Dick Marty demande la levée des sanctions contre Youssef Nada

Listes noires de l’ONU

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Sur son site personnel, Dick Marty résume comme suit l’injustice dont est victime Youssef Nada, et les démarches qui ont déjà été tentées pour la régler :

« Une affaire qui ne fait honneur, ni à notre pays, ni à l’ONU. Il [Youssef Nada] a été accusé d’avoir financé les terroristes du 11 septembre mais, aux États-Unis, aucune procédure n’a été ouverte contre lui ; on a préféré amener les Suisses et les Italiens à l’ouvrir. Le Procureur fédéral a abandonné la procédure engagée contre lui après une enquête de plus de trois ans. Le contribuable suisse a dû assumer entièrement les coûts énormes de la défense. Néanmoins, il [Youssef Nada] reste sur la “liste noire” de l’ONU, ses avoirs restent saisis, sa liberté de mouvement est sévèrement limitée. Tout cela en violation des droits les plus élémentaires du citoyen. Sa faute ? Être musulman et membre des Frères musulmans (un mouvement sur lequel circulent de nombreuses rumeurs et peu de vérités). Entre temps la justice milanaise, elle aussi, a fermé l’enquête : rien n’a émergé contre l’ingénieur Nada.

Sur cette affaire, j’ai présenté une interpellation [1], qui a été discutée en plénum le 7 décembre 2005 [2] : la position du Conseil fédéral ressemble à celle de Ponce Pilate : nous ne pouvons rien faire d’autre que d’appliquer les décisions du Conseil de Sécurité, même si celles-ci sont arbitraires !

Il est également apparu que le Procureur fédéral, en-dehors de toute procédure, a accordé en 2002 à la police américaine du FBI de photocopier tous les documents saisis à l’ingénieur Nada et à la banque Al Taqwa. Youssef Nada a déposé une plainte contre le Procureur fédéral ; un procureur extraordinaire a été nommé et l’enquête est en cours ou, plutôt, elle se traîne péniblement : la prescription semble être déjà intervenue pour une partie des actes … Est également pendant un appel devant la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg.

(…) J’ai porté l’affaire et, plus généralement, la question des listes noires devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe [3]. En janvier 2008, mon rapport a été approuvé à une majorité écrasante [4]. J’ai appelé l’ingénieur Nada à témoigner par le biais d’un message vidéo. [5]

(…) Cette question me révolte car elle constitue une injustice d’État de la part de qui aurait le devoir de proclamer et de mettre en œuvre les principes fondamentaux de l’État de droit, de la démocratie et du respect de la dignité de la personne. » [6]

Donnant suite à son indignation, Dick Marty est revenu maintes fois à charge. Il a déposé récemment la motion que nous vous présentons ici ; une motion qui demande au Conseil fédéral de ne pas se plier aux décisions illégales de l’ONU qui bafouent les droits fondamentaux du citoyen ; une motion qui contraint le Parlement à se confronter à cette affaire restée irrésolue par la lâcheté de l’exécutif.

Motion déposée auprès du Conseil fédéral par M. Dick Marty le 12 juin 2009

«  1. Le Conseil fédéral est invité à communiquer au Conseil de Sécurité de l’ONU qu’à partir de la fin de cette année, il n’appliquera plus les sanctions prises à l’encontre de personnes physiques sur la base des résolutions adoptées au nom de la lutte contre le terrorisme, dans la mesure où
– les personnes concernées se trouvent sur la « liste noire » depuis plus de trois ans et n’ont toujours pas été déférées à la justice,
– elles n’ont pas eu la faculté de recourir auprès d’une autorité indépendante ;
– aucune accusation n’a été retenue à leur encontre par une autorité judiciaire, et
– aucun élément nouveau à charge n’a pu être formulé depuis leur inscription dans la liste.

2. Le Conseil fédéral, tout en réaffirmant sa volonté inébranlable de collaborer dans la lutte contre le terrorisme, doit clairement faire valoir qu’il n’est pas possible pour un pays démocratique, fondé sur la primauté du droit, que des sanctions prononcées par le Comité des sanctions, en dehors de toute garantie processuelle, aient pour conséquence qu’on suspende, pendant des années, et en dehors de toute légitimité démocratique, les droits fondamentaux les plus élémentaires, ces droits justement proclamés et propagés par l’Organisation des Nations Unies.

