Des amiraux turcs à la retraite font barrage aux plans d’Erdogan

Des amiraux turcs à la retraite se sont opposés à l’éventuelle révision de la convention de Montreux relative à la souveraineté turque dans les détroits du Bosphore et des Dardanelles. Les militaires sont effrayés par la facilité avec laquelle le président turc Recep Tayyip Erdogan change les lois du pays et le soupçonnent de vouloir détruire complètement les fondements laïques de l’Etat turc. Les autorités ont accusé les amiraux d’une tentative de coup d’Etat et ont délivré un mandat d’arrêt contre les signataires de cette lettre ouverte.

104 amiraux à la retraite ont signé une lettre ouverte où ils ont exprimé leurs craintes quant aux discussions sur l’éventuel retrait de la Turquie de la convention de Montreux relative au statut des détroits du Bosphore et des Dardanelles. Selon ces anciens militaires, ils « suivent avec inquiétude la discussion sur la création du canal d’Istanbul et la convention de Montreux dans le contexte de l’annulation d’accords internationaux ». Ils parlent également de la nécessité de préserver la Constitution actuelle, laquelle le président Erdogan a l’intention de changer, et condamnent les « tentatives de montrer que l’armée turque s’écarte des commandements du fondateur de la république Mustafa Kemal Atatürk ».

Immédiatement après la publication de cette lettre le parquet d’Ankara a ouvert une enquête contre ses auteurs. Lundi a été délivré un mandat d’arrêt contre 10 amiraux, 4 autres ont été convoqués par la police.

De plus, le président Erdogan a convoqué d’urgence, lundi, le cabinet ministériel et la direction du Parti de la justice et du développement au pouvoir, et a tenu une allocution à la télévision. « Cette action au milieu de la nuit est inadmissible dans un pays où ont eu lieu des coups d’Etat militaires. Aucun militaire à la retraite ne peut s’ingérer dans les thèmes politiques. Cela n’a rien à voir avec la liberté d’expression. Bien qu’ils soient des amiraux, ils n’ont pas le droit de diffamer notre vertueuse armée. Même cette discussion en soi est une menace. Nous empêcherons les choses qui font de l’ombre à notre armée et sapent son moral », a déclaré le président.

Il a également qualifié d’erreur le lien tracé entre la convention de Montreux et la construction du canal d’Istanbul.

« Nous n’avons aucune intention ni projet de nous retirer de Montreux », a déclaré Recep Erdogan. Et de souligner: « Si à terme cette question ou nécessité était soulevée, nous ouvririons ce thème au profit des meilleures conditions, si nous le jugions nécessaire. »

Pour la première fois le plan de construction du canal d’Istanbul a été annoncé par le président Erdogan en 2011. Il est prévu que le nouveau canal accueille 160-185 navires par jour par rapports à 118-125 navires via le Bosphore, dont la sollicitation est montée en flèche ces dernières années. Le coût du projet est estimé à 10 milliards de dollars, qu’il est prévu d’amortir en 10 ans en faisant payer un droit de passage aux navires. Le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu s’est opposé à ce projet immédiatement après son élection à ce poste en 2019 et maintient cette position depuis. D’après lui, il est impossible de dépenser de l’argent pour le canal pendant que la Turquie lutte contre l’épidémie de coronavirus. Il craint aussi que la construction du canal provoque un déséquilibre écologique et des problèmes d’eau pour les habitants d’Istanbul.

La thèse concernant une menace pour la convention de Montreux est survenue sur fond de décision, prise par Ankara il y a deux semaines, de renoncer à la convention d’Istanbul relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes.

L’opposition turque s’est indignée que le président puisse personnellement tirer un trait sur tous les accords internationaux.

Le président du parlement turc Mustafa Sentop a rappelé dans une interview à HaberTurk que le président avait le droit de se retirer des accords internationaux, en répondant affirmativement à la question de savoir si cela concernait également la convention de Montreux. « Il possède ce pouvoir. Mais il existe une différence entre le possible et le probable », a souligné Mustafa Sentop.

La convention protège principalement les droits des plus grandes puissances de la mer Noire, la Turquie et la Russie, alors que son abandon pourrait devenir une bonne nouvelle pour l’Occident, car les restrictions de tonnage et de durée de la présence en mer Noire pour les pays qui ne sont pas bordés par cette mer seront levées, a déclaré l’ex-ministre turc des Affaires étrangères Yasar Yakis.

En même temps, il a exprimé des craintes concernant « l’affaire des amiraux ». « Si les amiraux étaient reconnus coupables, ce serait une confirmation de plus que la liberté d’expression n’existe pas en Turquie. Mais il faut d’abord attendre les résultats de l’enquête », a-t-il déclaré.

La persécution des amiraux est provoquée par la volonté des autorités de garder l’initiative dans l’agenda de la politique intérieure, alors que la lettre des militaires évoque des thèmes importants pour le président – l’armée et la Constitution.

La convention internationale de Montreux a été adoptée en 1936. Elle a rétabli la souveraineté de la Turquie dans les détroits du Bosphore et des Dardanelles. Sachant que la Turquie s’est engagée à respecter les principes du droit international de la mer. La convention prévoit la liberté de navigation pour les navires commerciaux de tous les pays aussi bien en temps de paix que de guerre, tout en établissant un régime de passage différent pour les navires de guerre des flottes des pays de la mer Noire et des pays qui n’en font pas partie.

Alexandre Lemoine



Articles Par : Alexandre Lemoine

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