Des processus de paix à l’épreuve du feu

Darfour, Tchad, Centrafrique

Synthèse

·         Le conflit du Darfour (Ouest du Soudan) et ses conséquences au Tchad et en Centrafrique mettent à nouveau en évidence les hésitations et les limites des actions de la communauté internationale dans la gestion des crises.

·         Dans les trois pays, pas moins de six opérations de paix menées par quatre organisations internationales tentent de coordonner leurs actions.

·         Nulle part les conditions essentielles du retour à la paix ne semblent réunies. Et la communauté internationale – ONU en tête – se retrouve une nouvelle fois à « maintenir la paix dans des pays où il n’y a pas de paix ».

·         En déployant des missions inadaptées à la situation, l’ONU et l’UE font courir des risques énormes à tous ceux qu’elles envoient sur le terrain sans assurance de diminuer les souffrances des populations civiles.

·         Face à des grandes puissances qui privilégient leurs intérêts immédiats et cherchent à instrumentaliser les organisations internationales, n’est-on pas en train d’assister à une démonstration de mauvaise gouvernance mondiale dans la région ?

1.     Le conflit du Darfour et ses conséquences régionales

Depuis 2003, l’aggravation du conflit opposant les groupes rebelles du Darfour à l’armée soudanaise et aux milices Janjawid soutenues par Khartoum a fait plus de 200.000 victimes civiles, directes et indirectes, et deux millions de déplacés et réfugiés au Tchad et en République centrafricaine. Le Darfour, territoire grand comme la France et situé à l’Ouest du Soudan compte près de 6 millions d’habitants composés de trois tribus principales : les Four (qui ont donné leur nom au Darfour), les Masalit et les Zaghawa. Les principaux mouvements rebelles qui se sont soulevés contre le gouvernement central en 2003 sont l’Armée de libération du Soudan (ALS) dirigée par Abdel Wahid Mohamed Ahmed Nur, Khamis Abdallah Abakar et Minni Arkoi Minawi et le Mouvement pour la justice et l’équité (MJE) dirigé par Khalil Ibrahim Mohamed. Ils revendiquent une meilleure répartition des ressources et des richesses du pays. Le conflit est essentiellement politique même si les principaux acteurs mobilisent les facteurs identitaires, notamment ethniques, pour recruter leurs combattants. Le conflit se nourrit aussi des trafics d’armes et de l’instabilité générale qui règne dans cette région à cheval entre trois pays, le Tchad, la République centrafricaine et le Soudan[1].

Le nombre élevé de déplacés et de réfugiés du Darfour s’explique par la violence grandissante orchestrée par les milices Janjawid depuis 2003 avec le soutien de l’armée gouvernementale soudanaise. Viols, meurtres et pillages sont commis dans de nombreux villages où les milices appliquent la politique de la terre brûlée, ce qui force les populations à fuir. Les pressions de la communauté internationale sur le gouvernement soudanais pour qu’il désarme ces milices n’ont pas encore donné de résultats tangibles malgré les engagements de Khartoum dans ce sens.

Contrairement à certaines affirmations, il ne s’agit pas d’un conflit religieux parce que la plupart des populations du Darfour sont musulmanes. Par contre, selon de nombreux observateurs, le gouvernement central, pour se maintenir au pouvoir, instrumentalise les groupes ethniques locaux sur la base de leur compétition pour l’espace et les ressources. Il utilise ainsi les milices Janjawid recrutées parmi les tribus « arabes » pour réprimer les principales tribus « africaines » du Darfour parmi lesquelles les rebelles de l’ALS et du MJE recrutent.

L’enjeu du pouvoir est d’autant plus important que le gouvernement est engagé dans un processus de mise en œuvre de l’accord de paix signé en 2005 avec le Mouvement/Armée de libération du peuple soudanais (SPLM/A) après plus de 20 ans de guerre civile. Celle-ci avait été lancée en 1983 par le mouvement de John Garang qui revendique une autonomie du Sud Soudan, animiste et chrétien, face au Nord, musulman et qui applique la charia. La répartition équitable des pouvoirs et des ressources, notamment pétrolières, est aussi au cœur des revendications. Une opération de paix de l’ONU (MINUS) appuie ce processus de paix.