Développement

L’inscription sur la liste noire du Conseil de Sécurité est proposée par un Etat (à ma connaissance toujours acceptée) et engendre des conséquences très graves pour la liberté de la personne concernée : tous ses biens sont bloqués dans le monde entier et il lui est interdit de passer une frontière. Contre cette mesure il n’existe aucune possibilité de recourir à un organisme indépendant.

Les motifs exacts, à la base de la décision ne sont que très partiellement portés à la connaissance de l’intéressé et même les membres du Comité des sanctions n’ont qu’un accès restreint aux informations à la base de la requête de l’inscription. La Cour de Luxembourg a déjà jugé la liste noire de l’UE (analogue à celle de l’ONU) comme contraire aux principes fondamentaux du droit. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a vivement condamné ces pratiques (v . assembly.coe.int).

Si le mécanisme des listes noires est acceptable comme mesure d’urgence et pour une période limitée de lutte contre le terrorisme, il est inadmissible qu’une personne soit inscrite sur ces listes, et ainsi fortement lésée dans ses droits fondamentaux, pendant des années, sans même avoir la possibilité de se défendre correctement et de recourir. La Suisse a appliqué les mesures restrictives de la liberté à la suite de l’inscription sur la liste noire à l’endroit de plusieurs personnes, bloquant les biens des personnes concernées et en les empêchant de se mouvoir librement.

Exemplaire est le cas de M. N ( v. interpellation 05.3697 ) inscrit sur la liste noire depuis l’automne 2001. Deux enquêtes pénales ont été engagées à son égard en Suisse et en Italie : les deux procédures ont été classées par le Ministère Public de la Confédération (les frais de procédure et de la défense ont été mis à la charge de la Confédération) ainsi que par le Tribunal de Milan. Nonobstant que ces deux autorités pénales n’aient trouvé aucun élément à sa charge, M. N. est aujourd’hui encore sur la liste noire ! Agé de bientôt 80 ans, M. N. vit à Campione d’Italia, la petite enclave italienne près de Lugano qu’il ne peut quitter depuis maintenant bientôt huit ans. Il a travaillé pendant environ trente ans en Suisse, sans soulever aucun problème. Ses biens sont bloqués par décision du SECO depuis 2001 et M. N. ne peut exercer aucune activité ; une grande partie de ce qu’il a construit au cours de sa vie professionnelle a été anéanti.

Cela se passe en Suisse au XXIème siècle sur la base de décisions prises par une organisation internationale sensée promouvoir les valeurs de la démocratie, des droits de l’homme et de la paix. Il faut reconnaître et saluer les efforts de la diplomatie suisse pour essayer de modifier et améliorer ces procédures. Les résultats sont, hélas, modestes et encore insuffisants. Il est inadmissible que par le biais du droit international et à la suite de décisions d’un organisme sans aucune légitimité démocratique on puisse court-circuiter, pendant des années, les principes fondamentaux de notre démocratie et de notre Etat de droit. » [7]

Il reste à espérer que cette motion parvienne à contraindre la classe politique à se déterminer de manière à régler cette douloureuse question.

Les sanctions du Conseil de Sécurité des Nations Unies ont frappé essentiellement des gens de confession musulmane. Ces mesures anti-terroristes, Obama, les a qualifiées non sans agacement de « bazar ».

C’est dans le cadre de ce « bazar », sur fond de « danger islamique » fabriqué par des agents secrets occidentaux et des journalistes à leur solde que, dès les années 90, des personnes de confession musulmane à la moralité irréprochable se sont trouvées salies, exclues, ruinées, assimilées au terrorisme ; ce qui a permis à Georges Bush de donner un visage au terrorisme, de justifier la nécessité de constituer des listes noires, de faire passer sur fond d’urgence des sanctions illégales.

