Print

Des représentants de l’ONU mettent en garde contre la pire famine depuis la Deuxième Guerre mondiale
Par Patrick Martin
Mondialisation.ca, 26 mars 2017
wsws.org 13 mars 2017
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/des-representants-de-lonu-mettent-en-garde-contre-la-pire-famine-depuis-la-deuxieme-guerre-mondiale/5581835

Plus de 20 millions de personnes sont au bord de la famine dans quatre pays ont annoncé plus tôt ce mois-ci les représentants des Nations Unies. Il s’agit de la plus grande crise humanitaire depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les quatre pays – le Yémen, la Somalie, le Soudan du Sud et le Nigeria – sont dévastés par des guerres civiles où le gouvernement américain finance et arme l’un ou l’autre des côtés du conflit.

Le coordonnateur des secours d’urgence des Nations Unies Stephen O’Brien a présenté le 10 mars un rapport au Conseil de sécurité de l’ONU détaillant les conditions dans ces quatre pays, et l’ONU a publié davantage d’informations sur la crise le lendemain, cherchant à recueillir 4,4 milliards de dollars en contributions pour les secours d’urgence avant la fin mars. Jusqu’à maintenant, selon le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, seulement 90 millions ont été promis, soit à peine deux pour cent de ce qui est nécessaire.

Comme l’ont exposé les représentants de l’ONU, la population la plus immédiatement risque se chiffre à 7,3 millions au Yémen, 2,9 millions en Somalie, 5 millions au Soudan du Sud et 5,1 millions au Nigeria, pour un total de 20,3 millions de personnes. Le nombre d’enfants souffrants de symptômes avancés de malnutrition est estimé à 462.000 au Yémen, 185.000 en Somalie, 270.000 au Soudan du Sud et 450.000 au Nigeria, totalisant près de 1,4 million d’enfants.

Bien que les mauvaises conditions climatiques, particulièrement la sécheresse, soient des facteurs contribuant à la catastrophe humanitaire, la cause principale est la guerre civile, dans laquelle chacun des camps utilise les denrées alimentaires comme une arme, en affamant délibérément la population de «l’ennemie».

Les forces appuyées par les États-Unis sont coupables de tels crimes dans tous les quatre pays, et c’est l’impérialisme américain, le principal commanditaire de l’intervention de l’Arabie saoudite au Yémen et des forces gouvernementales en Somalie, au Soudan du Sud et au Nigeria, qui est le principal responsable du danger de famine et du risque grandissant d’une catastrophe humanitaire colossale.

Le pays le plus touché est le Yémen, où les unités militaires de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et d’autres monarchies du Golfe, armés et dirigés par les États-Unis, sont en guerre avec les rebelles houthis qui ont renversé le président installé par les États-Unis il y a deux ans. Quelque 19 millions de personnes, près des deux tiers de la population du pays, ont besoin d’aide humanitaire.

Les forces saoudiennes, qui se battent aux côtés d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique, contrôlent les principaux ports du pays, incluant Aden et Hodeïda, et sont soutenues par des unités de la Marine américaine dans la mer Rouge et dans le golfe d’Aden en imposant un blocus sur la région contrôlée par les Houthis dans l’ouest et le nord du pays.

Les opérations des forces américaines touchent tout le pays. Des frappes de missiles de drone et occasionnellement des raids sont effectués, comme l’attaque dévastatrice sur un village à la fin du mois de janvier dans laquelle au moins 30 civils yéménites ont été tués, beaucoup parmi eux des jeunes enfants, et un soldat des forces spéciales américaines a été abattu.

En Somalie, la guerre civile prolongée entre le gouvernement soutenu par les États-Unis à Mogadiscio et les milices d’Al-Shabab, qui contrôlent la plus grande partie du sud, a mené à un saccage du pays qui avait déjà souffert d’une famine dévastatrice en 2011, et qui est ravagé par plus d’un quart de siècle de guerre civile.

Au moins la moitié de la population du pays, plus de six millions de personnes, a besoin d’aide humanitaire, selon les estimations des Nations Unies. Les conditions de sécheresse ont tué la majeure partie de la population animale. En Somalie, aussi, les unités militaires américaines continuent d’opérer, en menant des raids des forces spéciales et des frappes de missiles de drones. Il y a également un débordement de réfugiés somaliens dans le pays voisin du Kenya, où 2,7 millions de personnes de plus ont besoin d’aide humanitaire.

La guerre civile au Soudan du Sud est un conflit entre des factions tribales rivales d’un régime soutenu par les États-Unis qui a été créé à travers l’intervention de Washington dans une longue guerre civile au Soudan. Après la négociation d’un traité avec les États-Unis et un référendum approuvant la séparation, le Soudan du Sud s’est établi comme un nouvel État indépendant en 2011.

Les conflits tribaux à l’intérieur du nouvel État ont été exacerbés par la sécheresse, la pauvreté extrême et la difficulté de contrôler les réserves de pétrole du pays, sa ressource naturelle d’importance, qui est largement exportée par le Soudan voisin vers la Chine. Le pays est enclavé, rendant le transport d’aide alimentaire d’urgence plus difficile.

