«Diplomatie assassine». Mike Pompeo a-t-il saboté le sommet Kim-Trump?

« Si Kim Jong-Un meurt soudainement, ne m’en parlez pas (...) Vu l’historique de la CIA, je n’aurai rien à dire » (Pompeo, octobre 2017). Comment la RPDC peut-elle faire confiance au négociateur en chef de Washington après cela?

Diplomatie courtoise au dîner. Sourires aux lèvres des deux côtés. Un beau dîner privé. « Tous passent du bon temps. Du moins, je l’espère », a dit Trump. 

Trump et Kim se sont rencontrés environ une demi-heure avant ce dîner officiel. Kim a souri et a dit : 

« Nous avons eu un dialogue très intéressant entre nous pendant environ 30 minutes. »

Trump a répondu en souriant, « oui, c’était bien ».

« Nous allons avoir une journée fort occupée demain, » a poursuivi Trump.

« Et bien des choses seront réglées. Je l’espère bien. Je crois que cela mènera à une situation merveilleuse à long terme (…) Et notre relation est vraiment spéciale ». 

En fin de compte, cependant, il n’y a pas eu de déclaration officielle ou de communiqué conjoint. Mais que s’est-il passé? Qu’est-ce qui a mal tourné? 

Avant le sommet d’Hanoi, Trump a indiqué que si la RPDC décrétait un moratoire sur les essais nucléaires, il serait satisfait, et que cet engagement mènerait à des négociations ultérieures.

Sauf que ses principaux conseillers ne partageaient pas cette opinion :

« Les principaux collaborateurs de Trump ont exprimé leur scepticisme en privé (…) Certains croient que Trump pourrait se sentir obligé de faire une concession majeure à Kim pendant leurs discussions directes, y compris dans une séance à huis clos, dans l’espoir d’obtenir un engagement réciproque qu’il pourrait qualifier de victoire politique. » (WaPo, 24 février 2018, soulignement ajouté)

Qui sont ces « principaux collaborateurs de Trump »? Le Washington Post (WaPo) omet de mentionner le rôle central du secrétaire d’État Mike Pompeo, qui a été chargé des négociations dès le départ en 2017, lorsqu’il dirigeait la CIA.

Sans savoir ce qui s’est dit derrière des portes closes (entre les deux dirigeants et leurs principaux conseillers), ou ce dont il a été question entre Pompeo et Kim Yong-Chol dans les réunions préliminaires en vue du sommet d’Hanoi, des éléments de preuve indiquent que Pompeo a joué un rôle déterminant dans le sabotage des négociations de paix, tant à Singapour qu’à Hanoi. 

SCMP Octobre 2017

En octobre 2017, quelques mois après le début des négociations avec la RPDC, Pompeo, qui dirigeait encore la CIA, a laissé entendre publiquement que Kim Jong-Un figurait sur la liste des personnes à abattre de la CIA :

« Si Kim Jong-Un meurt soudainement, ne m’en parlez pas », a alors dit le chef de la CIA.

« Honnêtement, si Kim Jong-Un disparaît, vu l’historique de la CIA, je n’aurai rien à dire.

« Notre agence deviendra beaucoup plus vicieuse (…).

« (…) Le président a été très clair. Il est prêt à faire en sorte que Kim Jong-Un n’ait pas la capacité de mettre les USA en danger. Par la force militaire s’il le faut. »

C’était une provocation délibérée.

« Diplomatie assassine »

La RPDC se méfie du négociateur de paix de Washington depuis le tout début. 

Pompeo devrait être exclu du processus de négociation de la paix, qui exigerait éventuellement l’abrogation de l’accord d’armistice de 1953 et la signature d’un accord de paix avec la RPDC et la Chine. 

Cruelle ironie du sort, c’est Mike Pompeo, celui-là même qui a nonchalamment parlé de « l’historique de la CIA » en matière d’assassinats politiques, qui aujourd’hui joue un rôle central dans les négociations de « paix » avec son envoyé en Corée du Nord, Stephen Biegun.

Pyongyang est pleinement conscient de la liste d’assassinats. Mais Pompeo a délibérément choisi de la rendre publique avant d’entamer des négociations avec un dirigeant politique qui figure sur la liste noire de la CIA. Cela revient à dire à Kim : « Négocions, mais si ce n’était que de moi, je te tuerais ». 

Sans surprise, dans la foulée des négociations entre les USA et la RPDC que Pompeo a tenues à Pyongyang après le sommet de Singapour (12 au 14 juin 2018), la RPDC a fustigé les exigences unilatérales « dignes de gangsters » de l’administration Trump en matière de dénucléarisation. La déclaration visait Pompeo, qui était chargé des négociations au nom du président Trump.

« Nous exprimons toujours notre bonne foi au président Trump (…). Mais les USA [Pompeo] ne font qu’exprimer des exigences unilatérales dignes de gangsters en matière de dénucléarisation (…). Le côté étasunien [Pompeo] n’a jamais abordé la question d’un régime de paix dans la péninsule coréenne et qui est essentielle pour faire baisser la tension et éviter une guerre. » (déclaration de la RPDC, 8 juillet 2018, soulignement ajouté)

Deuxième jour du sommet de Hanoi

Revenons maintenant à Hanoi, le 27 février 2019, lorsque les deux dirigeants ont exprimé leur optimisme quant à « la poursuite de l’excellent dialogue ».

