Des témoins expliquent qu’Assange risque la prison à vie dans un procès à motivation politique

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L’audience d’Assange a entendu lundi le témoignage de deux experts. L’interrogatoire de l’avocat américain Eric Lewis s’est poursuivi à partir des débats de la veille. Il était suivi par le témoignage de Thomas Durkin, un autre avocat américain expérimenté et membre du corps enseignant de l’université de Chicago. Durkin a l’expérience de plusieurs affaires de sécurité nationale, de terrorisme intérieur et de droits civils très médiatisées.

Les deux témoins se sont concentrés sur la peine à laquelle Assange, journaliste, éditeur et fondateur de WikiLeaks, risque de devoir faire face s’il se fait extrader et condamner aux États-Unis, et sur la nature politiquement motivée des poursuites contre lui.

Le gouvernement américain et ses alliés ont tenté de rejeter l’avertissement donné par WikiLeaks et l’équipe de défense d’Assange, selon lequel il risque une peine de 175 ans de prison. L’avocat de l’accusation, James Lewis QC, a qualifié le chiffre avancé au tribunal de « coup d’éclat médiatique» et a affirmé que le juge dans l’affaire Assange se laisserait guider par des peines récentes pour des infractions à la sécurité nationale comprises entre 42 et 63 mois.

John Shipton, le père de Julian Assange, se tient devant son affiche près du tribunal pénal central Old Bailey à Londres. (AP Photo/Kirsty Wigglesworth)

Eric Lewis a rejeté cet argument. Il a expliqué que les directives de détermination des peines aux États-Unis sont basées sur un tableau de niveau d’infraction: plus un crime est élevé sur le tableau, plus la peine est longue. Le niveau de base pour les accusations en vertu de la Loi sur l’espionnage qui ne concernent pas les informations top secrètes (la classification la plus élevée) est de 30. À ce niveau de base, les directives américaines indiquent qu’Assange pourrait être condamné à une peine comprise entre 8 ans et un mois et 10 ans et un mois par chef d’accusation.

Ce niveau de base peut être relevé par des ajustements spécifiques. «J’ai analysé tous les ajustements. Il est très fréquent qu’il y ait des ajustements. Le gouvernement demande des ajustements dans de nombreux cas… Je pense que certains ajustements sont clairement prévus dans le deuxième acte d’accusation qui remplace l’ancien», a expliqué Lewis.

Il y a tout d’abord le cas «où l’accusé était l’organisateur ou le chef d’une activité criminelle qui impliquait cinq participants ou plus ou était autrement étendue». Lewis a noté que dans le nouvel acte d’accusation, «vous avez maintenant beaucoup d’autres personnes qui sont inclues», se référant par exemple aux anciens associés de WikiLeaks Sarah Harrison, Jacob Applebaum et Daniel Domscheit-Berg. Ils se trouvent énumérés dans le nouvel acte d’accusation comme co-conspirateurs. Cet ajustement porterait le niveau d’infraction à 34.

Deuxièmement, la conduite supplémentaire contenue dans le nouvel acte d’accusation qui concerne l’implication présumée d’Assange avec un «adolescent» est «pertinente en ce sens que vous ajoutez deux niveaux si un mineur de moins de 18 ans est impliqué dans l’infraction». Ce comportement supplémentaire pourrait porter le niveau de l’infraction à 36, ou jusqu’à 19 ans et 7 mois.

Troisièmement, un ajustement est possible si le crime «implique une compétence particulière… Je pense que la compétence technologique de M. Assange… augmenterait le niveau de l’infraction et nous amènerait à 38».

«Deux autres élargissements pourraient s’appliquer», a poursuivi Lewis. «L’un est l’obstruction et l’obstruction comprend les mesures prises pour entraver l’enquête d’un crime… on suggère que la tentative d’empêcher l’identification de Chelsea Manning pourrait être considérée comme une obstruction, ce qui ajouterait deux points».

Et enfin, concernant «les divulgations de câbles du département d’État qui révèlent l’identité non seulement de sources sur le terrain… mais aussi de responsables américains qui comprendraient des gens de l’ambassade… Il y a une extension qui dit que si les victimes de la divulgation d’informations sont un employé du gouvernement, cela ajoute trois niveaux».

Au total, cela représente un niveau d’infraction de 43, ce qui équivaut à une peine de prison à vie, qui dépasserait le maximum légal pour les charges et serait «réduite» à 175 ans. Lewis a ajouté qu’«un tribunal peut dépasser les directives».

