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Des « fissures » dans la Caverne : l’inauguration de Svalbard ne fait pas l’unanimité.
Par Grain
Mondialisation.ca, 08 avril 2008
GRAIN 8 avril 2008
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Après des mois d’extraordinaire publicité, et avec le soutien apparemment unanime de la communauté scientifique internationale, la « Global Seed Vault » a été officiellement inaugurée aujourd’hui sur l’île de Svalbard, en Norvège. Nichée au cœur d’une montagne, cette Caverne est en fait un morceau de glace géant capable de contenir 4,5 millions d’échantillons de semences entreposées dans le froid pour les besoins futures de l’humanité. L’idée est que si une catastrophe majeure frappait l’agriculture mondiale, comme les retombées d’une guerre atomique par exemple, les pays pourraient se tourner vers la Caverne pour en retirer des semences et redémarrer une production alimentaire. Cependant, cette « ultime niche de sécurité » pour la biodiversité dont dépend l’agriculture mondiale est malheureusement le dernier acte d’une stratégie plus vaste qui vise à faire de la conservation ex situ (hors sites) dans des banques de semences l’approche dominante pour la conservation de la diversité des plantes cultivées. Elle procure une fausse impression de sécurité dans un monde où la diversité des plantes cultivées présente dans les champs des agriculteurs continue de s’éroder et d’être détruite à un degré qui va en s’aggravant et contribue aux problèmes d’accès qui rongent le système ex situ international.

Des affirmations fausses

Cary Fowler, directeur du Global Crop Diversity Trust et l’un des principaux partisans de la Caverne, déclare que l’initiative  » sauvera les plus importantes collections au niveau mondial des 21 plantes cultivées alimentaires les plus importantes des pays en développement. » Même s’il est vrai que la diversité des plantes cultivées nécessite d’être sauvegardée et protégée, car une diversité irremplaçable est en train de disparaître à une vitesse alarmante, compter uniquement sur l’enfouissement de semences dans des congélateurs n’est pas une réponse. Il y a actuellement dans le monde 1500 banques de gènes ex situ qui n’arrivent pas à conserver et préserver la diversité des plantes cultivées. Des centaines d’échantillons stockés sont morts, car beaucoup ont été rendus inutilisables par manque d’information de base sur les semences, et une quantité innombrable d’autres ont perdu leurs caractéristiques uniques ou ont été génétiquement contaminés lors de remises en culture périodiques pour la multiplication. Cela s’est produit partout dans le système ex situ, pas seulement dans les banques de gènes des pays en développement. C’est pourquoi le problème n’est pas d’être pour ou contre les banques de gènes, mais réside dans le fait de compter sur une seule stratégie de conservation qui comporte, en elle-même, une série de problèmes.

Le problème le plus grave quand on axe la conservation des semences uniquement sur le système ex situ, et que la Caverne de Svalbard renforce, c’est qu’il est fondamentalement injuste. Il enlève des variétés végétales uniques aux agriculteurs et aux communautés qui les ont créées au départ, sélectionnées et partagées et les empêchent d’y accéder. La logique est que comme les variétés traditionnelles des communautés sont remplacées par des nouvelles variétés qui sortent des laboratoires de recherche – des semences qui sont censées produire des rendements plus élevés pour nourrir une population qui augmente – les variétés anciennes doivent être mises de côté comme « matière première » pour une sélection végétale future. Ce système oublie que les agriculteurs sont les premiers sélectionneurs du monde et qu’ils continuent de l’être. Pour avoir accès aux semences, vous devez être intégré à tout un cadre institutionnel dont la plupart des agriculteurs dans le monde ignorent même l’existence. Dit simplement, l’ensemble de la stratégie ex situ répond aux besoins des scientifiques et non des agriculteurs.

De plus, le système fonctionne sur l’hypothèse suivante : une fois que les semences des agriculteurs entrent dans une unité de stockage, elles ne leur appartiennent plus et la négociation sur les droits de propriété intellectuelle et autres droits sur ces semences est l’affaire des gouvernements et de l’industrie des semences elle-même. Dans les soit disant banques de gènes publiques, les semences deviennent partie du « domaine public » quand ce n’est pas « sous la souveraineté nationale » (ce qui se traduit de plus en plus par propriété de l’Etat). Le Groupe consultatif de recherche agricole international (GCRAI), qui dirige près de 15 banques mondiales de gènes pour les plantes alimentaires de base les plus utilisées, a même mis en place un arrangement légal de « curatelle » qu’il exerce sur le coffre au trésor des semences paysannes qu’il détient « pour le compte » de la communauté internationale, sous les auspices de la FAO. Pourtant ils n’ont jamais demandé aux agriculteurs dont ils ont pris les semences au départ, si cela leur convenait et ils les ont laissés totalement en dehors de l’arrangement de la curatelle.