1.1.               Les répercussions au Tchad déjà instable

Le Tchad voisin n’est pas davantage un pays tranquille. Arrivé au pouvoir en 1990 grâce à un coup d’Etat, le président Idriss Déby Itno n’a rien à envier à ses prédécesseurs en matière de répression, de torture et de mauvaise gouvernance[2]. Déjà sur le point d’être renversé par des rebelles en février 2006, il fut maintenu au pouvoir par l’intervention in extremis des troupes françaises. Le pays connaît en effet une situation d’instabilité politique chronique, caractérisée par une succession de coup d’État militaires et de plusieurs rébellions armées qui occupent une partie du territoire[3]. Le principal défi de la paix au Tchad réside dans les positions très volatiles des acteurs politiques. On constate que les différents accords de paix signés sont rarement mis en œuvre et les principes de gestion équitable des ressources du pays (notamment le pétrole depuis 2003) restent, selon les observateurs, de la rhétorique.

A titre d’exemple, le gouvernement tchadien et les quatre principaux groupes rebelles opérant à l’Est du pays (l’Union des forces pour la démocratie et le développement – UFDD- du général Nouri), l’UFDD fondamentale (une aile dissidence de l’UFDD), le Rassemblement des forces pour le changement (RFC) de Timane Erdimi, la Concorde nationale tchadienne (CNT) du Colonel Hassane Saleh Al Gadam Al Jinedi), avaient signé, le 3 octobre 2007 à Tripoli (Libye), un accord qui prévoyait la participation des rebelles dans la gestion des affaires de l’État et le cantonnement de leurs combattants sur des sites définis de commun accord. Cet accord a volé en éclat avec l’attaque de la coalition des trois mouvements sur N’Djamena début février 2008. La vague d’arrestations des opposants qui a suivi le nouvel échec des rebelles réduit à néant une initiative pourtant soutenue par l’Union européenne.

Depuis 2005, le Tchad et le Soudan s’accusent mutuellement de soutenir leurs rébellions respectives : le Soudan soutiendrait les rebelles tchadiens basés à l’Est du pays alors que le Tchad est accusé de soutenir les rebelles du Darfour. Malgré les multiples médiations menées par l’Union africaine et la Libye, les relations politiques entre les deux pays ont continué à se détériorer depuis 2005 lorsque le Tchad s’est déclaré en « état de belligérance » avec le Soudan après l’attaque des rebelles tchadiens sur la ville d’Adré, à la frontière du Soudan.

Par ailleurs, le Tchad subit plus que les autres pays voisins, les conséquences humanitaires, politiques et sécuritaires du conflit du Darfour. En effet, 500.000 personnes se sont réfugiées ou déplacées à l’est du Tchad à cause des exactions commises au Darfour. En outre, des milices armées venant du Soudan attaquent les camps de réfugiés sur le territoire tchadien et terrorisent les populations. Selon les observateurs et les organisations humanitaires présentes sur le terrain, elles utilisent les mêmes modes opératoires que ceux observés au Darfour : viols, meurtres et exactions sans distinction, y compris sur les enfants.

1.2.               Les répercussions en Centrafrique soumise aux rébellions internes

Le conflit du Darfour affecte aussi la Centrafrique. D’une part, certains réfugiés soudanais se sont réfugiés au nord-est de la Centrafrique à la suite du conflit du Darfour. D’autre part, des mouvements rebelles centrafricains auraient une base arrière au Darfour, ce qui leur permettrait entre autres de s’approvisionner en armes. Ainsi le 30 octobre 2006, le gouvernement centrafricain a accusé le Soudan d’agression après l’attaque et l’occupation de deux départements du nord-est par un mouvement rebelle présenté comme bénéficiant du soutien de Khartoum. Les relations politiques entre les deux pays sont difficiles même si plusieurs rencontres entre chefs d’États ont été organisées sous le patronage de l’Union africaine ou de la Libye. La non-application des engagements pris, y compris en termes de non-ingérence dans les affaires intérieures, reste le principal obstacle à la normalisation des relations.

