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Dick Marty. Rapporteur du Conseil de l’Europe et auteur du rapport sur « Des agents de la CIA m’ont parlé »
Par Patrick Vallélian et Sid Ahmed Hammouche
Mondialisation.ca, 09 mai 2007
El Watan 9 mai 2007
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Entretien avec Dick Marty

Un nouveau pavé de 70 pages dans la mare des vols secrets de la CIA en Europe. Une année, quasiment jour pour jour, après la présentation de son premier rapport sur les activités illicites de l’agence de renseignement américaine sur le vieux Continent, le conseiller aux Etats radical tessinois et rapporteur du Conseil de l’Europe va divulguer le deuxième volet de son enquête le 8 juin prochain à Paris.

Quelles seront les grandes lignes de votre second rapport ?

Nous serons en mesure de renforcer les affirmations du premier rapport qui a été publié le 7 juin 2006 sur les activités secrètes de la CIA en Europe notamment, grâce à de nouvelles pièces et surtout avec des témoignages d’agents secrets de la CIA. Ils m’ont parlé parce qu’ils trouvent dégueulasse ce qui se passe. Cela nous permettra d’exiger encore plus nettement que certains pays fassent leur devoir de vérité dans ce dossier. Mais je ne vous dirai pas lesquels maintenant. Les grands pays européens sont-ils impliqués ? Ils savaient ce qui se passait. A l’image de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne ou de la France. Mais ils n’ont pas bougé. A mon avis, des accords secrets entre les gouvernements occidentaux ont été signés après le 11 septembre 2001 pour donner plus de pouvoirs à leurs services de renseignement. C’est ce qui explique pourquoi certains pays sont hostiles à mes investigations. Et le fait que leur parlement ou leur opinion publique ne manifeste pas un grand intérêt pour cette question ne les motive pas à agir.

Pourquoi cette indifférence ?

On a peur de ce qu’on ne connaît pas. La population craint la psychose terroriste. Elle fait de plus en plus souvent l’équation « musulman égale islamiste, islamiste égale terroriste ». C’est une terrible bombe à retardement. D’autant qu’on déplace le problème du terrorisme sur le terrain de la confrontation interculturelle.

Votre travail est-il utile ?

L’autre jour, je me promenais dans la forêt, j’ai vu par terre un sachet en plastique, je l’ai donc ramassé. La personne qui était avec moi m’a demandé pourquoi. A mon avis, les progrès dans le domaine des droits de l’homme se font à travers une infinité de petits gestes. J’ai d’ailleurs été étonné du nombre de personnes qui m’ont écrit pour me soutenir. Ils me disaient que c’est bien qu’un politicien se préoccupe de nos valeurs de liberté, alors qu’elles sont absentes de l’agenda politique. Comme si elles étaient conquises.

Ce n’est pas le cas…

La guerre contre le terrorisme est un prétexte pour limiter les libertés individuelles. Elles gênent ceux qui ont le pouvoir. La liberté de presse s’érode par exemple un peu partout. Et puis, c’est tout de même curieux qu’on ne combatte pas le trafic d’armes avec la même énergie que le terrorisme. Comment se fait-il que des avions pleins d’armes arrivent chaque jour au Darfour ?

Mais pour les Américains, ces vols secrets et ces transferts de prisonniers sont-ils une manière de prévenir d’autres attentats ?

Je ne dis pas qu’il ne faut pas combattre le terrorisme, mais cela doit être fait dans les règles de la démocratie. Il n’est pas normal qu’un prévenu ne puisse pas se défendre. Il doit avoir droit à un procès. Et rien ne dit que ces méthodes sont plus efficaces. C’est même plutôt le contraire. Les Français, qui avaient infiltré les organisations islamistes, avaient averti les USA de l’imminence du danger. En outre, en employant des moyens de voyous, on se met au niveau des terroristes. On crée aussi des mouvements de sympathie qui sont au terrorisme ce que l’oxygène est au feu.

Vous, qui tentez de remettre l’église au milieu du village dans ce dossier des prisons secrètes, vous sentez-vous en danger ?

Non, mais surveillé oui. J’ai eu l’occasion de parler à des journalistes étrangers, et tout à coup, j’ai eu la certitude qu’ils travaillaient pour des services de renseignement.

Auriez-vous pu être piégé ?

Ce n’est pas difficile. Mais je ne crois pas. De toute façon, je n’ai rien à cacher. Cela dit, on pourrait détruire mon image et donc ma crédibilité pour me faire taire.

Vous sentez-vous assez soutenu ?

Nous sommes deux à Strasbourg, dont une personne à temps partiel, pour traiter le dossier des vols secrets. C’est ridicule. C’est comme courir sur le circuit de Monza contre les F1 avec un vélo militaire. C’est une « impossible mission ».

Les vols secrets de la CIA se poursuivent-ils ?

Il semble que oui. Mais j’ose espérer que cela ne se passe plus en Europe. Tout cela pose aussi la question de la maîtrise des services secrets qui ne sont quasiment plus contrôlés par les Etats. C’est un danger pour la démocratie.

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