener une guerre hybride contre le Pakistan qui, jusqu’à présent, avait surtout pour but de saboter le Corridor Économique Chine-Pakistan, il n’est donc pas inconcevable que certains de ces mêmes moyens puissent être utilisés pour cibler le jeune frère des talibans dans le but de provoquer le groupe à se retirer de ses négociations avec les États-Unis.

Si tel avait été le cas, cette opération aurait certainement échoué, mais elle révélerait à quel point l’Inde est désespérée de garder l’armée américaine en Afghanistan et de recourir à l’orchestration d’une attaque terroriste soigneusement calibrée qui aurait pu changer la donne à l’échelle mondiale. Cela montrerait aussi à quel point l’Inde se méfie de son nouvel allié stratégico-militaire américain et représenterait une escalade de la guerre hybride naissante qu’ils mènent l’un contre l’autre, bien que l’Inde ait pris des mesures pour la rendre cinétique alors que les États-Unis l’avaient maintenue strictement au niveau économique et diplomatique pour le moment.

Andrew Korybko

 

 

Source originale en anglais : Daesh Is Curiously Pursuing The Same Strategic Goal As India In Afghanistan, Eurasia Future, le 18 août 2019.

traduction Réseau International



Articles Par : Andrew Korybko

A propos :

Andrew Korybko est le commentateur politique étasunien qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime(2015).

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