Dans la chambre des secrets
Omc . Lors de la conférence ministérielle de Hongkong qui s’est achevée le 18 décembre, les Pays les moins avancés ont dénoncé le manque de transparence dans les négociations, notamment dans la Green Room. Reportage.
Les membres d’une délégation d’un pays en voie de développement se rendent au bureau des informations dans l’espoir qu’on leur indique où se trouve la salle des réunions, communément appelée Green Room, ou Chambre verte. Ils semblent pressés d’arriver à temps pour participer aux négociations qui s’y déroulent sur un dossier important.
Ils s’entendront dire : c’est une blague ? Parce qu’aucune salle ne porte ce nom dans tout le Centre de conférences de Hongkong où s’est tenue jusqu’à dimanche la conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). En effet, très peu de personnes savent que la Green Room accueille les réunions de discussions « informelles » qui ne regroupent qu’une dizaine de pays, sur les 149 membres de l’OMC. Et il semblerait que l’on y fasse bel et bien la cuisine de tous les accords de l’OMC.
C’est dans la Chambre verte, derrière les portes fermées, que sont en effet discutées les différentes positions et la formulation des textes, et c’est là aussi que s’exercent les pressions sur les différents pays membres privés de leurs équipes techniques qui pourraient offrir des calculs rapides sur les impacts des offres qui leur sont proposées. Parce que chaque pays n’est représenté que par son ministre et un de ses assistants. C’est ce qu’on appelle dans le jargon de l’OMC « ministre +1 ». Les délégations des grandes puissances commerciales peuvent se munir aussi de plusieurs vice-ministres. Les autres, c’est-à-dire la majorité, n’en possèdent qu’un seul.
En principe, la prise de décision au sein de l’OMC se fait par consensus. De plus, chaque siège bénéficie d’une voix égale, ce qui semble très démocratique par comparaison, à titre d’exemple, à la prise de décision au sein de la Banque mondiale, ou même du Conseil de sécurité. Pourtant, le processus qui précède la prise de décision est remis en question. Martin Khor, directeur de l’ONG Third World Network, souligne que ce système diffère complètement de celui de l’Onu, où tous les pays peuvent être présents durant les négociations, et où tous les membres de chaque délégation peuvent participer. Chaque pays a le droit de faire part de ses positions, lesquelles sont aussitôt publiées et sont au fur et à mesure soumises à une discussion plénière. « Ce n’est guère ce qui se passe ici. Nous n’entendons lors des sessions plénières que des discours. Les vraies discussions se font derrière des portes closes », dit-il en faisant allusion à la Green Room.
Les « invités » des réunions
Théoriquement, c’est le président de chaque conférence ministérielle qui choisit « les invités » à ces réunions. Cette fois-ci, c’est Donald Tsang, le président de la région rétrocédée de Hongkong. Or, certains « hôtes » le sont d’office, toujours présents. Les Etats-Unis bien évidemment, l’Union Européenne (UE), l’Australie et le Japon. Après la formation du G20, l’Inde, le Brésil et récemment la Chine ont « pris l’habitude » d’être invités. Les autres varient selon le dossier discuté et les alliances formées. L’Egypte, en tant que coordinateur pour le groupe africain, était présente cette fois-ci dans la plupart des réunions. La Zambie aussi en tant que représentant des Pays les Moins Avancés (PMA). Cependant, malgré la présence d’un plus grand nombre de pays émergents, cela ne signifie pas que le processus est devenu plus efficace. Martin Khor impute cela au processus des négociations. D’abord, l’agenda de chacune de ces réunions demeure secret. Les ministres ne savent pas, a priori, quel sera le sujet à discuter avant de se réunir. « En tout cas, il est sûr que les ministres des pays en voie de développement n’en connaissent rien, et donc ne sont pas préparés au thème des négociations », déplore-t-il. Le ministre égyptien de l’Industrie et du Commerce, Rachid Mohamad Rachid, raconte qu’il est entré un jour dans la Room pour être surpris devant l’ordre du jour : le dossier épineux du coton. Qu’en est-il pour les absents ? Ils ont toujours tort, direz-vous. « Nous avons été surpris, s’insurge un membre de la délégation du Sénégal, qu’à la fin de la conférence, nous ayons à signer un accord auquel nous n’avons pas contribué ».
Un vice-ministre d’un pays en voie de développement, qui assiste pour la première fois à ce genre de réunions, raconte son expérience : « Tous les jours, ils commencent les réunions de la Green Room à 22h, pour terminer à 2 heures du matin. Notre journée commence à 9 heures du matin. Pour aboutir à la déclaration finale, nous finissons parfois à 5 heures du matin ». Une autre source d’ajouter : « D’habitude, je suis assis derrière le ministre pour lui donner des conseils sur les détails dans les différents dossiers discutés. A une heure du matin, je suis complètement épuisé. Pourquoi ne commencent-ils pas plus tôt ? ». Il souligne pourtant que Rob Portman, représentant du commerce américain, ou son homologue européen, Peter Mandelson, ont plus d’un assistant, et donc alternent : « L’un prend une pause pendant que l’autre assiste », ironise la source.
Hors de la Chambre verte, les discussions s’étendent tout au long de la journée. Il s’agit des réunions bilatérales qui contribuent également à la discussion des positions. Devant le siège de la délégation de l’UE, dont l’accès est interdit aux journalistes, les ministres se croisent. Peter Mandelson veut surtout former des alliances sur le dossier des services. En revanche, en dépit des différends révélés entre l’UE et les Etats-Unis sur le dossier agricole, leurs rencontres bilatérales n’en finissent pas.
A Hongkong, pour éviter les rumeurs relatives au manque de transparence des négociations, l’existence de la Green Room a été officialisée. Elle s’appellera dorénavant la «Chambre de consultation du président».