Des conditions carcérales indignes des “oubliés” du conflit basque en France et en Espagne
“Des parents âgés sont morts sans avoir pu revoir leur fille ou leur fils incarcérés”
Entretien avec Muriel LUCANTIS / Porte-parole d’Etxerat, association de familles des prisonniers et réfugiés basques par Béatrice Molle
Des femmes. Des hommes. De ce pays. Ils sont aujourd’hui 598 : prisonniers et prisonnières basques écroués en relation avec le conflit basque dans des prisons de l’État français et espagnol. La mort récente de l’un d’entre d’eux, Xabier Lopez Peña dans des circonstances troubles n’a fait qu’aggraver l’inquiétude et l’angoisse de ces familles de prisonniers regroupées au sein de l’association Etxerat qui depuis des années vivent inlassablement les conséquences de cette privation de liberté de leurs proches. Muriel Lucantis porte-parole d’Etxerat répond à nos questions.
La nouvelle donne politique avec l’annonce par ETA en octobre 2011 de l’arrêt définitif de ses activités armées a-t-elle changé la situation des prisonniers?
Pour les familles il n’y a pas de changements. Je dirais même que les conditions carcérales sont plutôt pires. Ce que l’on peut remarquer c’est qu’il y a une période longue sans rafles. Et ici en Iparralde, nous n’avions pas connu une période sans rafle depuis longtemps. Mais les arrestations continuent, de même que les conditions pénitentiaires d’exception, notamment avec la dispersion. Nous parlons ici de violation des droits essentiels des personnes. La situation est tellement difficile dans les prisons qu’elle peut pousser les gens vers le désespoir. Le côté positif est qu’aujourd’hui nous ne sommes plus seuls. Car depuis des années nous étions seuls avec ça et les conditions de détention étaient passées sous silence. Aujourd’hui il y a un nombre jamais vu dans notre histoire, d’acteurs politiques et sociaux qui s’engagent et s’intéressent à ce processus. C’est vrai que plus le temps passe et plus il est difficile pour nous d’assumer le fait qu’il n’y ait aucun changement. Mais il est plus difficile aussi pour les deux Etats de continuer à rester immobiles car les pressions du Pays Basque, de leurs propres opinions publiques françaises, espagnoles et internationales se font de plus en plus fortes. Il sera donc difficile de maintenir cet immobilisme. Par ailleurs, des cas comme celui de Xabier aurait eu moins d’écho il y a quelques années. Espérons, au moins, que cet écho inédit serve à ce qu’il n’y en ait plus jamais d’autres.
Christiane Taubira, Guyanaise, indépendantiste jusque dans les années 1980 est aujourd’hui ministre de la Justice. Pensez-vous qu’elle peut avoir une attitude plus souple concernant les prisonniers basques?
Le fait qu’elle occupe ce poste a suscité beaucoup d’espoir chez les familles, du fait de son parcours. Mais nous ne sommes pas innocents. Les familles bataillent depuis des années et nous savons qu’un gouvernement socialiste peut faire très mal. Jusqu’ici cet espoir est resté en suspens. Sur tous les cas depuis leur arrivée au pouvoir, notamment celui d’Aurore Martin, c’est surtout le ministre de l’Intérieur Manuel Valls qui s’exprime avec la position qu’on lui connaît. En ce moment Christiane Taubira aurait une opportunité historique de montrer sa volonté de faire justice, notamment dans le cas de la mort de Xabier. Nous verrons. Pour l’instant nous sommes dans un gros décalage entre la parole des élus locaux et la position du gouvernement de leur propre couleur, pour certains, à Paris.
Une de vos principales revendications est la fin de la dispersion. Quelles sont les conséquences de cette dispersion?
L’effet pervers de la dispersion en plus de la monstrueuse galère qu’elle représente pour les familles, c’est que les prisonniers ont peur des accidents pour leurs proches et leur demandent de moins venir leur rendre visite. Car c’est la roulette russe chaque week-end. Par exemple en 2011 il y a eu 13 accidents comme en 2012 et déjà 2 en 2013 (soit environ 1 par mois). Et au total 16 membres de familles de prisonniers sont morts sur le long trajet qu’ils devaient faire pour rendre visite à leurs parents emprisonnés. Car aujourd’hui les 439 prisonniers de l’État espagnol sont dispersés dans 45 prisons et se trouvent en moyenne à 632 km d’Euskal Herria. Les 134 prisonniers de l’État français sont dispersés dans 31 prisons et sont en moyenne à 808 km d’Euskal Herria. Par ailleurs au sein d’une même prison, les prisonniers sont souvent également dispersés dans différents quartiers, modules ou divisions. La dispersion est en fait un outil qui sert à les tuer, notamment dans le cas des prisonniers malades. Etxerat ce sont aussi les familles des réfugiés qui connaissent également des problèmes de santé et de grande précarité.
