Derrière les pourparlers entre les Etats-Unis et les talibans

Lundi dernier, le Wall Street Journal a rapporté que les Etats-Unis pourraient entreprendre des négociations directes avec les chefs talibans en Afghanistan. Le fait que le Journal, un quotidien conservateur du monde financier, ait été le premier à annoncer la nouvelle démontre qu’il ne s’agissait pas seulement d’une révélation journalistique, mais bien de la déclaration publique délibérée d’un changement de politique d’Etat.

Selon le Journal, « Les Etats-Unis considèrent activement des pourparlers avec certains éléments des talibans, le groupe islamiste armé qui contrôlait par le passé l’Afghanistan et qui a protégé al-Qaïda. C’est un changement majeur de politique qui aurait été impensable il y a quelques mois à peine. » Les plans de tels pourparlers auraient été inclus dans « une évaluation secrète par la Maison-Blanche de la stratégie américaine en Afghanistan ».

Ces plans constituent une réponse à la détérioration importante de la position des Etats-Unis en Afghanistan. Les combats se sont propagés à travers le pays et aux régions tribales voisines du Pakistan, dont le gouvernement, qui est soutenu par les Etats-Unis, est discrédité par sa connivence dans les incursions et les bombardements américains au Pakistan contre les militants talibans. Avec la guerre contre les talibans, les Etats-Unis se sont aussi mis à dos d’importants alliés qui les avaient aidés à mettre sur pied les milices des talibans pour servir les intérêts de la politique américaine d’oléoducs du milieu des années 1990 : l’establishment clérical saoudien et la puissante agence militaire d’espionnage du Pakistan, l’Inter-Service Intelligence (ISI).

En dépit de la rhétorique américaine de la « guerre contre le terrorisme », qui présente les talibans comme des monstres, les pourparlers entre les Etats-Unis et les talibans ne sont pas nouveaux. Relativement peu de troupes avaient été déployées lors de l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2001 et pour occuper le pays la manipulation de l’élite tribale afghane a été nécessaire. Un représentant du département d’Etat a déclaré au Wall Street Journal : « Nous et les Afghans négocions quotidiennement avec les tribus au niveau régional. Parfois ceux-ci sont des talibans ou leurs partisans. Et ils disent souvent : “Si nous obtenons ce que nous voulons, nous allons déposer les armes.” »

Le Journal a aussi rapporté que des officiels du régime fantoche des Etats-Unis en Afghanistan avaient négocié avec des représentants talibans « dans les récentes semaines en Arabie Saoudite ».

Les officiels américains ont été cependant dû restreindre leurs tentatives d’établir une politique afghane fonctionnelle en raison des limitations imposées aux négociations avec les talibans. Un officiel des services du renseignement a confié au Journal, « certains représentants américains tentaient calmement d’entreprendre des pourparlers informels avec les chefs talibans, mais l’armée était davantage intéressée à les arrêter ». La fuite des plans de négociations entre les Etats-Unis et les talibans est un signal envoyé aux leaders d’opinion, ainsi qu’aux observateurs à l’étranger et particulièrement  en Afghanistan et au Pakistan, que Washington ne s’imposera plus de telles contraintes.

Le changement de personnel à la direction de l’impérialisme américain (l’élection présidentielle imminente ainsi que la promotion du général David Petraeus à la tête du commandement central américain, qui lui donne l’autorité sur les forces américaines en Afghanistan) offre l’occasion aux fabricants de la politique américaine d’effectuer un ajustement sur la « guerre contre le terrorisme ».

Le cas de Petraeus est particulièrement important dans cet ajustement. Il a été envoyé en Afghanistan pour y reproduire l’opération « renfort » qu’il a supervisée en Irak en tant que commandant des forces américaines.

En Irak, il a acheté des représentants locaux, telles les tribus de la province d’Anbar et une partie de l’Armée du Mahdi et des milices sunnites dans les grandes villes. Ensuite, avec des « renforts » de soldats américains dans tout l’Irak (la province d’Anbar et ensuite Bakouba, Bassora, etc.), les forces américaines ont massacré ceux qui ont refusé de s’allier à elles. Après que des milliers d’Irakiens et des centaines de soldats américains eurent été tués, la résistance irakienne à l’occupation américaine a diminué. Les médias et les cercles politiques américains ont décrit la politique du « renfort » comme un grand succès.

Aujourd’hui cette politique sera implémentée en Afghanistan. Au moins 12 000 soldats supplémentaires y seront bientôt envoyés. Le Journal note que Petraeus a publiquement endossé la politique des pourparlers des Etats-Unis avec les talibans. Dans un discours qu’il a donné le 8 octobre devant le groupe d’experts Heritage Foundation, il a déclaré « Vous devez parler à vos ennemis. Il faut tenter de se réconcilier avec le plus d’ennemis possible tout en identifiant ceux qui sont réellement irréconciliables. »

Petraeus, selon cette conception, présidera à une politique de triage prudent des dirigeants tribaux afghans, faisant à chacun la proverbiale offre qui ne peut être refusée. Les dirigeants de milices qui accepteront la politique militaire américaine seront récompensés en conséquence. Pour les « irréconciliables », ce sera les frappes aériennes et les raids des troupes de choc.

Ce changement de politique prend toute son importante lorsque l’on considère que le candidat qui est aujourd’hui considéré le gagnant le plus probable des élections présidentielles américaines, Barack Obama, critique depuis longtemps l’administration Bush pour s’être laissée distraire de la guerre en Afghanistan et appelle pour des frappes sur des cibles au Pakistan.

Le Wall Street Journal a noté que les deux candidats présidentiels, Obama et le républicain John McCain, ont donné leur soutien aux pourparlers entre les Etats-Unis et les talibans, ce qui contribuera « à ce que cette politique soit implémentée peu importe lequel des deux hommes gagnera les élections du mois prochain ».

Tout ceci souligne un fait central des élections américaines de 2008 : si la victoire d’Obama devait se confirmer, le pouvoir reviendrait à des représentants de l’élite dirigeante américaine peut-être plus capables tactiquement, mais tout aussi impitoyables que l’administration sortante.

Article original en anglais, WSWS, paru le 29 octobre 2008.

© WSWS.



Articles Par : Alex Lantier

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