Deuxième vague et raz-de-marée de détresse chez les jeunes

La première vague et son confinement ont eu des effets dévastateurs sur le plan psychologique pour beaucoup d’enfants et d’adolescents. Pour n’en nommer que quelques-uns : isolement social, crises familiales, décrochage scolaire, dépression, anxiété, troubles alimentaires, toxicomanie… Simultanément, le réseau de la santé s’est réorganisé : interruption de services dans les réseaux publics et privés, rencontres repoussées, éloignées, virtualisées, perte d’intervenants en milieux scolaire et communautaire, la crainte de venir à l’hôpital. En même temps, le bouleversement de la vie familiale en temps de pandémie imposé aux parents les a épuisés et isolés ; leurs capacités à s’adapter et à accompagner leurs enfants en sont grandement affectées. Mais à ce moment, les familles étaient en « mode survie », un style adaptatif qui vient avec son lot d’adrénaline qui nous aide à garder la tête hors de l’eau. Et il y avait l’espoir d’un été plus doux, d’une trêve dans cette lutte contre ce virus invisible, mais si présent.

Avec la deuxième vague qui sera certainement longue et l’hiver qui s’en vient, attendons-nous à une forte secousse sur la santé mentale de nos jeunes, une santé déjà très fragilisée. Les changements d’habitudes, les deuils et les accommodements demandés à nos enfants et à nos adolescents au nom de l’urgence sanitaire sont en train de se transformer en stress chronique, que l’on sait fortement associé à la détresse morale et aux troubles psychiatriques. Nos jeunes sont résilients, courageux, téméraires et nous les admirons. Mais ils ont aussi leurs limites et celles-ci ont été atteintes pour un nombre grandissant d’entre eux.

Depuis le début du mois de septembre, le nombre de consultations à l’urgence du CHU Sainte-Justine pour de la détresse psychologique chez les enfants et les adolescents a augmenté de façon fulgurante. Les crises suicidaires sont fréquentes et des gestes dangereux sont posés chaque jour. Les familles craquent, « on n’est plus capables », nous disent-elles. En tant que professionnelles de la santé présentes aux premières lignes auprès des enfants en situation de crise, nous l’avons vu et senti. Non seulement les consultations augmentent, mais l’intensité de la détresse atteint des niveaux sans précédent.

Plusieurs de ces patients ou leur famille ont déjà demandé de l’aide dans leur communauté. Or, les délais pour bénéficier d’un suivi psychosocial peuvent maintenant atteindre jusqu’à 24 mois ! Même les ressources au privé sont saturées, car les psychologues au privé ne prennent plus de nouveaux patients. À cela s’ajoute l’inconfort généralisé de réaliser un suivi à travers un écran alors que ces familles ont besoin de présence afin de les aider réellement à surmonter leurs enjeux. Cette réalité nouvelle complexifie énormément le travail de référence puisque, force est de constater qu’en ces temps de précarité, les portes se ferment beaucoup plus qu’elles ne s’ouvrent pour notre future génération.

Notre constat : ni le réseau public ni le réseau privé n’arrivent à absorber la crise sanitaire en santé mentale à laquelle nous assistons en pédiatrie.

Nos jeunes dépendent de nous, les adultes. En tant que société, nous avons déjà fait le choix judicieux de prioriser nos jeunes en maintenant les écoles ouvertes en présence, même si la rentrée scolaire a été difficile pour plus de jeunes que d’habitude. Nous avons maintenant le devoir de continuer à défendre leurs intérêts, leur bien-être, leur futur, et de les protéger. La deuxième vague sera longue, beaucoup plus longue que 28 jours. Les mesures ajoutées cette semaine pour des jeunes qui sont peu ou pas malades de la COVID serviront-elles vraiment à réduire les hospitalisations et les décès dans la population âgée ? Il n’est pas si clair que le fait de couper la présence physique à l’école de moitié et d’annuler les activités parascolaires collectives puisse diminuer la propagation du virus au sein des populations vulnérables. Par contre, la structure de l’école, la richesse des contacts sociaux (avec des jeunes de leur âge) et les bénéfices du sport et de l’art sont essentiels pour éviter que cette crise ne se transforme en catastrophe.

Oui, nous les adultes, nous la société, nous pouvons choisir d’accorder aux jeunes certains privilèges au nom de leur santé, surtout en temps de crise sanitaire. Agissons dès maintenant pour amoindrir les conséquences de la pandémie sur leur santé mentale.

Maintenons nos écoles ouvertes avec présence en classe. Conservons les activités parascolaires artistiques et sportives. Nos jeunes en ont besoin.

Geneviève Bureau, Nathalie Gaucher et Majorie Vadnais

 

Photo en vedette : pixabay.com

 

Geneviève Bureau, Nathalie Gaucher et Majorie Vadnais : Respectivement travailleuse sociale; pédiatre urgentiste; pédopsychiatre au Québec


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