De Munich au Kosovo

Région :

Le 70ème anniversaire des accords de Munich, qui furent conclus le 30 septembre 1938, ouvre ce qui va sans doute être de nombreuses années de re-évocation formelles de la Deuxième Guerre Mondiale. Si les événements  des années Trente et Quarante s’éloignent dans le temps, les ombres qu’ils jettent sur le présent semblent au contraire de plus en plus longues. La politique contemporaine est désormais dominée par un unique (et négatif) principe conducteur : le trou noir du nazisme.

Rappeler Munich est donc très important. L’accord établi par la Grande-Bretagne, la France et l’Italie fasciste pour permettre à l’Allemagne nazie  de s’annexer le territoire des Sudètes (les zones occidentales, à majorité allemande, de la Tchécoslovaquie) était le produit de la politique connue sous le nom d’appeasement, par laquelle Londres et Paris essayèrent de calmer Hitler. La faillite de cette politique  se révéla avec une évidence spectaculaire quand Hitler en mars 1939 occupa toutes  les terres tchèques et, le 1er septembre 1939, attaqua la Pologne.

Donc Munich est maintenant devenu le symbole d’une capitulation honteuse devant l’agression. Face à la menace hitlérienne de l’emploi de la force, les puissances occidentales acceptèrent de détruire ce même Etat qu’ils avaient  créé à Versailles, 20 avant seulement. Les voisins de la Tchécoslovaquie  ne se comportèrent pas mieux : la Pologne, qui réussit ensuite dans son intention de se faire passer pour la victime suprême de la Deuxième Guerre Mondiale, s’annexa le territoire de Tĕšín, pendant que la Hongrie occupa les parties méridionale et orientale (tchèques, NDT).

Munich est donc souvent rappelé, en particulier dans les milieux néo-conservateurs étasuniens, pour justifier des guerres contemporaines qui, dit-on, sont elles aussi des ripostes à des agressions. Qu’il s’agît de la Yougoslavie de Slobodan Milosevic en 1999, de l’Irak de Saddam Hussein en 2003 ou de toute autre  pays ou situation dans le monde, le mantra est qu’il ne faut pas répéter les erreurs de 1938.

Etrange, donc, qu’à l’occasion du 70ème anniversaire de Munich, les puissances occidentales aient au contraire exactement répété cette erreur. En février 2008, face à la menace d’usage de la force de la part des séparatistes albanais en Serbie, les Etats-Unis et l’Europe ont reconnu l’indépendance du Kosovo. Ils avaient fortement encouragé la proclamation originaire d’indépendance, et même l’usage de la force, au point d’attaquer  la Yougoslavie en 1999 pour soutenir la cause albanaise. Ils détruisirent donc unilatéralement  l’intégrité territoriale de la Serbie, exactement comme fut détruite, 70 ans avant, l’intégrité de la Tchécoslovaquie.

L’Union Européenne a immédiatement confié à une escadre de 2.000 personnes la tâche d’administrer la province, qui de toutes façons est déjà le siège d’une gigantesque base militaire des Etats-Unis qui y héberge des milliers de soldats (Camp Bondsteel, NDT).  Donc l’ « indépendance » du Kosovo rappelle l’ »indépendance » de pacotille de la Slovaquie sous le régime fantoche de Monseigneur Tiso, encouragé à la proclamer en mars 1939 par Hitler qui l’utilisa comme prétexte pour l’occupation allemande simultanée des territoires tchèques.

Les deux reconnaissances ont démoli les gouvernements des pays concernés. En 1938, Munich produisit l’écroulement immédiat du gouvernement patriotique du Président Edvard Beneš ; en 2008, la reconnaissance du Kosovo a immédiatement  démoli le gouvernement de Vojislav Kostunica, celui justement qui en 2000, quand il déposa Slobodan Milošević, fut salué par l’Occident comme un grand démocrate. En 1938 à Prague s’installa au pouvoir  le gouvernement collaborateur de Emil Hácha, qui promit d’essayer de protéger la position de la Tchécoslovaquie dans l’Ordre Nouveau Européen qui émergeait. (En 1946, nombre de ses ministres furent condamnés comme criminels de guerre).  En 2008, le nouveau gouvernement de Belgrade, conduit par le président du Parti Démocrate, Boris Tadić, a de la même façon confirmé que le « principal objectif stratégique » de la Serbie est de devenir membre de l’Union Européenne : cette même organisation qui aujourd’hui administre illégalement le Kosovo.  ( L’administration  de l’Ue au Kosovo est illégale parce que la Résolution  1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, résolution qui est passée après l’attaque de l’OTAN  contre la Yougoslavie, a réaffirmé que le Kosovo fait partie de la Serbie et qu’il est administré  par les Nations Unies ; son existence met ainsi en évidence  que la prétendue « indépendance »  du Kosovo est en réalité une sorte d’annexion).

Le parallélisme s’applique jusqu’aux tentatives désespérées accomplies respectivement par Prague et Belgrade pour conserver leurs territoires. Le président Beneš négocia avec Konrad Henlein, le leader allemand des Sudètes, en autorisant une autonomie substantielle pour les zones du pays à majorité allemande et une charge gouvernementale pour Henlein. Le gouvernement de Vojislav Kostunica était prêt à concéder une autonomie tellement grande au Kosovo que la province aurait été plus libre à l’intérieur de la Serbie qu’elle ne l‘est  maintenant comme protectorat des Etats-Unis et de l’Union européenne. Mais surtout, en 1938 comme en 2008, les négociations  internes  furent délibérément naufragées par une intervention extérieure. L’occupation hitlérienne de la Tchécoslovaquie en mars 1939, sous prétexte que l’ « Etat artificiel » de Tchécoslovaquie s’était effondré et que l’Allemagne  devait maintenir la paix et la stabilité, se référa à la même logique que celle qui justifie aujourd’hui les interventions occidentales dans l’ex-Yougoslavie.

Il est évident que l’Union européenne et les Etats-Unis, à la différence de l’Allemagne nazie, ne couvent pas de plans de génocide. Le mal qu’ils ont perpétré n’est donc pas comparable à celui d’Hitler. Mais il s‘agit quand même d’un mal, surtout parce qu’il représente une abrogation unilatérale, avec appui de la force militaire, des normes du droit international (les principes juridiques généraux et les résolutions des Nations Unies) souscrites par ces mêmes puissances. C’est ici que les analogies avec Munich sont plus évidentes. Pour ce qui concerne les conséquences de la reconnaissance du Kosovo, il semble, une fois de plus comme à Munich, qu’elle ait déclenché un dangereux effet en chaîne dans le Caucase. Nous devons ardemment espérer que les parallélismes s’arrêtent là.

Cet article a été publié dans sa version anglaise par RIA Novosti

http://en.rian.ru/analysis/20081001/117364733.html  

Et dans la version italienne  de Manuela Vittorelli par Eurasia,

http://www.eurasia-rivista.org/cogit_content/articoli/EkkFpElkAygeeMzyOz.shtml

Traduit de la version italienne par Marie-Ange Patrizio.

* John Laughland, historien et journaliste britannique, est directeur d’études à l’Institut pour la démocratie et la Coopération à Paris.



Articles Par : John Laughland

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]