Les conséquences du conflit du Darfour amplifient la fragilité de l’État centrafricain. En effet, l’histoire récente du pays a, elle aussi, été marquée par une série de coups d’État successifs, de mutineries de l’armée, les ruptures de processus de démocratisation, une économie délabrée, la corruption, des tensions ethniques et des salaires de la fonction publique non payés[4]. Si les missions de paix (la FOMUC aujourd’hui, et la MINURCA précédemment) ont contribué à contenir la violence à Bangui, le nord du pays reste dans un état de dénuement, de misère et d’insécurité permanente avec des mouvements rebelles et des coupeurs de route qui terrorisent les populations. A l’instar du Darfour, la province centrafricaine de la Vakaga, au nord du pays, est une région géographiquement reculée, historiquement marginalisée et, par dessus tout, négligée par une administration centrale dont la réponse aux revendications politiques a été principalement sécuritaire[5].

Enfin, une autre similitude avec les pays voisins, est le non-respect des engagements pris dans le cadre des accords de paix entre le gouvernement, les rébellions et les acteurs extérieurs.

1.3.               Des conflits aux caractéristiques communes

Les conflits du Darfour, du Tchad et de la République centrafricaine comportent quatre caractéristiques communes qui méritent d’être prises en compte dans toute recherche de solution pacifique à la crise actuelle :

·         La gestion non équitable du pouvoir et des ressources nationales semble être une des causes principales de ces conflits. Elle crée un cercle vicieux à travers la marginalisation d’une partie de la population ou des régions du pays, qui à son tour donne lieu à une insurrection réprimée par le pouvoir et finalement à la perpétuation de la violence. Dans ce contexte, certains leaders n’hésitent pas à instrumentaliser les appartenances communautaires, ethniques, régionales voire religieuses pour mobiliser des partisans. Il est dès lors important pour les intervenants extérieurs, de ne pas perdre de vue qu’aussi longtemps que ce cercle vicieux n’est pas rompu, les interventions ne font qu’alimenter les causes de l’instabilité.

·         L’absence de volonté politique de certains protagonistes pour assurer un retour à la paix ou le non-respect des engagements pris entre les gouvernements des trois pays et leurs oppositions armées respectives n’offre pas un terrain favorable à des opérations de paix classiques.

·         Les difficultés de gérer la sécurité transfrontalière qui nécessiterait de coopérer avec les voisins et de développer des infrastructures spécifiques dans chaque pays concerné. Or, ces zones sont souvent marginalisées par le pouvoir, deviennent incontrôlables et sont le lieu de tous les trafics. 

·         Le rôle parfois ambigu des grandes puissances guidées par des intérêts géostratégiques. Prises entre la volonté de ne pas déplaire aux partenaires qui disposent des matières premières (pétrole, minerais, bois) et la promotion effective des principes démocratiques et de bonne gouvernance, leurs politiques peuvent varier considérablement et brouiller les cartes de la résolution des conflits.

2.     L’impasse des initiatives de la communauté internationale

Au Darfour, au Tchad et en République centrafricaine, la communauté internationale se trouve face à une des crises les plus complexes depuis la deuxième guerre mondiale. Pour résoudre cet imbroglio, pas moins de six missions de paix menées par quatre organisations internationales vont devoir coordonner leurs actions dans un périmètre relativement restreint :

·         La Mission des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD)

·         La Mission des Nations unies au Soudan (MINUS)

·         La Mission de l’Union européenne au Tchad et en République centrafricaine (EUFOR Tchad/Centrafrique)

·         La Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT)

·         La Force multinationale en Centrafrique (FOMUC) coordonnée par la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (CEMAC)

·         Le Bureau des Nations unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BONUCA)

C’est donc à un vrai casse-tête institutionnel que vont être livrés les acteurs du maintien de la paix dans cette région avec, à la clé, un danger permanent de contagion des différents conflits d’une zone à l’autre qui mettrait rudement à l’épreuve des missions aux objectifs et aux règles d’engagement très différents.

