«Des milliers d’urnes»: la dernière théorie du complot des USA sur le bilan des décès de la Chine

Une histoire largement diffusée et très douteuse selon laquelle la Chine a dissimulé des dizaines de milliers de morts provient d’un organe de propagande du gouvernement américain et d’un membre de longue date d’une secte d’extrême droite anti-Pékin.

Alors que les États-Unis souffrent de la pire épidémie de coronavirus au monde, le président Donald Trump a insisté sur le fait que si son administration parvenait à maintenir le nombre de décès à 100 000, elle ferait « un très bon travail ». Afin de détourner l’attention des échecs patents et des mensonges qui ont permis à la pandémie de se propager aussi profondément dans la population américaine, la Maison Blanche a lancé une campagne de relations publiques visant à rejeter la faute sur la Chine. Au cœur de la version de Washington se trouve une accusation selon laquelle Pékin aurait orchestré une « dissimulation » responsable de la situation désastreuse aux États-Unis.

Après avoir diabolisé avec zéle la Chine pendant qu’elle se débattait contre le pire de la crise du coronavirus, les médias américains redirigent l’indignation américaine sur un croquemitaine étranger. Tout en prétendant que la réponse américaine au coronavirus est « sabotée » par la « désinformation » chinoise et russe, la presse américaine promeut d’obscènes théories du complot selon lesquelles le nombre de décès dus aux coronavirus en Chine est supérieur de plusieurs dizaines de milliers au nombre officiel.

Une théorie du complot colportée par le réseau de propagande du gouvernement américain Radio Free Asia

La déclaration de dizaines de milliers de morts cachées semble avoir été rapportée pour la première fois par Radio Free Asia (RFA), une agence de presse du gouvernement américain créée pendant la Guerre froide dans le cadre d’un « réseau mondial de propagande construit par la CIA », selon le New York Times. RFA est gérée par le Broadcasting Board of Governors (BBG), une agence fédérale du gouvernement américain sous la supervision du Département d’État. Décrivant son travail comme « vital pour les intérêts nationaux des États-Unis », la principale norme de diffusion du BBG est d’être « compatible avec les grands objectifs de la politique étrangère des États-Unis ».

Dans un article publié le 27 mars, RFA affirme de façon accablante et explosive que le nombre de décès liés aux coronavirus en Chine est bien plus élevé que le chiffre officiel, accusant les responsables gouvernementaux chinois de dissimuler ces faits. Sans surprise, le seuil des preuves requises par RFA pour ces affirmations extraordinaires sur la Chine est extrêmement bas.

RFA s’appuie sur les « calculs de base » de « certains posts de réseaux sociaux » pour conclure que « les estimations démontrent » que 42 000 à 46 800 personnes sont mortes du COVID-19 à Wuhan, l’épicentre de l’épidémie de coronavirus en Chine. Ces chiffres dépassent de loin les 2 548 décès officiels à Wuhan et 3 312 pour l’ensemble du pays. Imaginons que les médias d’État chinois fassent des déclarations sur les États-Unis sur la base de messages anonymes trouvés dans des recoins de Twitter. Curieusement, aucun des posts des réseaux sociaux auxquels RFA a fait référence n’était cité dans son article.

Les « estimations » de RFA sont basées sur des spéculations macabres concernant la capacité de crémation des funérariums de Wuhan. RFA cite un article du média chinois Caixin sur les arrangements funéraires pris par les habitants de Wuhan pendant la crise. Le 26 mars, Caixin a rapporté que 5.000 urnes mortuaires étaient arrivées à une morgue de Wuhan sur une période de deux jours. Cette information est considérée comme une preuve accablante de la perfidie du gouvernement chinois, uniquement parce qu’elle dépasse le nombre officiel des décès du Covid-19 à Wuhan.

RFA ignore complètement le fait que les résidents ont continué à mourir d’autres causes pendant la pandémie, ainsi que les retards des funérailles et des incinérations causés par la fermeture de la ville pendant plusieurs mois. En 2019, environ 56 000 crémations ont eu lieu à Wuhan, selon les statistiques officielles de la ville.

Cela signifie qu’environ 4600 résidents sont morts par mois, un chiffre qui était probablement plus élevé pendant les mois d’hiver, avec de plus le système de soins de santé de Wuhan submergé par l’épidémie. Wuhan étant fermée depuis le 23 janvier, on devait s’attendre à une augmentation substantielle de l’utilisation des pompes funèbres et des crématoriums.

