Déstabilisation économique, effondrement financier et manipulation de la Bourse de Shanghai?

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L’effondrement spectaculaire de la bourse de Shanghai a été présenté à l’opinion publique comme le résultat d’un « mécanisme du marché » spontané, déclenché par la faiblesse de l’économie de la Chine.

Les médias occidentaux (WSJ, Bloomberg, Financial Times, etc.) ont repris en chœur que la dégringolade du cours des actions chinoises était due à « l’incertitude » en réponse à des données récentes « laissant présager un ralentissement dans la seconde économie en importance dans le monde ».

Cette interprétation est erronée. Elle déforme la façon de fonctionner des marchés financiers, qui font l’objet d’opérations de nature spéculative à tout moment. Par exemple, un déclin de l’indice Dow Jones créé de toutes pièces peut se produire de plusieurs façons, notamment en vendant à découvert, en misant sur une telle baisse sur le marché des options, etc. [1]

De manière amplement documentée, les méga-banques manipulent les marchés financiers. Des institutions financières très puissantes dont la JP Morgan Chase, HSBC, Goldman Sachs et Citigroup, ainsi que les fonds spéculatifs qui leur sont affiliés, ont la capacité de « pousser à la hausse » le marché boursier, puis de le « tirer vers le bas ». Cela leur permet de faire d’énormes gains aussi bien pendant la montée des cours que lorsque le marché est à la baisse. Cette façon de faire s’applique aussi aux marchés du pétrole, des métaux et des produits de base.

Il s’agit d’une fraude financière, que l’ancienne initiée de Wall Street et sous-secrétaire du département du Logement et du Développement urbain des USA qualifie « d’opération de gonflage et de largage », qui consiste à « gonfler artificiellement le cours d’une action ou d’une autre valeur mobilière en faisant sa promotion, afin de vendre à prix élevé », puis à faire encore plus de profit pendant le repli en vendant à découvert. « Cette pratique est illégale en vertu des lois sur les valeurs mobilières, mais elle est particulièrement répandue » (voir Stephen Lendman, Manipulation: How Financial Markets Really Work, Global Research, 20 mars 2009.

L’effondrement de la bourse de Shanghai

Au cours de la dernière année, l’indice SSE Composite de Shanghai est passé de 2 209 points le 27 août 2014 à 5 166 points le 21 juin 2015 (une hausse de 140 %), puis a chuté de plus de 30 % en l’espace de deux semaines, pour atteindre 3 507 points (le 8 juillet).

Les cours ont chuté de nouveau à partir du 19 août, dans la semaine qui a suivi l’explosion de Tianjin (12 août 2015), culminant avec le Lundi noir du 24 août (baisse spectaculaire de 7,63 % en une seule journée).

L’explosion de Tianjin a-t-elle contribué à exacerber cette « incertitude » à l’égard du marché des actions chinois ?

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Légende du graphique : Indice SSE Composite de Shanghai, 25-08-2015 à 14h08 :58

 

L’évolution de l’indice SSE au cours de cette période d’un an n’a rien à voir avec les forces spontanées du marché ou des marqueurs de l’économie réelle. Elle présente toutes les apparences d’un assaut spéculatif soigneusement élaboré, consistant à une poussée à la hausse suivie d’un entraînement vers le bas.

La possibilité d’une manipulation du marché a fait l’objet d’une enquête des autorités chinoises en juillet 2015, à la suite de l’effondrement de la bourse de Shanghai du 21 juin (voir le graphique ci-dessus) :

Le régulateur a précisé [dans son rapport du 3 juillet] qu’il allait vérifier si des parties avaient fait des ventes inadaptées de produits financiers (…)

La commission chinoise de réglementation des valeurs mobilières (CSRC) a pour sa part indiqué que son enquête reposerait sur des rapports de mouvements anormaux sur le marché boursier et le marché des contrats à terme.

(….) Certains rapports ont accusé des investisseurs étrangers d’avoir tiré les prix vers le bas en vendant des actions à découvert sur les marchés boursiers chinois, pariant ainsi sur la chute des cours.