Les réponses de l’ONU, de l’UE et de l’UA au conflit du Darfour et à ses conséquences ont évolué graduellement entre 2003 et 2008. Une constante néanmoins : elles sont caractérisées par des hésitations, des jeux de rapports de forces entre les grandes puissances et une absence de volonté de mettre fin au conflit dans le chef de certains protagonistes. Ainsi, cinq ans après le déclenchement de la crise, il n’y a pas encore de solution définitive pour un retour à la paix au Darfour, de même que dans les pays voisins. Les premières initiatives de la communauté internationale ont vu le jour en 2004 seulement.

2.1.               La Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS)

L’Union africaine est la première à s’être engagée sur le terrain pour tenter de contribuer au retour à la paix. A la suite de la signature, le 28 mai 2004, d’un Accord sur les modalités de la mise en place d’une Commission de cessez-le-feu, elle a décidé d’envoyer une mission d’observation, la Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS I). La soixantaine d’observateurs militaires africains (MILOBs), accompagnés de 300 militaires chargés de leur protection, s’est vite avérée insuffisante devant la multiplication des violations du cessez-le-feu. D’où un renforcement significatif de la mission en octobre 2004 avec le déploiement de la MUAS II, composée de 3.320 personnes (2.341 militaires dont 450 observateurs, 815 policiers civils en plus du personnel civil approprié) [6].

En avril 2005, les effectifs de la force de l’UA passent à 7.000 soldats. La signature d’un Accord de paix à Abuja (Nigeria) entre le gouvernement soudanais et la faction du principal mouvement rebelle, l’Armée de libération du Soudan (ALS), le 5 mai 2006, ravive le conflit. Les rebelles signataires de l’accord se joignent aux forces gouvernementales pour combattre ceux qui ont refusé d’y prendre part, en particulier le MJE et la faction minoritaire du M/ALS. L’UA, qui s’était ralliée à l’éventualité d’une prise en charge du maintien de la paix au Darfour par les Nations unies, appelle dès lors à l’accélération d’un tel transfert face à la détérioration de la situation. Il faudra attendre deux ans pour voir se réaliser ce transfert.

En réalité, si l’UA a eu le mérite de réagir avec une relative rapidité, la MUAS est handicapée par le manque de moyens financiers, matériels et humains même si elle a pu bénéficier dès le début de l’appui de l’UE, de l’OTAN, des États-Unis et du Canada.

2.2.               Les initiatives diplomatiques de l’ONU

L’ONU n’a pas déployé d’opération de paix avant 2008 mais elle s’est impliquée – sans beaucoup de succès –  dans la recherche de solutions à la crise du Darfour dès 2004 :

 Le Conseil de sécurité a imposé un embargo sur le matériel militaire à destination des milices non gouvernementales du Soudan par la résolution 1556 du 30 juillet 2004. La résolution 1591 étend cet embargo au matériel militaire à destination de tous les belligérants au Darfour. Toutefois, l’absence de liste de ces belligérants permet à la Chine et à la Russie de contourner la mesure, en arguant du manque de preuves que Khartoum participe aux attaques.

·         Le Conseil de sécurité a eu recours également aux menaces de sanctions. La résolution 1564 du 18 septembre 2004 menace le Soudan de sanctions pétrolières s’il ne remplit pas l’engagement de restaurer la sécurité au Darfour et ne coopère pas dans ce but avec l’UA. Le ministre des Affaires étrangères soudanais a immédiatement annoncé qu’il rejetait cette résolution.

·         Le 31 janvier 2005, la commission d’enquête internationale de l’ONU sur le Soudan a publié un rapport qui conclut que les exactions perpétrées au Darfour constituent bien « des crimes contre l’humanité », mais pas un génocide contrairement à ce qu’avait déclaré l’administration américaine qui avait utilisé le terme dès 2004.

