Désinformation médiatique: Venezuela, Pierre de folie

Il y a quelques années dans un cours magistral diffusé par la Sept/Arte, l’historien Marc Ferro comparait les actualités cinématographiques de la deuxième guerre mondiale. En observant les visages de ceux qui agitent des fleurs au passage de Hitler ou de Pétain, l’envie vous prenait d’arracher ce “nous autrefois” à son inconscience.

Caracas, mai 2016. Comme la Constitution le lui permet, la coordination de la droite (MUD) a remis au Centre National Électoral (CNE) les signatures nécessaires pour que celui-ci organise un référendum révocatoire contre le président Maduro. Garant de processus électoraux validés depuis 17 ans par les organisations internationales (UE, OEA, UNASUR..), le CNE est en train de vérifier l’authenticité de ces listes (1). La présence d’identités usurpées ou de personnes décédées fait croire à certains que la droite a autosaboté sa collecte pour mieux crier à la dictature en cas de rejet : une grande puissance y trouverait le prétexte à une intervention. Quoi qu’il en soit, si le nombre requis de signature est validé et si l’on compte les délais de chaque phase du processus, le référendum pourra être organisé au début de 2017, après les élections des gouverneurs.

Le 14 mai. l’ex-président colombien Alvaro Uribe, dont on attend encore la comparution devant la Justice pour crimes contre l’humanité, a déclaré depuis Miami que l’opposition vénézuélienne devrait avoir “une armée pour la défendre” et qu’il fallait répliquer contre Maduro la technique utilisée contre Dilma Roussef (2). Le 18 mai, ses apprentis paramilitaires, regroupés au sein de l’Aube Dorée vénézuélienne, partent à l’assaut du Centre national Électoral, déjà victime de plusieurs agressions, pour exiger la « tenue immédiate » du référendum, blessant gravement plusieurs fonctionnaires de police, s’acharnant sur une femme policière (3).

Que dit France 2 de tout cela? Que “le gouvernement rejette le référendum” et que ”la police réprime des manifestants”.

Voilà ce que la grande majorité des téléspectateurs voit, entend et croit, jour après jour, année après année. Images fabriquées sur commande durant quelques minutes sur quelques mètres carrés de la capitale, destinées à alimenter le storytelling des médias. L’objectif est de provoquer la violence pour dénoncer devant les organisations internationales les soi-disant violations des droits de l’homme. Alors que le hors-champ réel montrerait la population indifférente ou lassée des provocations, une voix off de journaliste le substitue, loin du Vénézuéla, pour évoquer une « guerre civile ». Mais qui le devinera ? Retour à la case départ, aux visages des archives de Marc Ferro. Au bout de 17 ans de révolution, le mot “Venezuela” active automatiquement dans notre cortex l’image “répression”. Plus de contre-champ, plus de hors-champ, plus de temps, plus de suivi. La quantité devient qualité. Dire le réel devient impossible. A moins d’être pris pour un fou et de perdre ses amis.

Le cas de Podemos (Espagne) est exemplaire, qui a dû se forger un programme consensuel et rompre ses liens avec la révolution bolivarienne. Son dirigeant Pablo Iglesias a souhaité la libération de Leopoldo Lopez (leader d’extrême-droite condamné pour sa responsabilité directe dans les violences et la mort de 43 personnes en 2014) et déclaré que le “pays est au bord de la guerre civile” (6). Il sait que c’est faux car il connaît la réalité. Mais pourquoi ne pas sacrifier un réel lointain si cela permet d’améliorer son image dans les médias et de gagner des voix?

Ce besoin de protéger l’image de marque s’exprime en général dans la position « sciences-po » : une critique « d’intellectuel vigilant » avec pour argument « attention, restons prudents, il y a des expériences dans le passé qui ont mal fini ». Il y a pourtant une alternative: écouter les mouvements sociaux vénézuéliens, la critique faite de l’intérieur et en connaissance de cause par les acteurs d’un processus aussi difficile que la construction d’un pouvoir citoyen, parfois frustrés, souvent impatients face aux lenteurs de l’Etat, déterminés à construire une démocratie participative.

En 17 ans de révolution bolivarienne, j’ai observé mille fois la réaction des visiteurs qui prenaient la peine de sortir de l’hôtel, sidérés par l’abîme entre l’image créée par les médias et la réalité qu’ils découvraient. Tel Jon Jeter, chef du Bureau Amérique du Sud du Washington Post s’exclamant en 2004 : « mais je ne comprends pas ! Ce n’est pas une dictature ! » ou les enquêteurs du prestigieux institut chilien Latinobarometroconcluant en 2013 que « le Venezuela est le pays où on observe la plus grande différence entre ce que pensent ses citoyens de leur démocratie et l’image qui circule dans la communauté internationale”. Ironie de l’Histoire, c’est un… socialiste espagnol (et non un membre de Podemos), l’ex-premier ministre Rodriguez Zapatero, observateur officiel d’élections législatives remportées par la droite en décembre 2015, qui «partage des impressions très positives sur le déroulement du processus électoral, contrairement à l’image que donnent les médias internationaux».