(…) Toute affaire criminelle sera transférée à la police, a poursuivi le régulateur.

La Bourse des contrats à terme et des options de la Chine (CFFEX) a suspendu pour un mois 19 comptes pour cause de vente à découvert, rapporte l’agence Reuters, citant des sources anonymes (BBC, 25 août 2015, caractères gras ajoutés).

Le consensus médiatique (ainsi que les déclarations des autorités chinoises) était que des acteurs financiers chinois, et non des banques étrangères, seraient derrière cette manipulation du marché boursier : « Les investisseurs étrangers ont un accès limité aux marchés chinois ». D’après le Global Times, la manipulation du marché ne provient pas de sources étrangères.

Cette analyse ne tient toutefois pas compte du fait que de grands acteurs financiers comme Goldman Sachs, JP Morgan Chase, HSBC et d’autres sont très actifs en Chine, en négociant depuis Shanghai par l’entremise de mandataires financiers chinois en vertu d’ententes de coentreprise.

De plus, ces institutions financières occidentales sont bien connues pour leur rôle déterminant dans la manipulation des marchés boursiers et des marchés des changes :

Des régulateurs ont mis à l’amende six grandes banques pour un total de 4,3 milliards de dollars, parce qu’elles n’ont pas empêché des courtiers d’essayer de manipuler le marché des changes, à la suite d’une enquête mondiale échelonnée sur un an.

Les institutions financières HSBC Holdings Plc, Royal Bank of Scotland Group Plc, JPMorgan Chase & Co, Citigroup Inc, UBS AG et Bank of America Corp ont toutes été mises à l’amende à la suite de cette enquête, pour avoir bridé ce marché largement non réglementé dont le volume quotidien s’élève à 5 billions de dollars, accéléré la poussée vers l’automatisation des échanges et piégé la Banque d’Angleterre (…) Les courtiers utilisaient des noms de code pour identifier les clients sans les nommer et s’échangeaient de l’information dans des salons de clavardage en utilisant des pseudonymes comme « les joueurs », « les 3 mousquetaires » et « 1 équipe, 1 rêve ».  Ceux qui ne participaient pas étaient dénigrés et les courtiers employaient un langage obscène pour se féliciter des gains rapides faits grâce à leurs escroqueries, ont rapporté les autorités (Reuters, 11 novembre 2014).

Parmi les grandes institutions financières, Goldman Sachs se distingue pour négocier à partir de Shanghai depuis 2004 en vertu d’une entente de coentreprise avec la Beijing Gao Hua Securities Company.

Goldman Sachs est reconnue aussi pour son utilisation des soi-disant « programmes de transactions à haute fréquence » sur les marchés financiers :

« Les marchés peuvent être manipulés à l’aide d’ordinateurs utilisant des programmes de transactions à haute fréquence (HFT), qui constituent actuellement 70 % des transactions. Goldman Sachs est le champion incontesté de cette nouvelle technique de jeu (voir Ellen Brown,  Stock Market Collapse: More Goldman Market Rigging, Global Research, 8 mai 2010).

Un autre facteur ayant facilité les opérations spéculatives sur la bourse de Shanghai a été l’intégration des marchés boursiers de Hong Kong et de Shanghai en 2014, qualifiée de « train direct » ou « Stock Connect ». La procédure en place permet aux étrangers d’acheter des actions chinoises de catégorie A se transigeant sur la bourse de Shanghai à partir de Hong Kong, avec des « restrictions limitées », ce qui équivaut en fait un accès total au marché des actions chinois.

Guerre financière

Ces fluctuations à la hausse et à la baisse taillées de toutes pièces que connaît la bourse de Shanghai se traduit par la disparition de milliards de dollars de richesse monétaire, ce qui comprend les fonds de l’État chinois accordés par la Banque populaire de Chine pour soutenir le marché boursier de Shanghai. Mais où va donc cet argent? Qui profite de ces transactions estimées à plusieurs milliards de dollars?