Peu préoccupés par le manque de preuves tangibles rassemblées par RFA, ou par sa méthodologie douteuse, les médias grand public américains – aux côtés des sénateurs républicains néocons d’extrême droite Ted Cruz et Tom Cotton – ont amplifié ces revendications incendiaires de l’agence gouvernementale américaine. Parmi les médias qui ont colporté cette histoire sans esprit critique, citons Bloomberg, TIME, VICE, Yahoo! News, Newsweek et Fox News. [Et une pléthore de médias français à leur remorque, NdT].

(Tweet : « Wuhan n’a rapporté qu’environ 2 500 décès dus au #coronavirus, mais 5 000 urnes ont été livrées à une morgue en seulement 2 jours. « Wuhan a sept autres morgues »)

Washington s’est emparé de cette théorie du complot pour encourager les efforts visant à détourner l’attention de sa mauvaise gestion de l’épidémie de coronavirus. Peu de temps après ces reportages, les agences de renseignement américaines ont déclaré qu’elles avaient « établi » que « les chiffres de la Chine sont faux » en ce qui concerne les infections et les décès dûs au coronavirus. Ces conclusions étaient basées sur un « rapport secret » préparé pour la Maison Blanche – dont l’appareil de renseignement a refusé de révéler le contenu.

La secte d’extrême droite Falun Gong derrière les affirmations de crématoires

Bien que RFA n’ait pas révélé la source de ses revendications, il semble qu’elles proviennent de la secte chinoise d’extrême droite et anti-gouvernementale Falun Gong. [1] Un article de VICE sur l’histoire des « urnes » cite un tweet de Jennifer Zeng, membre de la secte, dans lequel elle fait des affirmations farfelues concernant l’infection par le coronavirus et le nombre de décès en Chine. Il est important de noter que le tweet de Zeng, daté du 26 mars, a été publié un jour avant l’article initial de RFA.

Jennifer Zeng 曾錚@jenniferatntd
 (Tweet : Combien de personnes sont mortes à #Wuhan et en #Chine ?

Estimation basse fondée sur le nombre d’urnes distribuées dans 8 crématoriums à Wuhan par l’analyste financier @charles984681
Morts totales à Wuhan : 59K
Nombre total de décès en Chine : 97K
Infections totales en Chine : 1,21 millions)

Zeng est membre de longue date de la secte d’extrême droite Falun Gong, ayant rejoint le groupe en 1997. Comme l’a rapporté Ryan McCarthy pour The Grayzone, les adeptes de Falun Gong pensent que « Trump a été envoyé par le ciel pour détruire le Parti communiste ». Le groupe pense également que la science moderne a été inventée par des extraterrestres dans le cadre d’un plan visant à s’emparer du corps humain ; que le féminisme, l’environnementalisme et l’homosexualité font partie du plan de Satanpour faire de nous des communistes ; et que le mélange des races rompt notre lien avec les dieux.

Depuis 2001, Zeng travaille comme reporter pour la branche de propagande et réseau médiatique ardemment pro-Trump du Falun Gong, The Epoch Times. Selon les révélations d’un reportage de NBC News d’août 2019, l’organisation a dépensé plus de 1,5 million de dollars pour environ 11 000 publicités pro-Trump en seulement six mois, « plus que toute autre organisation en dehors de la campagne de Trump elle-même, et plus que la plupart des candidats démocrates à la présidence ont dépensé pour leur propre campagne ».

Zeng a rejoint les forces américaines d’extrême droite qui s’opposent aux mouvements de gauche et socialistes en pleine ascension aux États-Unis. Lors d’un rassemblement dénommé « Stop au socialisme, choisissez la liberté » organisé par le Tea Party à Washington DC en septembre 2019, Zeng a prononcé un discours intitulé « J’ai échappé au ‘socialisme avec des caractéristiques chinoises’ ; je ne veux pas vivre à nouveau sous le socialisme aux États-Unis ».

« Je ne veux plus vivre dans une quelconque sorte de socialisme. » a déclaré Zeng devant la foule. « Mais ici, aux États-Unis, je commence à avoir l’impression qu’il m’a suivi. »

Zeng s’exprimant lors d’un rassemblement organisé par le Tea Party le 19 septembre 2019

 Zeng écrit que les Chinois considèrent Trump comme leur « puissant grand-père » et espèrent qu’il « mettra fin au Parti communiste chinois » de la même manière que l’ancien président américain Ronald Reagan « s’est débarrassé du Parti communiste en Union soviétique ».

Souhaitant que la Chine revienne à un état de soumission à l’Occident, Zeng préconiseque les États-Unis « régulent le comportement de la Chine […] d’après l’étalon américain, les règles américaines et les normes américaines, qui sont, bien sûr, aussi les normes universelles du monde libre ».