·         La résolution 1593 sur le Darfour adoptée le 31 mars 2005 demande à la Cour pénale internationale (CPI) d’engager des poursuites à l’encontre des responsables des crimes commis. Ainsi en mai 2007, la CPI lance deux mandats d’arrêts internationaux contre deux Soudanais, accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, en l’occurrence Ahmed Haroun, l’ancien responsable de la sécurité au Darfour, et actuel secrétaire d’État aux affaires humanitaires, et Ali Kosheib, l’un des principaux chefs des milices Janjawid.

·         Le Conseil de sécurité décide, par sa résolution 1706 du 31 août 2006, de prendre la relève de l’Union africaine au Darfour et d’augmenter l’effectif des Casques bleus jusqu’à 17.300 hommes. Le gouvernement soudanais rejette la proposition. Même si en pratique, son application ne nécessitait pas son accord, l’ONU décide de ne pas déployer sa mission et négocie avec Khartoum.

Les quatre premières initiatives prises par l’ONU n’ont pas eu d’impact significatif en termes de résolution du conflit parce que le gouvernement soudanais ne les a pas acceptées alors qu’il constitue un acteur central. Enfin, les tensions entre l’ONU et le gouvernement soudanais se sont aggravées à la suite de la décision de Khartoum d’expulser, le 22 octobre 2006, Jan Pronk, représentant du Secrétaire général Kofi Annan.

2.3.               La Mission conjointe de l’ONU et de l’UA au Darfour (MINUAD)

Les négociations entre le gouvernement soudanais, l’ONU et l’UA pour la mise en place de la MINUAD ont duré presque deux ans. Dans un premier temps, il s’agissait de mettre sur pied une opération de l’ONU pour remplacer la MUAS. La résolution 1706 du 31 août 2006 a été rejetée par le Soudan qui la considérait comme un acte hostile. A l’automne 2006, le scénario d’une force hybride UA/ONU consistant en l’absorption de la MUAS dans une force onusienne majoritairement africaine a vu le jour. Avec l’implication plus active de la Chine, alliée de Khartoum, l’ONU et l’UA sont parvenues à une ébauche d’accord, le 7 juin 2007, sur les détails de la force hybride de 23.000 personnes.

Le 31 juillet 2007, après avoir pris en compte les objections des autorités soudanaises, le Conseil de sécurité vote à l’unanimité la résolution 1769 autorisant pour une durée d’un an le déploiement de la force hybride ONU/UA au Darfour, la MINUAD. Cette force sera composée de 19.555 militaires et d’une composante civile appropriée comprenant 3.772 policiers et 19 unités de formation de policiers. Son mandat très ambitieux prévoit de :

·         empêcher les attaques contre les civils ;

·         contribuer à la protection des populations civiles ;

·         suivre et vérifier l’application des différents accords ;

·         rechercher des solutions politiques à la crise ;

·         faciliter l’accès de l’aide humanitaire ;

·         assurer le retour des réfugiés et des déplacés.

La résolution autorise le recours à la force en cas de légitime défense, pour garantir la liberté de mouvement des organisations humanitaires et protéger les civils (sans porter préjudice à la responsabilité du gouvernement soudanais). L’usage de la force est exclu lorsqu’il s’agit de saisir et de détruire des armes illégales. Les principaux pays contributeurs de troupes seront africains. Le 1er août 2007, le gouvernement soudanais accepte officiellement la résolution 1769.

Toutefois, le calendrier qui prévoyait le déploiement effectif des forces au plus tard le 31 décembre 2007 n’a pas été respecté à cause des obstacles posés par le Soudan. Il a entre autres imposé des couvre-feux, interdit les vols de nuit et n’a pas, semble-t-il, attribué les emplacements pour établir les bases de la mission.