La nouvelle Caverne de Svalbard est bien installée au sommet de cette mauvaise construction et de ces fausses hypothèses, et exacerbe inévitablement ces problèmes. Et comme c’est une collection de sauvegarde pour la « fin du monde », cela élève les enjeux à de nouvelles extrémités. Personne ne peut vraiment garantir que la Caverne sera efficace pour conserver les semences vivantes et sa sécurité n’a pas été testée. Quelques jours avant l’ouverture de la Caverne, Svalbard a été le centre du plus gros tremblement de terre de l’histoire de la Norvège, même si l’étude de faisabilité de l’équipement garantissait qu’ « il n’y avait pas d’activité volcanique ou sismique significative » dans la région. Mais ce qui est plus gênant que n’importe quelle question technique, c’est le problème de l’accès, car les clés sont détenues par un petit nombre de mains.

Difficultés pour l’accès et les bénéfices

La Caverne ne résout pas les problèmes cruciaux relatifs à l’accès et aux bénéfices du bien le plus précieux de la biodiversité agricole mondiale. Le gouvernement norvégien est responsable en dernier ressort de la Caverne et il est actuellement vu comme juste et digne de confiance, mais il n’y a aucune garantie que la politique de ce pays ne change pas un jour. Le gouvernement norvégien le reconnaît d’ailleurs lui-même, puisqu’il a fourni des accords aux dépositaires, qui durent seulement dix ans et qui comprennent des clauses les autorisant à y mettre fin en cas de changement de politique. Mais ce qui est sans doute encore plus important, c’est que le gouvernement norvégien ne prendra pas ses décisions de manière autonome. Les décisions seront partagées avec le Global Crop Diversity Trust, une entité privée bénéficiant d’importants financements du privé et des multinationales.

ll y a déjà quelques problèmes d’accès avec la Caverne. Pour toutes sortes de raisons pratiques, les semences ne peuvent pas être entreposées dans la Caverne si elles ne proviennent pas de banques de gènes qui ont réussi à dupliquer leurs échantillons dans une autre banque. De plus, les dépositaires ne sont pas autorisés à déposer des semences qui sont déjà dans la Caverne. L’Accord standard du dépositaire stipule que « le dépositaire devra déposer seulement des échantillons de ressources génétiques de plantes qui sont, autant que le dépositaire puisse le savoir, des échantillons de ressources génétiques de plantes qui n’ont pas encore été déposée dans la « Caverne mondiale de semences de Svalbard » et que « le dépositaire reconnaît le droit au Ministère royal de l’agriculture et de l’alimentation norvégien de refuser d’accepter des échantillons en dépôt ou de mettre un terme au dépôt d’échantillons déjà déposés si les échantillons se trouvent être des doubles de ressources génétiques déjà mises en dépôt dans la Caverne mondiale de semences de Svalbard. »

Une règle stipule que seuls les dépositaires peuvent avoir accès à leurs propres collections à Svalbard ou donner l’autorisation à quelqu’un d’autre de le faire. Avec tous les paquets de semences du GCRAI arrivant déjà en Norvège, cela veut dire que les centres GCRAI seront les dépositaires de la majeure partie des semences de la Caverne, ce qui leur donne pratiquement le contrôle exclusif sur l’accès. En effet, comme l’indique l’étude de faisabilité de la Caverne des semences, il a été « supposé que la Caverne commencerait avec un noyau composé de ressources génétiques en provenance des GCRAI et de celles de quelques banques de gènes nationales clés et que ces « collections fondatrices » décourageraient toute duplication ultérieure inutile des ressources à l’intérieur des équipements de Svalbard. » En dehors des 19 instituts dépositaires qui se sont inscrits à la Caverne jusqu’à présent, seuls trois sont des banques de semences nationales de pays en voie de développement. La Caverne n’est donc pas un lieu de dépôt sûr pour n’importe qui, c’est surtout la planque privée du GCRAI.

En pratique cela signifie que beaucoup de pays en développement qui voudraient dupliquer leurs collections à Svalbard ne seraient pas en mesure de le faire si facilement. Cela serait vu comme une duplication de ce que le GCRAI a déjà déposé. Ils n’auront pas par conséquent un accès direct aux semences se trouvant dans la Caverne et qui ont pu être collectées dans leur pays. Pour l’instant, cela peut ne pas beaucoup inquiéter les gouvernements qui ont des collections de sauvegarde pour les semences mais la situation pourrait être totalement différente en cas de scénario apocalyptique lorsque cette ressource unique et cruciale se trouverait alors uniquement à Svalbard : quelles décisions prendre alors? Pour les agriculteurs il n’y a pratiquement aucune possibilité d’accès direct aux semences se trouvant dans la Caverne.

