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Des drones américains à la frontière québécoise
Par Alec Castonguay
Mondialisation.ca, 25 février 2011
LeDevoir.com 25 février 2011
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L'agence américaine utilise le Predator B, un drone fabriqué par l'entreprise General Atomics, qui est aussi utilisé pour surveiller la frontière avec le Mexique. L'armée américaine utilise également l'appareil en Irak et en Afghanistan.

Photo : Source Air-Attack.com

L’agence américaine utilise le Predator B, un drone fabriqué par l’entreprise General Atomics, qui est aussi utilisé pour surveiller la frontière avec le Mexique. L’armée américaine utilise également l’appareil en Irak et en Afghanistan.

Au moment où le gouvernement fédéral canadien ferme des postes frontaliers entre le Québec et les États-Unis, les autorités américaines passent en vitesse supérieure et utiliseront des drones sophistiqués pour espionner la frontière, a appris Le Devoir. Le processus d’autorisation, que vient d’enclencher Washington, inquiète grandement les organismes de défense des droits et libertés.

Depuis 2009, les États-Unis mènent un projet-pilote avec des drones (avions sans pilote) à la frontière entre le Manitoba et le Dakota du Nord afin de piéger les trafiquants de drogue, contrebandiers, criminels et autres clandestins. L’agence frontalière américaine, la Customs and Border Protection (CBP), considère l’expérience comme un succès et souhaite maintenant étendre les opérations tout le long de la frontière, y compris dans les États qui bordent le Québec. «Le CBP planifie l’utilisation de drones le long de toute la frontière nord entre le Canada et les États-Unis», explique Juan Munoz-Torres, porte-parole du CBP à Washington.

La Federal Aviation Administration (FAA), qui réglemente l’espace aérien américain, doit toutefois analyser la situation avant de donner son feu vert. «Pour l’instant, on ne peut pas faire voler les drones à l’est du Minnesota, explique M. Munoz-Torres. Notre intention est d’abord d’étendre la surveillance près des Grands Lacs et de la voie navigable du Saint-Laurent. Ensuite, on ira vers l’Est. Mais en raison de la complexité de l’espace aérien dans ce secteur, je ne peux pas m’avancer sur le temps que la FAA prendra pour analyser le dossier, ni sur le moment où la surveillance par des drones pourrait commencer.»

Washington a pris sa décision avant que le premier ministre Stephen Harper et le président Barack Obama annoncent le début des négociations sur un périmètre de sécurité commun, il y environ un mois.

Ironiquement, pendant que les Américains tentent de bonifier leur surveillance à la frontière, le Canada semble faire l’inverse. Le 16 février dernier, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a annoncé qu’elle fermera deux postes frontière au Québec (Jamieson’s Line et Franklin Centre) et réduira les heures d’ouverture de trois autres. Cette rationalisation des coûts «n’affectera aucunement la sécurité à la frontière», selon l’ASFC.

La Sûreté du Québec a refusé de répondre à des questions concernant la volonté américaine de patrouiller dans le ciel avec ses avions sans pilote, expliquant qu’il s’agit d’une compétence fédérale. À la GRC, on refuse de commenter la décision américaine. La police fédérale affirme ne pas utiliser cette technologie du côté canadien de la frontière, mais refuse de dévoiler ses plans pour l’avenir. «On évalue constamment les nouvelles technologies qui ont pour but d’améliorer la capacité de protéger nos frontières sur une base régulière», explique la porte-parole, Lucy Shorey.

L’expérience Manitoba-Dakota

Tout comme lors du projet-pilote à la frontière entre le Manitoba et le Dakota, les drones voleront uniquement du côté américain, de sorte qu’aucune autorisation n’a été demandée au Canada.

Selon la CBP, l’utilisation des drones à la frontière du Dakota a permis d’étoffer des dossiers d’enquête et même d’arrêter des criminels (on refuse toutefois de dire combien). Les appareils décollent seulement lorsque les autorités ont des raisons de croire qu’une transaction ou un passage illégal se prépare. En 2010, plus de 500 heures de vol ont été enregistrées. «On va continuer une utilisation basée sur les besoins et non pas une utilisation constante en espérant coincer quelqu’un», dit Juan Munoz-Torres.

L’agence américaine utilise le Predator B, un drone fabriqué par l’entreprise General Atomics, qui est aussi utilisé pour surveiller la frontière avec le Mexique. L’armée américaine utilise également l’appareil en Irak et en Afghanistan. Le Predator permet de diffuser des vidéos en temps réel, de prendre des photos d’une extrême précision (des pas dans la neige, des traces de pneus sur la route) et est muni de détecteurs infrarouges et de radars. Il mesure 12 mètres de long par 20 mètres de large et peut rester dans les airs pendant 20 heures. Il vole généralement à 6000 mètres d’altitude, sauf pendant les conditions météo extrêmes, où il est souvent cloué au sol.

Des inquiétudes

L’approche sécuritaire des États-Unis à la frontière inquiète les organismes de défense des droits et libertés, qui craignent les dérapages. Les capteurs des drones étant particulièrement performants — ils peuvent enregistrer des images sur 40 km2 — les appareils peuvent donc aller chercher des images du côté canadien, même s’ils restent physiquement dans le territoire des États-Unis. Une famille qui vit non loin de la frontière pourrait se retrouver dans l’oeil du Predator lorsqu’elle joue dans sa piscine l’été, dans sa cour. Un homme qui prend se balade en forêt près des lignes américaines pourrait être enregistré. Et ainsi de suite.

«On trouve ça très préoccupant, affirme Dominique Peschard, président de la Ligue des droits et libertés, à Montréal. Le Canada n’a aucun contrôle sur les images captées. Les États-Unis peuvent garder et utiliser ce qu’ils veulent.»

Les autorités américaines assurent qu’elles n’ont aucun intérêt à surveiller la vie privée des gens et que les enregistrements qui ne présentent aucune utilité ne sont pas conservés.

Dominique Peschard trouve «dérangeant» le fait que les citoyens canadiens ne puissent rien faire contre ce type de surveillance. «Dans une démocratie, la police ne peut pas surveiller des gens sans motifs raisonnables. Il faut donc se fier à ce que les États-Unis disent et donnent comme garanties, mais quand on sait que l’administration Bush a espionné ses propres citoyens, en contravention de la loi, après les attentats du 11-Septembre, ce n’est pas très rassurant.»

La Ligue des droits et libertés déplore cette volonté «de toujours justifier l’envahissement de la surveillance par des menaces appréhendées», alors que la menace terroriste en provenance du Canada «est faible».

Les autorités américaines estiment au contraire qu’il faut être vigilant. «L’information fournie par les drones permet de diminuer la criminalité, ce qui est dans l’intérêt des deux pays», affirme Juan Munoz-Torres, qui ajoute que les trafiquants de drogue et autres contrebandiers utilisent notamment des véhicules tout-terrain et des motoneiges pour passer la frontière dans des endroits reculés et non surveillés par la grande frontière.

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