En réponse à l’affaissement des titres en août, la Banque populaire de Chine « a offert 150 milliards de yuans (23,43 milliards de dollars) de prises en pension de titres, qui est une forme de prêts à court terme destinés aux prêteurs commerciaux ». C’est de l’argent gaspillé, car il n’a entraîné aucun renversement de tendance à la bourse de Shanghai.

Géopolitique

Des considérations géopolitiques sont aussi en jeu. Pendant que le Pentagone et l’OTAN coordonnent des opérations militaires contre des pays étrangers souverains, Wall Street mène des actions de déstabilisation sur les marchés financiers, y compris la manipulation des cours du pétrole et de l’or ainsi que du marché des changes, qui visent la Russie et la Chine.

Est-ce que la manipulation « possible » de la bourse de Shanghai fait partie d’un ensemble de mesures des USA à l’encontre de la Chine, qui consiste à affaiblir son système économique et financier?

La débâcle financière de la Chine sert‑elle des intérêts plus larges de la part des USA en matière de politique étrangère, dont font partie les menaces habituelles dirigées contre la Chine, sans parler du déploiement militaire des USA dans la mer de Chine méridionale?

Sommes-nous en pleine « guerre financière » dirigée contre une puissance économique mondiale concurrente?

Il convient de noter que des méthodes spéculatives (manipulation) ont également été employées sur le marché du pétrole et le marché des changes contre la Fédération de Russie. De pair avec le régime des sanctions, l’objectif était de tirer vers le bas le prix du pétrole brut (ainsi que la valeur du rouble russe), dans le but d’affaiblir l’économie de la Russie.

Le « pivot vers l’Asie » d’Obama dirigé contre la Chine se trouve renforcé par les mesures de déstabilisation qui ont cours à la bourse de Shanghai. Le but ultime est d’affaiblir, par des moyens non militaires, l’économie nationale de la République populaire de Chine (Michel Chossudovsky, US-NATO Military Deployments, Economic Warfare, Goldman Sachs and the Next Financial Meltdown, Global Research, 8 août 2015.

Michel Chossudovsky

 

 

Article original en anglais :

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Economic Destabilization, Financial Meltdown and the Rigging of the Shanghai Stock Market? publié le 26 août 2015

 Traduit par Daniel pour Mondialisation.ca

Note 

1. La dernière pratique compte parmi plusieurs instruments utilisés par les spéculateurs. Il n’y a pas de transaction d’achat ou de vente d’actions d’une entreprise inscrite sur le marché boursier. On ne fait que miser sur un mouvement haussier ou baissier de l’indice Dow Jones. Il s’agit d’un fonds indiciel avec options d’achat et de vente.

Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur d’économie à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre et de la Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller international publié en 12 langues).



Articles Par : Prof Michel Chossudovsky

A propos :

Michel Chossudovsky is an award-winning author, Professor of Economics (emeritus) at the University of Ottawa, Founder and Director of the Centre for Research on Globalization (CRG), Montreal, Editor of Global Research.  He has taught as visiting professor in Western Europe, Southeast Asia, the Pacific and Latin America. He has served as economic adviser to governments of developing countries and has acted as a consultant for several international organizations. He is the author of eleven books including The Globalization of Poverty and The New World Order (2003), America’s “War on Terrorism” (2005), The Global Economic Crisis, The Great Depression of the Twenty-first Century (2009) (Editor), Towards a World War III Scenario: The Dangers of Nuclear War (2011), The Globalization of War, America's Long War against Humanity (2015). He is a contributor to the Encyclopaedia Britannica.  His writings have been published in more than twenty languages. In 2014, he was awarded the Gold Medal for Merit of the Republic of Serbia for his writings on NATO's war of aggression against Yugoslavia. He can be reached at [email protected] Michel Chossudovsky est un auteur primé, professeur d’économie (émérite) à l’Université d’Ottawa, fondateur et directeur du Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) de Montréal, rédacteur en chef de Global Research.

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