La communauté médicale et scientifique internationale conteste la propagande anti-chinoise de l’establishment américain

La récente vague d’accusations selon lesquelles la Chine dissimule le nombre total de ses décès liés aux coronavirus n’est que le dernier exemple du dénigrement de la réponse chinoise à l’épidémie par les médias grand public, comme l’ont documentéAlan MacLeod pour Fairness and Accuracy in Media et la chercheuse indépendante Amanda Yu Mei-Na.

En opposition frappante aux dénonciations de l’establishment américain, les dirigeants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont loué les efforts de la Chine pour combattre la pandémie de coronavirus et ont suggéré que le monde suive son exemple.

« Face à un virus jusqu’alors inconnu, la Chine a déployé l’effort de confinement de la maladie peut-être le plus ambitieux, le plus agile et le plus agressif de l’histoire », peut-on lire dans le rapport de la mission de l’OMS composée de 25 experts médicaux internationaux qui se sont rendus en Chine pour enquêter sur l’épidémie de COVID-19 en février 2019. « L’ audacieuse approche de la Chine pour contenir la propagation rapide de ce nouvel agent pathogène respiratoire a changé le cours d’une épidémie mortelle qui s’intensifiait rapidement ».

« Si j’ai le COVID, je vais en Chine », a déclaré le Dr Bruce Aylward, sous-directeur général de l’OMS et chef de la mission COVID-19 de l’agence. « Ils savent comment garder les gens en vie. »

« Ce que j’ai vu, c’est un énorme sens de la responsabilité et du devoir de protéger leurs familles, leurs communautés et même le monde entier contre cette maladie », a déclaré Aylward. « Je suis parti avec un profond sentiment d’admiration pour les habitants de Wuhan et pour la société chinoise en général ».

L’OMS a catégoriquement rejeté les accusations selon lesquelles la Chine serait responsable de la propagation mondiale du COVID-19. Selon son directeur général, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, « les actions [de la Chine] ont en fait contribué à prévenir la propagation du coronavirus dans d’autres pays ».

« Je déclare une urgence de santé publique de portée internationale concernant l’épidémie mondiale de coronavirus, non pas à cause de ce qui se passe en Chine, mais à cause de ce qui se passe dans d’autres pays », a déclaré Tedros, comme on l’appelle [c’est son prénom, NdT]. « À bien des égards, la Chine est en train d’établir une nouvelle norme en matière de réponse aux épidémies ».

Le Dr Michael Ryan, directeur exécutif du Programme des urgences sanitaires de l’OMS, s’est fait l’écho de ces sentiments, en déclarant que l’agence n’avait « jamais vu une ampleur, un engagement de réponse épidémique de ce niveau » et que la Chine « prenait des mesures extraordinaires face à un défi extraordinaire ».

Tragiquement, les médias grand public de Washington et des ploutocrates américains semblent plus déterminés à détourner l’attention de leur réponse totalement inadéquate qu’à protéger les Américains d’une pandémie. Avec leurs déclarations belliqueuses et de plus en plus rageuses contre la réponse de la Chine, ils préparent le terrain pour une autre crise mondiale. Comme l’ont récemment déclaré deux responsables de l’administration Trump à un journaliste, « Trump est furieux [contre la Chine] et il veut des mesures ».

Ajit Singh

 

Paru sur The Grayzone Project sous le titre US pushes conspiracy theory on China’s coronavirus death toll to deflect from Trump administration failures, le 1er avril 2020.

Traduction Entelekheia
Photo Engin Akyurt/Pixabay

Note de la traduction :

[1] La secte Falun Gong parle régulièrement de crématoires occultes en Chine depuis 2007, ainsi que de « trafic d’organes » prélevés sur ses membres et les Ouïghours, et moult autres histoires d’horreur sur Pékin – qui sont toutes reprises avec entrain, et sans la moindre preuve, par la presse grand public et certains sites alternatifs de droite des USA. Pour mettre cette secte en perspective, il faut rappeler que si la Chine a toujours connu des sociétés secrètes opposées aux pouvoirs en place (Lotus blanc à partir du XIIe siècle, Boxers au tout début du XXe et encore bien d’autres), elle étaient toutes ultra-patriotes : il eût été hors de question pour l’une quelconque d’entre elles de s’acoquiner avec une puissance étrangère. Le Falun Gong, sous les apparences d’une tradition millénaire chinoise, est donc une anomalie en raison de son alignement sur les USA et a fortiori, du soutien qu’il reçoit du Département d’Etat américain à travers l’une de ses courroies de transmission, l’ONG étatique Freedom House. 



Articles Par : Ajit Singh

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