Comment oublier l’expérience du Nicaragua, ou j’ai vécu dans les années 80: le même bombardement médiatique cherchait à rendre “totalitaire” la révolution sandiniste qui avait mis fin aux 50 ans de la dictature des Somoza. Affaiblis par l’étau économique et militaire des Etats-Unis reaganiens, les sandinistes perdirent les élections de 1990. Ils reconnurent aussitôt leur défaite. En 2006 les urnes les ramenèrent au pouvoir, après 16 ans de néolibéralisme et de paupérisation massive. Leurs politiques sociales recueillent aujourd’hui, selon les instituts privés de sondage, une forte popularité.

La majorité ne peut voyager, prisonnière de la Caverne de Platon. Sur l’international, les réseaux “sociaux” sont l’ombre portée des médias dominants. Des coups d’Etat menés par une droite majoritaire médiatiquement (Paraguay, Brésil, Venezuela…) sont justifiés par des journalistes « de gauche » (4). Lorsqu’en 2009 le président du très pauvre Honduras, Mel Zelaya, fut victime d’un coup d’État notamment parce qu’il avait cherché auprès de l’ALBA l’appui économique refusé par les Etats-Unis, Gérard Thomas de Libération lui reprocha d’avoir “joué avec le feu” (5). Le pays bat depuis lors les records en nombre de journalistes et de militants sociaux assassinés mais Mr. Thomas semble l’avoir oublié.

En laissant la propriété des médias se concentrer aux mains des transnationales, en poussant le service public à imiter le privé au lieu de renforcer sa spécificité et de former ses journalistes comme historiens du présent, en méprisant la création de médias associatifs ou d’autres modes de production de l’information, la gauche occidentale s’est coupée du monde, de ses alliés potentiels. Elle s’est livrée elle-même à l’excision de la pierre de folie par les “journalistes” de la pensée unique.

Thierry Deronne, Caracas, mai 2016

Notes :                                                                                                   

(1) Lire sur le site du CNE : http://www.cne.gob.ve/web/sala_prensa/noticia_detallada.php?id=3451 Fait curieux, pour organiser ce référendum, la droite a demandé l’appui du Conseil National Électoral alors qu’à chacune de ses défaites, elle accuse ce dernier de “fraude”. Le Venezuela bolivarien a organisé un nombre record de scrutins (une vingtaine) en 17 ans, reconnus comme transparents par les observateurs de l’Union Européenne, de l’Organisation des États Américains ou de l’Association des Juristes Latino-américains. Selon l’ex-président du Brésil Lula da Silva, il s’agit d’un “excès de démocratie”. Pour Jimmy Carter qui a observé 98 élections dans le monde, le Venezuela possède le meilleur système électoral du monde. En mai 2011 le rapport de la canadienne Fondation pour l’Avancée de la Démocratie (FDA) a placé le système électoral du Venezuela à la première place mondiale pour le respect des normes fondamentales de démocratie. L’ONG chilienne LatinoBarometro a établi dans son rapport 2013 que le Venezuela bat les records de confiance citoyenne dans la démocratie en Amérique Latine (87 %) suivi de l’Équateur (62 %) et du Mexique (21 %).

(2) http://globovision.com/article/uribe-fuerzas-armadas-deben-ser-puestas-al-servicio-de-oposicion-venezolana

(3) http://www.telesurtv.net/news/Manifestantes-de-oposicion-atacan-a-policias-en-Venezuela-20160518-0058.html Dans ces manifestations, les étudiants – de droite- sont minoritaires. Voir « Brévissime leçon de journalisme pour qui ceux croient encore ça l’information » : https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/02/22/brevissime-cours-de-journalisme-pour-ceux-qui-croient-encore-a-linformation/

(4) Maurice Lemoine, « A la « gauche » française et européenne…” , http://www.medelu.org/A-la-gauche-francaise-et

(5) http://www.acrimed.org/Sous-information-et-desinformation-loin-du-Honduras

(6) Pour tout savoir sur Leopoldo Lopez et les « opposants réprimés par le gouvernement Maduro», rien de tel qu’une galerie photographique :

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Avec la crème de l'extrême droite et du patronat, lors du coup d'État contre le président Chávez en avril 2002

Ci-dessus: Leopoldo Lopez, « prisonnier d’opinion » selon les médias ocidentaux, organisateur de violences et d’assassinats commis par les militants de son parti d’extrême droite. Antécédents : posant avec la crème de l’extrême droite et du patronat, lors du coup d’État appuyé par les télévisions privées contre le président Chávez en avril 2002

Le leader de la droite vénézuélienne Leopoldo Lopez et son principal soutien régional : l’ex-président colombien Alvaro Uribe. Bogota, décembre 2011.