Des gens essentiellement d’origine arabe ou attachés à la religion musulmane, tout-à-fait honorables, ont été traînés dans la boue par des journalistes qui colportaient – en connaissance de cause, semble-t-il – les mensonges du Mossad. Ces gens injustement stigmatisés sont depuis 2001, privés de leurs biens et de leur liberté de mouvement, sans aucune possibilité de recours, ceci avec la complicité de nos autorités.

C’est cela qui est gravissime. Il est inacceptable que Mme Calmy-Rey, Conseillère fédérale, Cheffe du Département fédéral des affaires étrangères, qui aurait de par sa fonction les moyens de faire cesser ces abus, n’ait rien fait pour régler cette affaire.

Face à cette injustice d’État, il est du devoir des journalistes informés de porter à la connaissace de l’opinion publique ces abus, et de soutenir ces rares voix qui, comme celle de M. Dick Marty, les dénoncent inlassablement.

 

(*) Dick Marty est une personnalité politique suisse. Il siège au Conseil des États (Sénat) de la Confédération helvétique, dont il préside la Commission de politique extérieure.

Il est également membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dont il préside la Commission des Affaires juridiques et des Droits de l’Homme. C’est à ce titre qu’il a été chargé, en 2005, d’enquêter sur l’existence des prisons secrètes de la CIA en Europe. Voir à ce sujet ses deux rapports :
 « Allégations de détentions secrètes et de transferts illégaux de détenus concernant des Etats membres du Conseil de l’Europe », Rapport de M. Dick Marty à la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 12 juin 2006.
 « Détentions secrètes et transferts illégaux de détenus impliquant des Etats membres du Conseil de l’Europe : 2e rapport », Rapport de M. Dick Marty à la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 7 juin 2007.
Voir également :
 « Dick Marty : Ce que j’ai découvert m’a profondément choqué », par Silvia Cattori, silviacattori.net, 20 juin 2008.

En août 2007, il a été chargé d’enquêter sur la liste « terroriste », établie et gérée par l’ONU. Voir :
 « Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies – Note introductive », par Dick Marty, rapporteur, Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 19 mars 2007.
 « Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union européenne – Projet de rapport » par Dick Marty, rapporteur, Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 31 octobre 2007.
Ses enquêtes ont démontré que tout cela se fait en violation du droit international : voir
 « Déclaration de Dick Marty devant la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen à Bruxelles, le 7 avril 2008 ».

(**) Sur Youssef Nada, voir :
 « Official site of Youssef Nada ».
 « L’incroyable histoire de Youssef Nada », par Silvia Cattori, Mondialisation, 13 juin 2008.
 « Lettre ouverte à Madame Micheline Calmy-Rey », par Silvia Cattori, Mondialisation, 22 juin 2008.
 « Réponse de Mme Calmy-Rey à la lettre d’une simple citoyenne », par Micheline Calmy-Rey, silviacattori.net, 1er juillet 2008.
 « La Suisse n’est pas tenue d’appliquer les sanctions de l’ONU », par Silvia Cattori, silviacattori,net, 24 juillet 2008.
 « La diplomatie suisse en accusation », par Silvia Cattori, Mondialisation, 29 septembre 2008.
 « Youssef Nada : Pour nous le mal est déjà fait », par Silvia Cattori, silviacattori.net, 23 octobre 2008.
 « Au nom de l’homme, un film d’Andrea Canetta », par Silvia Cattori, Mondialisation, 26 février 2009.

Notes

[1] Voir le texte déposé le 7 octobre 2005 par M. Marty sous le titre « Violation des droits de l’homme sous l’égide de l’ONU avec la participation de la Suisse », ainsi que la « Réponse du Conseil fédéral du 23.11.2005 ».

[2] Voir le texte de cette discussion en plénum.

[3] Voir : « Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies – Note introductive », par Dick Marty, rapporteur, Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 19 mars 2007.

[4] Voir : « Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union européenne – Projet de rapport » par Dick Marty, rapporteur, Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 31 octobre 2007.

[5] Voir : « Consiglio d’Europa – Liste nere ONU ».

[6] Traduit par JPH. Voir le texte original en italien.

[7] Source :
http://www.dickmarty.ch/Docs/2009615_liste_nere_mozione_090612.pdf



Articles Par : Silvia Cattori

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