Défense ou agression ? La nouvelle stratégie de défense nationale des USA décryptée

« La semaine dernière, le Secrétaire de la Défense James Mattis a publié le NDS (National Defense Strategy, stratégie de défense nationale) pour 2018. Demandé par le Congrès, le NDS remplace la Quadriennal Defense Review (Bilan de la défense quadriennal). Il en diffère sur un point : le NDS est classifié ; le document publié par Mattis est donc un résumé déclassifié de ce qui est sûrement un document plus complet et plus ambitieux sur les orientations stratégiques du Département de la défense des USA. » – Introduction Brookings Institution, ‘How to read the 2018 National Defense Strategy’, 21 janvier 2018.


Vendredi dernier, le Pentagone a publié un résumé non classifié du rapport de la Stratégie de défense nationale pour 2018. Le même jour, le Secrétaire de la Défense James Mattis a donné des remarques additionnelles sur le document.

Lire le résumé est éclairant, pour dire le moins, et quelque peu inquiétant, parce qu’il ne se concentre que très peu sur la défense et se préoccupe beaucoup plus d’actions militaires offensives qui pourraient être entreprises pour soutenir des intérêts nationaux discutables. De loin en loin, il tombe dans la fantasmagorie, par exemple quand il parle de consolider « les gains que nous avons obtenus en Afghanistan, en Irak, en Syrie et ailleurs ».

Parfois, les « remarques » additionnelles de Mattis relevaient de la fanfaronnade, par exemple quand il prévenait « … ceux qui menaceraient l’expérience démocratique de l’Amérique ; si vous nous défiez, vous vivrez votre jour le plus long et le pire ». Il n’a pas expliqué quelle serait la réponse militaire des USA au « hacking » des mails d’un politicien, on ne peut donc que l’imaginer. Et c’est précisément le problème.

L’un des aspects les plus bizarres de ce résumé est le ton de conviction effarante sur lequel il énonce que les « concurrents » devront faire face à de possibles réponses militaires s’il est déterminé qu’ils entrent en conflit avec les buts stratégiques du gouvernement des USA. Nous sommes très loin de l’ancien concept constitutionnel selon lequel les forces armées servent à défendre un pays contre des menaces réelles impliquant une attaque par des forces hostiles. A la place, il prône la guerre préventive, ce qui est une excuse transparente pour lancer des interventions en série à l’étranger.

Quelques-unes des remarques de Mattis ont trait à la Chine et à la Russie. Il a dit, « Nous faisons face à des menaces montantes de la part de puissances révisionnistes aussi différentes que la Chine et la Russie, des nations qui cherchent à créer un monde en accord avec leurs modèles autoritaires – en recherchant des droits de veto sur les décisions économiques, diplomatiques et sécuritaires d’autres nations. » Il n’y a toutefois aucune preuve que ces pays soient en train d’exporter « des modèles autoritaires », ni d’une quelconque volonté de veto sur ce qu’ils ne perçoivent pas comme des menaces directes et immédiates, comme celles que Washington orchestre fréquemment dans l’une ou l’autre de ses nombreuses interventions dans des querelles locales situées à des milliers de kilomètres des frontières des USA. Et à propos d’exportation de modèles, qui le fait de façon plus obstinée que Washington ?

Le résumé continue en déclarant que la Russie, la Chine et des « régimes voyous » comme l’Iran ont « développé leurs efforts non guerriers en étendant la coercition à de nouveaux fronts, violant les principes de souveraineté, exploitant l’ambiguïté, et brouillant délibérément les lignes de démarcation entre les buts civils et militaires. » Comme brouiller les lignes de démarcation entre le civil et le militaire est précisément ce que les États-Unis ont fait en Libye, en Irak et en ce moment en Syrie, l’allégation pourrait être considérée comme un pied de nez.

L’affirmation la plus effrayante du résumé est celle-ci : « La puissance nucléaire – la modernisation de la force de frappe nucléaire implique le développement d’options capables de contrer les stratégies coercitives des concurrents, fondées sur la menace de recourir à des attaques stratégiques nucléaires ou non-nucléaires. » Cela signifie que la Maison-Blanche et le Pentagone se réservent le droit d’utiliser des armes nucléaires, même en l’absence de menace imminente ou existentielle, du moment qu’il y a une raison « stratégique » de les employer. « Stratégique » serait défini par le président et Mattis, alors que de plus, la loi dite War Powers Act autorise Donald Trump à déclencher une attaque nucléaire en toute légalité.

Qu’est-ce que cela veut dire en pratique ? En 2005, le vice-président Dick Cheney réclamait une guerre contre l’Iran dans le cadre d’« un plan à employer en réponse à une autre attaque possible de type 9/11 contre les USA… [y compris] un assaut aérien de grande ampleur qui emploierait à la fois des armes conventionnelles et nucléaires… ne dépendrait pas de l’implication ou non de l’Iran dans l’acte de terrorisme dirigé contre les États-Unis. » [La seule source que nous ayons trouvée pour cette affirmation est Philip Giraldi lui-même, dont cette citation attribuée à Cheney a été reproduite dans plusieurs articles et livres, notamment Vagueness as a Political Strategy: Weasel Words in Security Council Resolutions Relating to the Second Gulf War, de Giuseppina Scotto di Carlo, Cambridge Scholars Publishing, 2013. Sur le même sujet, nous avons entre autres un article de Seymour Hersh, ‘The Iran Plans’, The New Yorker 2006, NdT]

La possibilité d’employer des armes de destruction massive (dont des armes nucléaires) répondait à des soi-disant rapports des services de renseignements selon lesquels des armes conventionnelles seraient incapables de pénétrer les sites nucléaires souterrains iraniens, selon eux. Mais il s’est avéré que l’Iran n’avait pas de programme nucléaire et que l’attaquer aurait été totalement gratuit. Quelques autres plans inspirés des néocons comprenaient aussi l’option nucléaire si l’Iran avait la témérité de résister à la volonté des USA.

Les planificateurs du Pentagone anticipent clairement une autre année à se cacher derrière le mot ‘défense’ alors que l’agression est la réalité. Un président impétueux et mal informé représente un danger pour nous tous, en particulier parce qu’il est entouré de généraux-conseillers qui voient une solution militaire à tous les problèmes. Espérons que des personnes plus sages prévaudront.

Philip Giraldi

Article original en anglais :

America’s National Defense Is Really Offense

Strategic Culture Foundation 26 janvier 2018

Traduction et source pour la version française Entelekheia

Article reproductible en citant les sources, Strategic Culture Foundation et Entelekheia.fr pour la version française

Philip Giraldi est un ex-officiel des renseignements militaires de la CIA et un expert du contre-terrorisme.



Articles Par : Philip Giraldi

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