Avec son principal soutien régional : l’ex-président colombien Alvaro Uribe, lié aux mafias du narcotrafic, organisateur du paramilitarisme et responsable de multiples crimes contre l’humanité . Bogota, décembre 2011

Il y a quelques jours, dans la zone haute de la Comuna 13, ont comencé les exhumations de la décharge transformée en cimetière clandestin en 2002, après que l’armée, sur ordre du président Álvaro Uribe, a déclenché l’Opération Orión, pour « pacifier » la zone et en a confié le contrôle aux paramilitaires du « Bloque Cacique Nutibara »

C’est en août 2015, dans la décharge d’immondices de la Comuna 13, qu’ont commencé les exhumations d’une des nombreux cimetières clandestins de l’ère Uribe. Cette fosse commune qui s’étend sur quinze hectares date de 2002, après que l’armée, sur ordre du président Álvaro Uribe, déclencha l’Opération Orión, pour « pacifier » la zone, et en confia le contrôle aux paramilitaires. Un nouvel espoir de traduire enfin en justice l’ex-président colombien ?

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Maria Corina Machado, Leopoldo López avec José Pérez Venta (cerclé), militant de la droite étudiante formé par les paramilitaires colombiens et qui organisa pour les médias occidentaux la “révolte populaire contre le gouvernement” en 2014.  Perez Venta, formé par les paramilitaires colombiens,  a été arrêté le 11 août 2015 pour avoir violé, torturé et dépecé Lilian Hergueta, sur ordre d’un dirigeant  dénoncé par celle-ci dans le cadre d’une escroquerie aux dollars  (Voir: http://www.ultimasnoticias.com.ve/noticias/actualidad/sucesos/detenidos-sospechosos-de-crimen-de-liana-hergueta.aspx#ixzz3ijsRXYk0)

Leopoldo López et Pérez Venta

Leopoldo López et Pérez Venta

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Le paramilitaire dépeceur en compagnie d’autres leaders de droite/extrême droite (Henrique Capriles Radonski, María Corina Machado, Antonio Ledezma, etc..)

Leopoldo López en compagnie d'un autre étudiant d'extrême droite Lorent Saleh, présenté par les médias comme comme un “leader étudiant de la lutte pour la démocratie”. Celui-ci a été expulsé de Colombie le 4 septembre 2014 par le gouvernement Santos, alors qu’il y perfectionnait sa formation paramilitaire. Plusieurs vidéos le montrent durant ces cours se réjouir de l’appui des médias internationaux à “l’Opération Liberté” et de rentrer bientôt au Venezuela muni d’un arsenal renforcé et appuyé par un personnel plus nombreux et mieux formé : “nous allons commencer par descendre vingt macchabées en 48 heures à Caracas, pour neutraliser les collectifs”.

Leopoldo López en compagnie d’un autre étudiant d’extrême droite Lorent Saleh, présenté par les médias comme comme un “leader étudiant de la lutte pour la démocratie”. Celui-ci a été expulsé de Colombie le 4 septembre 2014 par le gouvernement Santos, alors qu’il y perfectionnait sa formation paramilitaire. Plusieurs vidéos le montrent durant ces cours se réjouir de l’appui des médias internationaux à “l’Opération Liberté” et de rentrer bientôt au Venezuela muni d’un arsenal renforcé et appuyé par un personnel plus nombreux et mieux formé : “nous allons commencer par descendre vingt macchabées en 48 heures à Caracas, pour neutraliser les collectifs”. Voir: https://www.youtube.com/watch?v=mssSTguxtm4

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Lorent Saleh avec son mentor Alvaro Uribe.. et, ci-dessous,  à l’entraînement

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Autre leader de la droite vénézuélienne et actuel gouverneur de l'État de Miranda, Henrique Capriles Radonski (à gauche) réuni avec l'ex-secrétaire de gouvernement de Pinochet (à droite) Jovino Novoa, à Santiago le 19 juillet 2013. Radonski est impliqué lui aussi dans la violence et les assassinats de militants bolivariens le 15 avril 2013 et dans le coup d’État meurtrier contre le président Chavez en avril 2002.

Actuel gouverneur de l’État de Miranda,  ex-candidat á la présidentielle, le leader de la droite Henrique Capriles Radonski (à gauche) s’est réuni avec l’ex-secrétaire de gouvernement de Pinochet (à droite) Jovino Novoa, à Santiago le 19 juillet 2013. Radonski est impliqué lui aussi dans la violence et les assassinats de militants bolivariens le 15 avril 2013 et dans le coup d’État meurtrier contre le président Chavez en avril 2002. Ci-dessous dans les bras d’Alvaro Uribe.

Le même Capriles Radonski dans les bras d'Uribe...

 



Articles Par : Thierry Deronne

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