Néanmoins, la MINUAD a officiellement pris le relais de la MUAS le 31 décembre 2007. Ce transfert en reste toutefois à ce stade symbolique parce que la capacité de la mission reste sensiblement la même. La MINUAD ne dispose pour l’instant que de 9.000 hommes (7.000 soldats et 1.200 policiers civils, ainsi que des éléments fournis par les Nations unies). On est encore bien loin des 26.000 hommes (20.000 soldats, 6.000 policiers et personnels civils) supposés se déployer à terme au Darfour. En outre la l’accord qui définit les relations entre la MINUAD et le gouvernement soudanais fait encore l’objet de négociation. Selon un communiqué de l’ONU du 5 février 2007, ce document pourrait être signé à bref délai.

2.4.               La Mission de l’ONU au Tchad et en RCA (MINURCAT)

Le Conseil de sécurité a décidé le 25 septembre 2007 de déployer une mission entre le Tchad et la Centrafrique avec pour objectif de compléter le dispositif de la mission ONU/UA au Darfour soudanais. Créée par la résolution 1778, la MINURCAT est une mission multidimensionnelle composée, au maximum, de 300 policiers, 50 officiers de liaison et du personnel civil. La même résolution autorise l’opération Eufor-Tchad-RCA.

Le mandat de la MINURCAT prévoit qu’elle contribuera au retour volontaire des réfugiés et des personnes déplacées, y compris en contribuant à leur sécurité et à celle des populations civiles en danger, en facilitant la fourniture de l’assistance humanitaire dans l’est du Tchad et le nord-est de la RCA, en créant les conditions en faveur d’un effort de reconstruction et de développement dans les deux pays. Il met également l’accent sur le rôle de coordination et de contacts à maintenir avec tous les acteurs, nationaux et internationaux, intervenant en matière de paix et sécurité dans les trois pays, notamment la MINUAD, la FOMUC, la BONUCA, EUFOR-Tchad-RCA, etc.

2.5.               La mission EUFOR au Tchad et en RCA

Baptisée EUFOR TCHAD/RCA, la mission militaire de l’UE, fortement voulue par la France, est en préparation depuis déjà plusieurs mois, malgré l’opposition du Soudan à toute présence militaire occidentale dans la région. L’EUFOR TCHAD/RCA s’apprête à envoyer, pour une période initiale d’un an, 3.700 soldats dans une région très vaste, où vivent, à la portée de plusieurs groupes armés, des centaines de milliers de réfugiés et de déplacés.

La planification de l’EUFOR a été, en effet, longue et compliquée. Jusqu’à la dernière minute, plusieurs États membres de l’Union, notamment l’Allemagne, avaient manifesté de nombreux doutes quant à l’opportunité de lancer une opération qui risque d’être perçue comme un appui militaire à des régimes étroitement liés à Paris[7]. Ces réticences auront finalement contraint la France à engager 2.100 hommes (au lieu des 1.500 annoncés dans un premier temps) sur un total de 3.700. Parmi les soldats que les treize autres États européens ont accepté d’envoyer sur le terrain, on compte 400 Polonais, 400 Irlandais, 200 Suédois, 120 Roumains, une centaine de Belges et des contributions mineures d’autres pays. Malgré la prédominance de soldats et de moyens français, la mission a été mise sous le commandement d’un Irlandais, le lieutenant général Patrick Nash. Le quartier général a été néanmoins installé au Mont Valérien, à Paris, et sera intégré par du personnel provenant de 21 pays européens. Enfin, le général de brigade français Jean-Philippe Ganascia sera le commandant de la force sur le terrain.

L’EUFOR bénéficie d’une solide légitimité internationale et légale. La résolution 1778 (2007) adoptée par le Conseil de sécurité le 25 septembre 2007, concernant la mise en place de la MINURCAT, a autorisé simultanément l’UE à déployer sa force au nord de la République centrafricaine et à l’est du Tchad, pour une durée initiale d’un an. Fait politiquement significatif : ladite résolution a été votée à l’unanimité, ce qui témoigne de l’existence d’un consensus international à ce sujet, malgré les réticences intra-européennes.