Pouvez-vous expliquer?
Combiner le désastre qu’est l’assistance médicale en prison à l’allongement des peines et à la dispersion c’est l’équivalent de la peine de mort. Un des autres objectifs de la dispersion a été de briser le collectif des prisonniers, mais cela a échoué. Malgré les difficultés, le collectif existe et s’exprime.
Quelle est la situation des prisonniers malades?
D’après les rapports publiés ces dernières semaines par la plate-forme Jaiki Hadi (collectif de médecins et de soignants), 24 prisonniers sont morts en prison ou juste après leur sortie. Aujourd’hui 14 femmes et hommes sont toujours en prison malgré des maladies graves et incurables. Dix autres sont confinés chez eux avec des mesures de surveillance stricte en raison de leur grave maladie. Tous devraient être libres. Par ailleurs les médecins de Jaiki Hadi mettent en exergue le lien direct entre les longues peines et la dégradation de l’état de santé des prisonniers. Ainsi 22 prisonniers ont plus de 60 ans et 9 d’entre eux sont malades. 94 hommes et femmes sont en prison depuis plus de 20 ans et 27 d’entre eux ont besoin d’un traitement médical. Par ailleurs, 42 prisonniers bénéficient de très mauvaises conditions d’assistance psychologique. A Etxerat nous demandons bien sûr la libération de tous les prisonniers. Cela dit nous mettons en avant cette revendication des prisonniers malades, car c’est une situation extrême. Une fois malade, le prisonnier ne peut pas être bien soigné, cela prend des mois pour poser un diagnostic. Pour avoir un rendez-vous avec un spécialiste, c’est une catastrophe. En plus en tant que prisonnier basque il y a des mesures de sécurité particulières, notamment des escortes qui doivent les accompagner. Cela entrave fortement le droit à la santé. Récemment nous avons dénoncé le cas d’Ibon Fernandez incarcéré à Lannemezan qui a une sclérose en plaques et qui souffrait terriblement. Ils ont mis huit mois avant de lui faire une IRM!
Au même chapitre l’histoire de Xabier Lopez Peña nous remue terriblement, car nous savons que chaque prisonnier malade est en danger de mort.
Humainement et psychologiquement quelles sont les conséquences de ces détentions?
Il y a une angoisse perpétuelle pour les familles et beaucoup d’entre elles ne peuvent plus aller voir les prisonniers à cause de leur âge, de leur état de santé et de l’éloignement. Des parents âgés sont morts sans avoir pu revoir leurs fils ou leurs filles incarcérés. C’est entre autre, une des raisons d’exister d’Etxerat : tenter de faire face à ces urgences, essentiellement en développant la solidarité.
Quels sont les projets d’Etxerat?
Continuer à lutter et à témoigner par le biais des familles et des anciens prisonniers. Et faire valoir que le respect des droits de bases des prisonniers, aucun Etat ne pourra en faire l’économie dans aucun processus tel qu’il soit. Enfin le plus grand et le plus important projet d’Etxerat est de disparaître, le jour de la sortie des derniers prisonniers.
Le “moteur” de la solidarité
Muriel Lucantis, porte-parole d’Etxerat a connu la prison. C’est une ancienne prisonnière basque qui a passé deux années de 2001 à 2003 à Fleury-Mérogis. Cette jeune femme née à Lille et mère d’une adolescente de 13 ans était avant de connaître le Pays Basque une militante anti-carcérale. Elle a connu le choc carcéral et dix ans après sa libération, elle ne prend jamais sa douche sans penser à celle de la prison de Fleury et à ses compagnes toujours incarcérées : “une douche pourrie où quand tu sors tu as l’impression d’être plus sale que quand tu y es rentrée” dira-t-elle. Aujourd’hui elle a “ce moteur” qu’elle avait avant de faire de la prison : “on ne peut pas vivre normalement quand les autres sont toujours dedans” précise-t-elle. Un “moteur” et une solidarité qui fait tenir et luter les familles d’Etxerat.
L’association dénonce l’attitude de fermeture des gouvernements français et espagnol, la violence qui perdure avec l’application de l’arsenal des mesures antiterroristes : éloignement, dispersion, procédures judiciaires interminables (5 à 8 ans de détention provisoire), condamnations maximales, emprisonnement à perpétuité notamment avec la doctrine dite Parot (197 : 2006), les refus de confusions de peines et de libérations conditionnelles ou les assignations à résidence. “Ces mesures conditionnent depuis des décennies le quotidien de familles, aujourd’hui 598 dont 40 vivent au Pays Basque Nord” explique Etxerat. Et ce, malgré le cessez-le-feu définitif d’ETA validé par une commission d’experts internationaux et soutenu par la quasi-totalité des acteurs politiques et sociaux de tout le Pays Basque.