Des soldats allemands ont-ils torturé pour les Etats-Unis?
Un ancien de Guantánamo, un jeune Turc résidant en Allemagne, assure avoir été maltraité par des soldats allemands sous l’œil de ses geôliers américains.
Murat Kurnaz, 24 ans, cheveux, moustache et barbe de patriarche, est revenu début septembre en Allemagne, après avoir été détenu cinq ans à Guantánamo. Celui qu’on a surnommé le «Taliban de Brême», la ville où il réside avec sa mère, Rabiye Kurnaz, a été libéré après l’intervention des autorités allemandes et d’Angela Merkel en personne auprès du président Bush.
Des révélations qui font scandale à Berlin
Il vient de faire un premier récit de sa captivité, dans une interview à l’hebdomadaire Stern, où il accuse entre autres des soldats allemands de la Bundeswehr de l’avoir interrogé et torturé, dans une prison secrète américaine, au sud de l’Afghanistan, avant son transfert sur la base américaine à Cuba! A Guantánamo d’ailleurs, assure-t-il, il aurait été interrogé deux fois par les services secrets allemands, qui jusqu’à présent n’ont revendiqué qu’une seule visite au prisonnier.
Autant de révélations qui font scandale à Berlin et alourdissent le dossier des rapports cachés des autorités allemandes avec l’armée américaine et la CIA. Khaled al Masri, allemand d’origine libanaise, enlevé par la CIA en 2003 et détenu jusqu’en juillet 2004 en Afghanistan dans une prison secrète, assure également avoir été «interrogé» par un membre des services secrets allemands du BND, un nommé «Sam», pendant qu’il était emprisonné.
Kurnaz affirme, lui, que ce sont deux soldats allemands en uniformes de camouflage qui sont venus le chercher dans la prison américaine proche de Kandahar, pour le faire parler. Un uniforme qui selon les spécialistes est celui des troupes d’élite du KSK, les seuls soldats allemands qui stationnaient effectivement à l’époque dans la région. «L’un d’entre eux m’a tiré la tête en m’agrippant les cheveux (…), il m’a ensuite tapé le visage contre le sol, et les Américains trouvaient ça drôle.» «Nous sommes les forces allemandes», lui aurait asséné l’un de ses tourmenteurs.
Même pas coupable
Le Ministère de la défense assure n’avoir aucune connaissance de tels faits. A la suite des révélations de Murat Kurnaz, il a été demandé à chaque soldat présent en Afghanistan à l’époque de signer une déclaration sur l’honneur à ce propos. Le procureur fédéral pourrait se saisir de l’affaire. La commission défense du parlement est convoquée mercredi pour entendre un premier rapport sur le cas Kurnaz. Il semble d’ailleurs que le Taliban de Brème ne mérite pas son nom et que son seul tort soit de s’être retrouvé «au mauvais endroit au mauvais moment». Les autorités américaines et allemandes se seraient rendu compte très rapidement que les accusations contre lui ne tenaient pas debout.
Le jeune homme avait choisi en 2001 de se rendre au Pakistan, «approfondir sa foi dans une école coranique», souligne le député européen des Grünen Cem Özdemir, dans les colonnes du Spiegel. Disposant d’un titre de séjour illimité en Allemagne, il souhaitait y fonder une famille, après avoir suivi une formation dans la construction navale.
Özdemir, Allemand d’origine turque, s’étonne au passage de l’attitude de la Turquie à l’égard du prisonnier. «Vous êtes détenu par les Etats-Unis, je ne peux rien faire pour vous», lui aurait dit à Guantánamo un envoyé d’Ankara. Le consulat de Turquie à Brême s’est par contre rappelé à son bon souvenir quelques jours après sa libération parce qu’il est tenu d’aller effectuer son service militaire au pays.
«Kurnaz n’aurait-il pas pu être libéré plus tôt?» s’interroge le député vert qui rappelle que c’est sous le gouvernement rouge-vert de Gerhard Schröder que le jeune homme a été détenu pendant quatre ans par les Etats-Unis.