Le mandat de l’ONU se base explicitement sur la Chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui autorise l’usage de la force en cas de besoin. La résolution précise en effet que l’EUFOR « est autorisée à prendre toutes les mesures nécessaires » pour s’acquitter des tâches qui lui sont attribuées. Or, le mandat de l’EUFOR est essentiellement à vocation humanitaire. Il se base sur les points suivants :

·         contribuer à la protection des civils en danger, en particulier les réfugiés et les personnes déplacées ;

·         faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et la libre circulation du personnel humanitaire en contribuant à améliorer la sécurité dans la zone d’opérations ;

·         contribuer à la protection du personnel, des locaux, des installations et du matériel des Nations unies et assurer la sécurité et la liberté de circulation de son propre personnel, du personnel des Nations unies et du personnel associé.

L’EUFOR Tchad/RCA doit donc être perçue comme une mission de transition dont le but consiste à soutenir les efforts de l’ONU tant au Darfour que dans les régions avoisinantes. Son caractère neutre et humanitaire implique que, une fois déployés, les soldats européens ne devraient pas s’interposer entre le régime du président Deby et les rebelles. Toutefois, une certaine ambigüité persiste à ce propos : en effet, si l’usage de la force s’avérait nécessaire afin de protéger les civils, les réfugiés ou les opérateurs humanitaires et onusiens, l’EUFOR pourrait y avoir recours.

L’EUFOR Tchad/RCA est la plus grande mission militaire que l’UE ait jamais planifiée hors des frontières européennes, tant pour sa durée, que pour son ampleur et pour le défi logistique auquel elle doit faire face. En outre, de par sa composition, l’EUFOR est la mission la plus multinationale (et donc la plus « européenne ») que Bruxelles n’ait jamais conduite dans un autre continent. Bref, elle représente un véritable défi pour l’UE et pour la crédibilité de sa politique de sécurité et de défense en construction.

3.  Conclusion

3.1.               Les conditions de la paix ne sont pas remplies

L’analyse du processus de préparation et de déploiement de la MINUAD et de l’EUFOR-Tchad – RCA, montre que les conditions pour faire du maintien de la paix au Soudan, au Tchad et en Centrafrique ne sont pas remplies, et ce pour trois raisons principales :

·         Il n’y a pas, dans les deux pays, de consentement complet de tous les protagonistes pour un déploiement d’opérations de paix. Au Soudan, les négociations entre le gouvernement d’une part, et l’ONU et l’UA d’autre part, en vue de l’adoption d’un accord permettant à l’ONU de prendre la relève de la MUAS a duré deux ans. Même aujourd’hui, le Soudan continue d’utiliser les moyens de retardement et de contournement du déploiement de la mission, à travers entre autres, le refus des soldats occidentaux[8], le refus des hélicoptères de combat ou des survols aériens la nuit, etc. De la même façon, les rebelles tchadiens ont exprimé leurs réticences pour une opération EUFOR qui serait à majorité française.

·         L’accord de cessez-le-feu signé en 2004 entre le gouvernement soudanais et les rebelles du Darfour n’a pas été respecté même si c’est lui qui avait permis le déploiement de la MUAS. En outre, les mouvements nés après 2004 ne sont pas liés à cet accord. La poursuite des exactions contre les populations et de la destruction des villages au Darfour en témoigne.

·         Dans les trois pays, il n’y a pas d’accord de paix global et inclusif signé par toutes les parties au conflit. Au Darfour, l’Accord d’Abuja de 2006 n’a pas été signé par tous les mouvements rebelles. En outre, certains rebelles du Darfour refusent de se joindre aux négociations lancées à Syrte (Libye) sous le patronage de l’ONU et de l’UA. Au Tchad, l’Accord de paix de Tripoli entre le gouvernement et quatre mouvements rebelles n’a pas été mis en œuvre jusqu’à la récente attaque sur N’Djamena qui a sans doute anéanti tous les acquis antérieurs. En Centrafrique, les tentatives de négociation d’un accord de paix avec la médiation de la Libye n’ont pas encore abouti. Les rebelles et les coupeurs de route restent actifs dans le Nord du pays. La sécurité dans la capitale, Bangui, et les centres urbains est assurée avec l’appui de la Force multinationale de la CEMAC en Centrafrique (FOMUC) et par les soldats français basés dans le pays.