La fin du monde mise à part, il est important de se demander qui profite réellement du système ex situ auquel la Caverne contribue. Comme les quelques multinationales des semences qui contrôlent plus de la moitié des 30 milliards annuels du marché mondial des semences mettent la main sur les programmes publics de sélection végétale, et que les gouvernements se désengagent de la sélection végétale, les ultimes bénéficiaires seront ces mêmes entreprises qui sont à l’origine de la destruction de la diversité des plantes cultivées.

Cessez plutôt de détruire la diversité!

Si les gouvernements étaient réellement intéressés par la conservation de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture, ils feraient deux choses. Leur priorité centrale serait d’abord de concentrer leurs efforts sur le soutien à la diversité dans les fermes et les marchés de leurs pays plutôt que de parier seulement sur les grosses banques de gènes centralisées. Cela signifie qu’ils laisseraient les semences entre les mains des agriculteurs locaux, avec leurs pratiques agricoles actives et innovantes, en respectant et en encourageant les droits des communautés à conserver, produire, sélectionner, échanger et vendre les semences. Mais cela ne se produira pas si les gouvernements ne remettent pas complètement en question la politique et les réglementations agricoles et n’arrêtent pas de développer en priorité l’industrialisation et d’alimenter les marchés mondiaux contrôlés par les entreprises au lieu de laisser les agriculteurs nourrir librement leurs propres communautés et pays. Cela signifie faire de la souveraineté alimentaire le fondement d’une politique agricole au lieu de continuellement pousser l’agriculture toujours plus sur la voie destructive de l’intégration au marché global dirigé par les entreprises.

Svalbard est sur le point d’enfermer la diversité, dans le cas d’une éventuelle catastrophe. La réelle urgence cependant, est de laisser la diversité vivre – dans les fermes, dans les mains des agriculteurs, et à travers les marchés contrôlés par les populations et orientés vers les communautés – aujourd’hui.

Mise au point de GRAIN

Quelques jours après la publication de ce numéro d’A contre-courant du 26 février 2008, une critique a été exprimée disant que notre article aurait suggéré une conspiration alliant la Caverne, le Global Crop Diversity Trust et les multinationales des semences. C’est une incompréhension qui, heureusement, n’a pas suscité de réponses ni de couverture médiatique importantes pour cet article. Notre opinion était que la Caverne et les collections ex situ en général (et en particulier les institutions impliquées dans la gestion de ces collections) sont empêtrées dans le contexte mondial actuel où quelques entreprises dominent la sélection végétale et se servent des brevets et d’autres mécanismes de manière agressive pour monopoliser l’accès et le contrôle sur les semences. Dans un tel contexte, même lorsque les intentions sont parfaitement honorables, les questions relatives à l’accès et au contrôle des ressources génétiques par n’importe quelle banque de gènes sont extrêmement importantes et inévitables, et doivent être traitées en profondeur.  Nous espérons que les échanges et le débat autour de la Caverne et autour des banques de gènes en général continuera sur ces bases.

Il nous a aussi été signalé que la note concernant Cary Fowler (paragraphe 2) était dans le contexte non pas en référence à la Caverne elle-même mais à une ‘initiative’ de Global Trust, en relation avec la Caverne, pour « sauvegarder » les semences  dans les banques de gènes dans les pays en développement. Nous regrettons tout malentendu que cela peut avoir entraîné. Pour des commentaires spécifiques plus récents de Fowler sur la Caverne, vous pouvez consulter l’article du N-Y Times du 29 février 2008.

Article publié le 26 février 2008.

Lectures complémentaires:

Aasa Christine Stoltz, « Norway’s biggest quake hits Svalbard archipelago, » Reuters, 21 February 2008, http://www.reuters.com/article/ environmentNews/idUSL2173668320080221

Le gouvernement norvégien et la Caverne de Svalbard: http://www.nordgen.org/sgsv/

Le Global Crop Diversity Trust et la Caverne de Svalbard: http://www.croptrust.org/main/arctic.php?itemid=216

Le Traité international sur les ressources génétiques des plantes pour l’alimentation et l’agriculture: http://www.planttreaty.org/

GRAIN,  » Le Traité sur les semences de la FAO: des droits des agriculteurs aux privilèges des obtenteurs Seedling, octobre 2005, http://www.grain.org/seedling/?id=418

Center for International Environment and Development Studies et al, « Study to assess the feasibility of establishing a Svalbard Arctic seed depository for the international community », prepared for the Ministry of Foreign Affairs and the Ministry of Agriculture and Food, 14 September 2004, http://www.regjeringen.no/en/dep/ lmd/campain/svalbard-global-seed-vault/publications.html?id=463313

Svalbard Global Seed Vault – Standard Depositor Agreement: http://www.nordgen.org/sgsv/index.php?page=depositor_guidelines

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