« Je ne suis pas pressé, a dit Trump aux côtés de Kim. Ce qui importe, c’est de conclure le bon accord ».

La RPDC n’a procédé à aucun essai nucléaire ou tir expérimental de missile balistique depuis la fin de 2017, ce qu’a reconnu Trump.

« Personnellement, j’apprécie grandement qu’il n’y ait pas de mise à l’essai de roquettes et de missiles nucléaires », a ajouté Trump. 

Les deux dirigeants s’attendaient à des résultats positifs :

La décision de « fermer pour de bon » le complexe nucléaire de Yongbyon, un des principaux centres de recherche nucléaire de la RPDC, à l’ouest du pays, ainsi que le site d’essais de moteurs de missiles de Tongchang-ri, a été prise en septembre dernier. Pyongyang a également déclaré que la RPDC était prête à inviter des experts internationaux pour assister au démantèlement ou même prendre de nouvelles mesures de dénucléarisation si les USA adoptaient des mesures réciproques. (CGTN, 27 février 2019)

Avant la réunion de conclusion, les deux dirigeants avaient tenu une « réunion à huis clos » fructueuse d’environ 45 minutes (les « principaux collaborateurs » de Trump craignaient qu’elle permette à ce dernier de conclure un accord avec Kim, comme le rapportait l’article du WaPo mentionné ci-dessus). 

Volte-face

Puis il y a eu une volte-face à la toute dernière séance, à laquelle assistaient le secrétaire d’État Mike Pompeo et le vice-président du comité central du Parti des travailleurs de la Corée Kim Yong-chol.  

Du côté des USA, ce résultat avait été planifié à Washington bien avant le sommet d’Hanoi, en consultation avec la CIA, le département d’État et le Pentagone, y compris avec le conseiller à la Sécurité nationale John Bolton.

Rien de concret n’est ressorti. Pourquoi les choses ont-elles mal tourné? La réunion derrière des portes closes avec les principaux conseillers (et leurs interprètes) a abouti à une impasse. 

Les USA n’ont rien offert en échange de la promesse de dénucléarisation de la RPDC. Pompeo a-t-il joué un rôle central en sabotant délibérément le processus de paix à la réunion de conclusion derrière des portes closes? 

Aucun communiqué final. Les USA ont refusé de modifier le régime de sanctions.

Voir la vidéo ci-dessous.

Réunion de conclusion à 1:38

Voir la déclaration de Trump à la conférence de presse à 2:15

« Essentiellement, ils voulaient la levée complète des sanctions, ce que nous ne pouvons accorder. Ils sont prêts à dénucléariser une bonne partie des secteurs comme nous le voulons. Mais nous ne pouvons lever toutes les sanctions », a déclaré Trump. 

« Parfois, il faut continuer de marcher et c’est ce qui arrive maintenant. » 

La déclaration de Trump à propos de la levée des sanctions est un mensonge. 

La RPDC a demandé la levée partielle des sanctions et cette demande a été refusée. Voir la déclaration du ministre des Affaires étrangères lors du point de presse de la RPDC ci-dessous : 

2:50 ministre des Affaires étrangères de la RPDC Ri Yon-ho

« Si les USA lèvent les sanctions qui nuisent à l’économie civile et à la vie décente de notre peuple, nous allons démanteler complètement et en permanence nos installations de production nucléaire dans le secteur de Yogbyon, y compris le plutonium et l’uranium, en présence d’experts des USA, par une force conjointe formée de techniciens des deux pays. » 

….

« Nous avons demandé une levée partielle des sanctions, pas de l’ensemble.

Nous avons demandé la levée de cinq sanctions qui nous ont été imposées en 2016 et 2017 sur un total de 11 sanctions, qui nuiraient à l’économie et à la vie des gens ordinaires » (déclaration du ministre des Affaires étrangères de la RPDC Ri Yon-ho).

Dernière conférence de presse et déclarations (vidéo du WaPo)

https://news.cgtn.com/news/3d3d774d3263544f32457a6333566d54/index.html

Michel Chossudovsky

 

Article original en anglais :

“Killer Diplomacy”: The Kim-Trump Summit in Hanoi, Sabotaged by Mike Pompeo?By Prof Michel Chossudovsky, le 1er mars 2019.

Traduit par Daniel pour Mondialisation.ca



Articles Par : Prof Michel Chossudovsky

A propos :

Michel Chossudovsky is an award-winning author, Professor of Economics (emeritus) at the University of Ottawa, Founder and Director of the Centre for Research on Globalization (CRG), Montreal, Editor of Global Research.  He has taught as visiting professor in Western Europe, Southeast Asia, the Pacific and Latin America. He has served as economic adviser to governments of developing countries and has acted as a consultant for several international organizations. He is the author of eleven books including The Globalization of Poverty and The New World Order (2003), America’s “War on Terrorism” (2005), The Global Economic Crisis, The Great Depression of the Twenty-first Century (2009) (Editor), Towards a World War III Scenario: The Dangers of Nuclear War (2011), The Globalization of War, America's Long War against Humanity (2015). He is a contributor to the Encyclopaedia Britannica.  His writings have been published in more than twenty languages. In 2014, he was awarded the Gold Medal for Merit of the Republic of Serbia for his writings on NATO's war of aggression against Yugoslavia. He can be reached at [email protected] Michel Chossudovsky est un auteur primé, professeur d’économie (émérite) à l’Université d’Ottawa, fondateur et directeur du Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) de Montréal, rédacteur en chef de Global Research.

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