La crise au Soudan du Sud est la plus grave parmi les quatre pays où l’alerte de famine a été sonnée: 40% de sa population souffrent de famine. Le mois dernier, des représentants de l’ONU ont sonné l’alerte de famine pour 100.000 personnes au Soudan du Sud. Une épidémie de choléra est également rapportée.

La crise de famine au Nigeria est aussi un sous-produit de la guerre, cette fois-ci entre le groupe fondamentaliste islamique Boko Haram et le gouvernement du Nigeria, lequel a un appui militaire de la part des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Le point central de ce confit est la région du lac Tchad où le Nigeria, le Cameroun, le Tchad et le Niger se partagent les frontières. C’est la zone la plus densément peuplée et la plus fertile des quatre régions menacées de famine.

Une récente offensive des forces du gouvernement nigérien a permis de repousser Boko Haram et de révéler l’étendue de la souffrance dans la population de la région, où les provisions ont été coupées par une campagne militaire soutenue par les États-Unis.

Les forces militaires américaines s’étendent à travers la région du Sahel, une vaste zone sur le bord du désert du Sahara qui comprend la majeure partie de l’Afrique de l’Ouest. Les forces armées impérialistes de la France et de l’Allemagne sont également actives dans les anciennes colonies françaises comme le Mali et le Burkina Faso, et également plus au sud, dans la République centrafricaine.

Selon les rapports des Nations Unies, la catastrophe humanitaire au Yémen s’est accélérée dans les derniers mois. Le nombre de Yéménites qui sont en danger de mourir de faim est passé de 4 à 7 millions au cours du dernier mois. Au Yémen, un enfant meurt toutes les 10 minutes d’une maladie qui pourrait être évitée.

Lorsque le chef de mission humanitaire des Nations Unies était au Yémen plus tôt ce mois-ci, il a été capable d’assurer un passage sécuritaire pour le premier convoi d’aide humanitaire à la ville assiégé de Taïz, la troisième plus grande du pays, qui a été soumise a un blocus durant les sept derniers mois.

Durant le débat sur le rapport d’O’Brien au Conseil de sécurité de l’ONU, les puissances impérialistes comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Japon et l’Italie en plus de la Chine et de la Russie ont enchaîné les déclarations hypocrites, déplorant tous la souffrance, mais dissimulant tous les causes réelles de la crise qui s’intensifie.

Typiques étaient les remarques de la représentante des États-Unis, Michele Sison, qui a déclaré: «Tous les membres du conseil de sécurité devraient être outrés que le monde doive faire face à une famine en l’an 2017. La famine est un problème créé par l’homme qui peut être résolu par l’homme.»

Elle a demandé aux parties engagées dans des combats dans les quatre pays de «prioriser l’accès aux civils» et «de ne pas faire obstruction à l’aide», bien que ce soit exactement ce que font les forces soutenues par les États-Unis, particulièrement au Yémen et à moindre mesure dans les trois autres pays.

Le rapport des Nations Unies ne couvre pas les autres crises humanitaires également classées «niveau 3», le plus grave, par le Programme alimentaire mondial, ce qui comprend l’Irak, la Syrie, la République centrafricaine et les Philippines (les trois premiers en raison de la guerre civile et le dernier dû à l’impact de plusieurs typhons du Pacifique). Il ne couvre également pas le conflit civil dévastateur en Libye ou en Afghanistan, qui a été ravagé par près de 40 ans de guerre continue.

Le rapport ne traite également pas du nombre total de personnes à l’échelle mondiale qui a un besoin criant d’aide alimentaire, estimé à 70 millions dans 45 pays, selon le Réseau de systèmes d’alerte rapide aux risques de famine (Famine Early Warning Systems Network). Ce chiffre a augmenté de 40% depuis 2015, le résultat de l’intensification des guerres civiles, de la sécheresse et d’autres événements climatiques, ainsi que de l’augmentation des prix des aliments.

Le programme alimentaire mondial a connu une insuffisance de financement de près d’un tiers en 2016, recevant seulement 5,9 milliards $ de la part de donateurs pour des dépenses totales de 8,6 milliards $, forçant l’agence à couper les rations pour les réfugiés au Kenya et en Ouganda. Le total des demandes pour de l’aide humanitaire qui n’ont pas été comblées se chiffre à 10,7 milliards $ en 2016, soit plus que le total de toutes ces demandes en 2012.

Bien que ces sommes soient gargantuesques en termes de besoin, c’est une goutte d’eau dans l’océan comparativement aux ressources gaspillées par les grandes puissances dans la guerre et le militarisme. Le déficit total de l’aide humanitaire équivaut à moins de trois jours de dépenses militaires mondiales. Le 4,4 milliards de dollars nécessaires en aide pour la crise de famine est la moitié de ce que le Pentagone américain dépense dans une semaine normale.

Patrick Martin

 

Article paru en anglais, WSWS, le 13 mars 2017

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.