Thomas Durkin a donné la même évaluation, décrivant une peine effective d’emprisonnement à vie pour Assange comme «une possibilité très probable». Il a ajouté: «sur la base de mon expérience des lignes directrices et de ce type d’affaires de sécurité nationale, je suis à l’aise pour dire que le taux [niveau d’infraction] pourrait se situer entre 38 et 43… Je pense qu’il risque une peine de trente à quarante ans». Assange a 49 ans.

Fitzgerald a demandé s’il était vrai que le tribunal pouvait prendre en compte une conduite pertinente à laquelle Assange n’est pas réellement condamné, mais qui est néanmoins alléguée par le gouvernement pour décider d’une peine. Durkin a répondu que c’était exact. Même «une conduite dont il a été acquitté» pourrait être «utilisée comme une aggravation». Un tribunal américain, a déclaré Durkin, «dispose d’une discrétion presque illimitée pour déterminer les informations qu’il entendra et sur lesquelles il s’appuiera pour prononcer la sentence».

Durkin a également expliqué que toute négociation de plaidoyer qui pourrait limiter la peine d’Assange dépendrait d’une coopération totale avec les autorités. Cela inclurait «absolument» la révélation des sources d’information, à savoir les sources de WikiLeaks.

Les deux témoins partagent l’opinion que la poursuite d’Assange est politiquement motivée – ce qui, si cela s’avère vrai, empêcherait son extradition – se concentrant sur le fait que le gouvernement Trump a déposé des accusations alors que le gouvernement Obama ne l’avait pas fait.

Lewis a fait référence à une déclaration de Matthew Miller, un ancien porte-parole du ministère de la Justice, citée dans un article du Washington Postpublié en novembre 2013, qui disait: «Le problème que le ministère a toujours eu dans l’enquête sur Julian Assange est qu’on n’a aucun moyen de le poursuivre pour avoir publié des informations sans que la même théorie soit appliquée aux journalistes. Et si vous n’allez pas poursuivre les journalistes pour avoir publié des informations classifiées, ce que le ministère ne fait pas, vous n’avez aucun moyen de poursuivre Assange».

L’article poursuit en faisant référence à des citations de responsables actuels de la Justice (en 2013) qui disent avoir examiné Assange de près mais ont réalisé qu’ils avaient ce qu’ils ont décrit comme «le problème du New York Times».

Dans son témoignage, Durkin a déclaré qu’il estimait que ce récit était une preuve crédible pour une décision contre des poursuites pour les raisons invoquées, notant qu’il «n’avait vu aucune information le contredisant» et que l’article n’avait pas été «corrigé» par le ministère de la Justice.

La décision d’engager des poursuites si longtemps après qu’on eut envisagé des accusations pour la première fois, a déclaré Lewis, était le résultat d’une «influence politique étrangère». Tous les faits invoqués par les inculpations étaient «hors de propos en 2010-2011, certains peut-être en 2012… Les preuves n’ont pas changé; les témoins n’ont pas changé; le premier amendement n’a pas changé; on n’a jamais utilisé la loi sur l’espionnage contre un éditeur et cette loi n’a pas changé».

Décrivant le ministère de la Justice sous Trump, Lewis a déclaré que «les choses ont changé de telle sorte qu’ils peuvent engager des poursuites parce que le président dit au procureur général de le faire». Il a fait référence à un article paru dans le New York Times en avril 2017, qui rapportait que «de hauts fonctionnaires du département de la justice avaient fait pression sur les procureurs du district Est de Virginie pour qu’ils présentent un éventail de charges [contre Assange]».

Lewis a également noté que «le président Trump a déclaré “je peux faire ce que je veux avec le ministère de la Justice”». Il a poursuivi: «le procureur général Barr a écrit un mémo de 19 pages… dans lequel il a déclaré que toute la discrétion en matière de poursuites relève directement du président».

Il a conclu: «Si M. Assange est extradé, il sera poursuivi par une agence dirigée par un procureur général qui a ordonné à plusieurs reprises aux procureurs de suivre les préférences personnelles et politiques de M. Trump».

Durkin a également déclaré qu’il était «plus probable qu’improbable que des considérations politiques ont influencé la décision d’inculper [Assange]».

L’audience s’est poursuivie hier.

Thomas Scripps

Article paru d’abord en anglais, WSWS,  le 16 septembre 2020



Articles Par : Thomas Scripps

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