3.2.               Le maintien de la paix par défaut ?

La situation est d’autant plus délicate que le principal pays concerné par le conflit déploie une énergie peu commune pour résister à la pression internationale. Après trois ans et demi d’embargo, de menaces de sanctions et de poursuites par la Cour pénale internationale, après un an et demi d’âpres négociations, les Nations unies ne sont toujours pas en mesure de déployer complètement la MINUAD et l’Union européenne a été contrainte de suspendre in extremis son propre déploiement au Tchad. En effet, le Soudan n’hésite pas à passer à l’attaque lorsque ses intérêts sont menacés. Ce fut le cas récemment lors du soutien à l’offensive des rebelles tchadiens menée juste avant le début du déploiement de l’EUFOR mais également lors de l’attaque du 7 janvier 2008 contre un convoi des casques bleus de la MINUAD.

Face à des dirigeants soudanais aussi déterminés, on peut se demander si les choix faits par la communauté internationale sont les bons. Et de paraphraser la réflexion lancée par M. Lakhdar Brahimi dans le fameux rapport de l’ONU qui porte son nom : « Faut-il une mission de maintien de la paix dans un pays où il n’y a pas de paix à maintenir ? »[9]. Le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, Jean-Marie Guéhéno, ne disait pas autre chose lorsqu’il mettait récemment en garde le Conseil de sécurité sur le fait que « la MINUAD n’est pas une opération de maintien de la paix conçue pour se déployer ou fonctionner dans une zone de guerre »[10]. Le 14 novembre 2007, le même homme alertait déjà les pays membres sur les risques d’une humiliation de l’ONU au Darfour.

On l’a vu, trois des conditions essentielles du retour à la paix ne sont pas remplies au Darfour mais c’est surtout le consentement du gouvernement soudanais à l’intervention de la communauté internationale qui fait le plus cruellement défaut. Or le Soudan n’est pas le Congo car non seulement l’État n’y est pas en faillite mais la communauté internationale ne possède pas de moyens de pression comparables du fait des intérêts divergents des membres permanents du Conseil de sécurité. La situation au Tchad n’est pas plus simple car l’appui de Paris à Idriss Déby fait craindre à certains diplomates que la France ne pourra pas maintenir l’impartialité indispensable à son statut de nation cadre de l’EUFOR[11].

Dès lors, la MINUAD et l’EUFOR se trouvent déjà en position inconfortable alors même qu’elles n’ont pas pu commencer leur travail. L’EUFOR parce que son mandat est limité à la protection des réfugiés et pas à la protection des populations civiles tchadiennes ou centrafricaines contre leurs propres rebelles. La MINUAD car, de concession en concession, elle ne possède pas les capacités minima requises pour accomplir ses tâches. Et ce n’est pas les quelques hélicoptères mis à son service en dernière minute qui vont changer radicalement les choses sur le terrain.

Devant ces éléments convergents, il faut se demander si la communauté internationale n’est pas en train de commettre au Soudan et dans les pays voisins les mêmes erreurs qu’en ex-Yougoslavie et en Somalie au début des années 90. Pourtant, beaucoup de diplomates avaient juré qu’on ne les y reprendrait plus et qu’il fallait désormais utiliser les instruments du maintien de la paix à bon escient. Mais, face à des grandes puissances qui privilégient leurs intérêts immédiats et cherchent parfois à instrumentaliser les organisations internationales, n’est-on pas en train d’assister à une démonstration de mauvaise gouvernance mondiale dans la région ? On ne peut aujourd’hui se départir de l’impression que, par crainte des conséquences incalculables que pourrait avoir le recours à l’imposition de la paix et à la doctrine très controversée de la Responsabilité de protéger, le Conseil de sécurité se rabat – par défaut – sur le maintien de la paix, au risque de s’avérer totalement inapproprié et de faire courir des risques énormes aux forces de paix déployées sur le terrain sans assurance de diminuer les souffrances des populations civiles.



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