Derrière BP

Plus de deux mois se sont écoulés depuis que l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique a engendré ce qui est devenu la pire catastrophe environnementale de l’histoire des Etats-Unis. La quantité de pétrole déversée dans le golfe, empoisonnant l’une des régions les plus importantes du pays, tant au niveau écologique qu’économique, n’est toujours pas connue, mais elle ne peut se chiffrer au minimum qu’en dizaines de millions de litres.

Onze personnes sont mortes dans l’explosion. Une industrie clé – la pêche dans le golfe – a presque été anéantie indéfiniment. Des dizaines de milliers d’emplois dépendant de la pêche et du tourisme seront perdus. Des espèces entières sont en danger et les conséquences à long terme sont incalculables. Et pourtant, le déversement de pétrole continue.

L’ampleur du cauchemar écologique et économique contraste énormément, et de manière révélatrice, avec les misérables actions du gouvernement fédéral. Le principal objectif de l’administration Obama a été d’éluder les causes sous-jacentes de la catastrophe et d’empêcher l’indignation populaire de se mêler aux sentiments anti-patrons qui se développent à travers le pays.

Cette campagne a pris différentes formes, certaines plus cyniquement « populistes » que d’autres.

Le weekend dernier, des fonctionnaires de l’administration Obama et les médias ont exprimé leur supposée indignation face à la présence de Tony Hayward à une course de yacht (à laquelle participait son propre bateau), tandis que le pétrole de sa compagnie continue de se déverser dans le golfe. L’indifférence de Hayward à la souffrance dans la région est bien sûr méprisable et mérite toute l’indignation populaire qu’elle a provoquée. Toutefois, ses actions sont typiques de l’élite patronale et financière mondiale.

La véritable attitude de l’administration Obama a été résumée par le chef de cabinet Rahm Emanuel, qui a critiqué Hayward pour être coupable de « mauvaises relations publiques ». Autrement dit, le problème n’est pas son geste, encore moins l’immense richesse des cadres de BP rendue possible en partie grâce à la réduction des coûts qui a mené à la catastrophe, mais plutôt que son moment était mal choisi.

La réaction à l’événement du yacht fait partie d’une plus large tentative de présenter BP comme une société rebelle, une pomme pourrie. Si l’administration peut, d’une manière ou d’une autre, soutenir que BP est tenu pour responsable, l’incident peut être transformé en un événement maîtrisable et la routine – y compris le développement continu du forage en eau profonde – peut continuer.

C’était justement l’objectif de la série d’événements de relation publique organisés par l’administration la semaine dernière: la visite d’Obama dans le golfe du Mexique, le discours de la Maison-Blanche mardi et la rencontre avec les cadres de BP le jour suivant. Le résultat a été la mise en place d’un compte de garantie bloqué de 20 milliards de dollars, payable à fréquence de 5 milliards$ par année, pendant quatre ans.

Dans son adresse à la nation la semaine dernière, Obama a déclaré qu’il était déterminé à « faire payer BP » pour la catastrophe.

L’issue de ce processus n’a toutefois servi qu’à révéler la soumission de l’administration à l’élite patronale et financière et son incapacité à réagir sérieusement à un désastre sans précédent.

Premièrement, le fonds de 20 milliards de dollars est tout à fait insuffisant pour faire face aux conséquences de la marée noire. Toute évaluation objective de son impact économique atteindrait les centaines de milliards de dollars ou plus. « Faire payer BP » et permettre à BP de demeurer « une société forte et viable », ce sur quoi a aussi insisté Obama, sont en fait deux déclarations mutuellement contradictoires.

Avec l’accord du président de BP Carl-Henric Svanberg (qui est tourné en ridicule dans le golfe pour ses remarques sur la population, l’ayant qualifiée plusieurs fois de « petites gens »), le fonds a été placé sous le contrôle de Kenneth Feinberg, un fidèle représentant de l’establishment politique. Feinberg a participé à la gestion des fonds d’assurance pour l’agent orange et l’amiante, en plus de gérer le fonds compensatoire du 11-Septembre et de servir comme superviseur spécial d’Obama dans le sauvetage des banques.

Feinberg a immédiatement fait l’éloge de BP au cours de la fin de semaine, insistant à plusieurs reprises sur le fait qu’il était nécessaire de « donner le crédit à BP » pour avoir distribué (un maigre) 100 millions de dollars jusqu’ici. Pendant ce temps, les entreprises locales et les individus se plaignent amèrement des difficultés qu’ils rencontrent à obtenir de l’argent de la compagnie.

Loin d’accélérer le processus, la création du fonds ne servirait qu’à couvrir BP, tout en faisant en sorte qu’un grand nombre de personnes soient laissées pour compte ou soient forcées de faire des arrangements qui soient tout à fait inadéquats relativement aux pertes subies.

Deuxièmement, la déclaration que le gouvernement « fait payer BP » pour le désastre vise à couvrir la paralysie du gouvernement fédéral lui-même suite à l’explosion.

L’ampleur du désastre excède de loin les ressources d’une seule entreprise. N’importe quelle réponse sérieuse face à l’éruption de pétrole aurait commencé avec la saisie des actifs de BP et une prise en charge fédérale immédiate de la fuite et des efforts d’assainissement. Depuis le début, l’administration Obama insiste cependant sur le fait que BP doit rester en charge. Seul le géant du pétrole avait la technologie et la capacité de réagir, a déclaré le gouvernement.

La saisie des actifs de BP ne serait toutefois que le début d’un effort sérieux. Un programme d’urgence massif de travaux publics et la mobilisation de ressources sociales sont nécessaires. Des centaines de milliers de travailleurs, y compris ceux mis à pied suite au désastre, doivent être mobilisés afin de contenir la fuite et de mener des opérations d’assainissement. Des équipes de scientifiques de tout le pays et de par le monde doivent être amenées à travailler en collaboration afin de trouver une solution. BP n’est pas une aberration. Jusqu’au prochain désastre, la société n’est que le visage public le plus visible de la criminalité des entreprises, devenue omniprésente. En particulier, BP partage avec toutes les grandes compagnies pétrolières la poursuite acharnée du profit, et ce, aux dépens des mesures de sécurité les plus élémentaires.

Si cette catastrophe peut arriver à BP, elle peut se produire pour n’importe quelle entreprise. En fait, dans leur poursuite de profit, les compagnies de l’énergie ont causé une atrocité après l’autre – de déversements de pétrole, la pollution et la dévastation de l’Afrique, le réchauffement climatique, une série d’explosions minière partout au monde, des coupures d’électricité et de gaz dans les foyers à travers États-Unis.

La nationalisation de l’industrie de l’énergie est nécessaire comme mesure d’urgence. Ces ressources, absolument nécessaires pour le fonctionnement de l’économie mondiale, doivent être sous un contrôle démocratique, dans l’intérêt des besoins sociaux.

La mise sur pied d’un plan rationnel pour le développement d’une production globale d’énergie est impossible tant que ces entreprises restent subordonnées à la poursuite acharnée du profit et à l’accumulation individuelle de la richesse.

Ces actions ne prendront pas place sous la direction du Parti démocrate ou du Parti républicain, les deux étant dévoués à la défense du système de profit.

La marée noire dans le golfe du Mexique, comme la crise financière avant cela, pose la nécessité d’un mouvement socialiste de masse de la classe ouvrière, ayant comme objectif l’établissement d’un gouvernement ouvrier. Seulement de cette manière les mesures nécessaires pourront être prises afin de répondre à la crise et empêcher le prochain désastre.

Article original, WSWS, paru le 23 juin.



Articles Par : Joe Kishore

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