Des impunités : Blackwater & CO. en Irak
Les innovations technologiques ne cessent pas. Il y en a aussi dans d’autres domaines: le personnel des entreprises « contractantes » (sous-traitantes) de sécurité qui travaillent pour le gouvernement des USA en Irak sont dans la catégorie 007 et peuvent assassiner sans crainte de châtiment. Le 16 septembre dernier, la mort de 17 civils irakiens (24 blessés) des mains des « employés » de Blackwater – une des plus de 180 entreprises, surtout usaméricaines et britanniques, qui se consacrent à telle activité – met en évidence une variété de l’impunité peu connue. Le Département d’État a conclu avec elles des contrats se chiffrant en millions qui en plus de leur garantir le paiement de compensations quand un « travailleur » décède dans le pays occupé, leur garantit qu’aucun coupable de l’ « usage de la force mortelle » ne sera poursuivi. La prétention de la Maison Blanche qu’aucun de ses effectifs militaires n’apparaissent jamais devant un tribunal étranger est notoire, quelle que soit la violence commise. La nouveauté est que cela s’est étendu à des civils à son service qui, d’autre part, ne dépendent d’aucune hiérarchie militaire.
Une « obligation » des agents de sécurité fixée dans l’accord signé avec Blackwater établit textuellement: « Je comprends en plus qu’aucune de mes déclarations, ni informations, ni preuves obtenues en raison de mes déclarations, ne peuvent être utilisées contre moi dans une procédure pénale, sauf quand je formule consciemment et délibérément des déclarations ou des informations fausses, auquel cas je peux être jugé pénalement pour cette action » (CBS, 31-10-07). Feu vert, par conséquent. D’autres sociétés -Titan, CACI International Inc., Erinys, etc -sont protégées par la même clause d’impunité.
Il y a 180.000 contractuels en Irak et leur nombre dépasse celui des troupes occupantes, estimé à 165.000. Leur mission consiste à surveiller les puits de pétrole et les convois de matériel contre de possibles attentats, à servir de gardes du corps aux diplomates et fonctionnaires usaméricains, entre autres tâches de sécurité. Ils se sont transformés en mercenaires mieux payés que les effectifs réguliers usaméricains, parfois beaucoup mieux. Il n’en manque pas qui ont une expérience accumulée en la matière. Des anciens policiers, des anciens militaires, des anciens parapoliciers et des anciens paramilitaires des dictatures du Cône Sud, de la main-d’oeuvre aujourd’hui sous-employée, figurent aussi dans leurs rangs.
Le 28 janvier 2004 a explosé à Bagdad une camionnette camouflée en ambulance. La journaliste Sinfo Fernandez Navarro a établi qu’au moins un mort et un blessé dans l’explosion avaient été des experts en Afrique du Sud durant l’apartheid. Le mort, François Strydom, se consacrait à assassiner de opposants à la frontière avec la Namibie. Le blessé, Deon Guows, s’était spécialisé dans l’incendie des maisons, avait tué quatre personnes désarmées dans une voiture selon le témoignage du chauffeur de l’automobile de Mandela (www.nodo50.org/csca/agenda2004/iraq/sinfo_31-05-04.html ). Ils sont parfaitement formés pour faire avec les civils irakiens ce que le Département d’État permet ou veut qu’il soit fait.
Les entreprises de cette branche envoient des armes diverses à leurs contractuels, qui ont des arsenaux et leurs propres hélicoptères. Il a été dénoncé que Blackwater exporte des silencieux pour eux sans accomplir les démarches nécessaires. C’est un appareil qui, y compris aux USA, est d’usage restreint et est strictement destiné aux forces spéciales de l’armée pour ses opérations clandestines ou ses attaques nocturnes. « Il est extrêmement difficile d’obtenir du Département d’État le permis pour exporter ces silencieux » (MSNBC, 1-11-07) et théoriquement ils ne sont pas nécessaires pour les tâches d’escorte. Pour les autres, oui.
Ce type d’impunité a été institué par décret par le gouvernement fantoche sous le commandement du vice-roi Paul Bremer III. Le 4 mai 2004, deux jours avant d’achever son mandat, il a émis l’Ordre 17 qui empêche les militaires occupants et civils des entreprises de sécurité d’être jugés conformément aux lois irakiennes. Le scandale de la tuerie effectuée par les sicaires de Blackwater conduisit les autorités irakiennes à présenter un projet qui met fin à l’immunité des contractuels. La question a été une source constante de tensions entre W. Bush et Nuri Kamal Al Maliki, le Premier ministre d’Irak, pour ne pas parler de l’indignation de ses habitants sur l’assassinat impuni d’enfants et de femmes innocents. Mais ces victimes ne comptent pas.
La Maison Blanche n’a pas eu d’autre ressource que de charger le FBI d’enquêter sur ce qui s’était passé. Ceux de Blackwater ont déclaré qu’il avaient essuyé des coups de feu avant de répliquer, mais les témoins présents affirment le contraire. Cependant: « De hauts fonctionnaires (usaméricains) qui ont gardé l’anonymat parce que l’enquête est en cours, ont indiqué que la protection légale accordée par le Département d’État (aux entreprises de sécurité) pourrait étouffer les processus judiciaires si les enquêteurs ne trouvent pas d’autres preuves sur la scène du crime, sur laquelle six semaines ont passé » (CBS, 31-10-07). On a compris.
Article original en espagnol, Pagina12, 12 novembre 2007.
Traduit par Gérard Jugant, révisé par Fausto Giudice. Gérard Jugant et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.