Discours futile

 

Une écolière passe en courant devant un membre armé des forces fidèles au gouvernement du Hamas pendant une fusillade dans une rue de Gaza.

Le dernier épisode de l’épreuve de force prolongée, et maintenant sanglante, entre le Fatah et le Hamas a commencé le samedi 16 décembre, quand Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité Palestinienne (PA) et aussi chef du Fatah, a prononcé un discours cinglant rendant le Hamas responsable de la fâcheuse situation politique et financière actuelle faisant affrontée par le palestiniens.

Parlant depuis son quartier général rénové de Ramallah devant une large audience de chefs et de responsables du Fatah, ainsi qu’un certain nombre de personnages publics invités, Abbas a critiqué et ridiculisé le gouvernement dirigé par le Hamas pour presque chaque problème sous le soleil, depuis ses principes politiques et idéologiques jusqu’à la « contrebande » de valises pleines d’argent liquide dans la Bande de Gaza via le passage frontalier de Rafah.

Abbas a fustigé le gouvernement du Premier ministre Ismail Haniyeh pour son rapprochement avec l’axe Iranien-Syrien-Hezbollah, mettant en danger les intérêts vitaux du peuple palestinien en invitant à de lourdes sanctions israélo-occidentales, et pour son échec à empêcher le chaos et l’anarchie, y compris le massacre d’un certain nombre de civils récemment à Gaza.

Abbas a aussi indirectement stigmatisé la capture, il y a presque cinq mois, d’un soldat de l’occupation israélienne par les combattants de la résistance palestinienne, disant : « Ce soldat nous a jusqu’ici coûté plus de 300 vies et des milliers de blessés palestiniens. »

À la fin de son discours, qui a duré 90 minutes, Abbas a annoncé qu’il allait au plus tôt réclamer des élections présidentielles et législatives, disant qu’il avait le pouvoir constitutionnel de le faire, une prétention fortement contestée par la plupart des jurisconsultes.

Le chef palestinien n’a pas désigné de date pour les élections éventuelles, indiquant qu’il laissait toujours la porte ouverte à la formation possible d’un gouvernement d’unité nationale.

Abbas a reçu une ovation debout des chefs du Fatah, dont beaucoup sont considérés ennemis avérés du Hamas, qui ont depuis longtemps conseillé vivement et pressé le Président de la PA pour qu’il dissolve le gouvernement et le parlement sans tenir compte des contraintes constitutionnelles.

Quelques heures après le discours, la garde présidentielle d’Abbas — à ce qu’on dit financée, armée et entraînée par les USA — s’alliant à des centaines de défenseurs pro-Hamas au centre de Ramallah, ont tué une personne et blessé plus de 35 autres, dont sept admises dans un état critique.

La férocité de la confusion mettait en évidence l’ampleur de l’esprit de vengeance et du caractère vindicatif ressentis par le personnel de sécurité du Fatah envers le Hamas, qui accuse les policiers paramilitaires d’imiter l’armée israélienne.

La PA a reproché aux défenseurs du Hamas de chercher à tenir une manifestation sans en avoir reçu l’autorisation officielle au préalable, avec quelques responsables criant : « Ce n’est pas Gaza, ici c’est Ramallah ! »

Mais l’excuse du permis n’était qu’un prétexte, le vrai motif évident était d’envoyer un message aux défenseurs du Hamas en donnant à certains d’entre eux une bonne raclée, sans doute par revanche contre le massacre des trois fils d’un dirigeant de la sécurité du Fatah à Gaza la semaine dernière, dont le Fatah a tacitement rejeté la faute sur le Hamas, bien que le Hamas en ait nié toute responsabilité.

À la suite du speech de Abbas, et pendant que les forces de police du Fatah se liguaient contre les défenseurs du Hamas à Ramallah, les responsables du Hamas ont immédiatement riposté, appelant le discours de Abbas « provocateur » et « incitateur à la violence ».

« Abbas nous appelle des contrebandiers. Hé bien, les contrebandiers et les voleurs sont ceux qui ont dérobé les centaines de millions de dollars de notre peuple et se sont enfuis à l’étranger, pas ceux qui apportent de l’argent pour alimenter nos enfants affamés, » a répliqué Mahmoud Zahar, ministre des Affaires Étrangères palestinien.

« Regarder ce que votre discours a fait à Ramallah, » a-t-il ajouté.

Les récriminations et les contre-récriminations ont continué, avec le Hamas réaffirmant sa déclaration selon laquelle l’ancien chef de la sécurité de la PA, Mohamed Dahan, était derrière la tentative ratée d’assassinat du premier ministre palestinien Ismail Haniyeh pendant qu’il revenait de son voyage prolongé à l’étranger via le passage frontalier de Rafah la nuit de jeudi. Un garde du corps de Haniyeh a été tué, et le propre fils de Haniyeh a été légèrement blessé au visage. Son conseiller politique Ahmed Youssef a perdu l’un de ses doigts.

Mardi soir, le 19 décembre, Haniyeh a prononcé un discours qui comportait une réfutation point à point du discours de Abbas. Le Hamas, dit-il, n’a pas rejeté « l’initiative saoudienne », comme Abbas l’a prétendu dans son discours. « Tout ce que nous avons dit était ‘ Laissez-nous voir si Israël l’acceptera ‘, et s’ils l’acceptent, alors nous suivrons le consensus Arabe, après tout nous faisons partie de l’umma Arabe (nation Arabe). »

Haniyeh a aussi rejeté les accusations de Abbas, selon lesquelles le Hamas mettrait en danger les intérêts nationaux palestiniens en rejoignant « l’axe » — une allusion à l’Iran. « Hé bien, les nations arabes et musulmanes sont notre milieu stratégique. En outre, nous ne sommes pas avec une partie contre l’autre, et nous ne sommes dans la poche de personne. Ainsi, sommes-nous supposés avoir affaire avec des gens qui ouvrent leurs portes devant nous, nous aident et se tiennent avec nous ? » a demandé Haniyeh.

Rejetant l’appel de Abbas à de prochaines élections comme inconstitutionnel et illégal, Haniyeh accuse le Président palestinien et le Fatah d’avoir adopté une attitude hostile au gouvernement dirigé par le Hamas depuis son début même. « Ils pensaient que le gouvernement survivrait seulement un ou deux mois et ils ont rejeté tous nos gestes et nos avances depuis le premier jour. »

Il est incertain que l’appel de Abbas à de prochaines élections présidentielles et législatives soit sérieux ou qu’il soit juste destiné à contraindre le Hamas à faire des concessions au Fatah en ce qui concerne la formation d’un gouvernement d’unité nationale.

Du point de vue juridique et constitutionnel, Abbas n’a pas le pouvoir de dissoudre le Conseil Législatif Palestinien, comme Nahed Al-Rayes, ancien ministre de la Justice palestinien, et beaucoup d’autres experts en constitution l’ont noté.

L’aspect constitutionnel écarté, l’organisation d’élections prochaines serait difficile sinon impossible étant donnée le niveau d’anarchie en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. Ainsi, l’insistance de Abbas et du Fatah pour des élections maintenant en dépit de l’opposition du Hamas, mèneraient presque certainement à l’effondrement du fragile cessez-le-feu avec Israël, et dans de telles circonstances, aucune élection ne pourra être tenue.

Il y a aussi la perspective d’une scission entre Gaza et la Cisjordanie. Le Hamas a déjà indiqué qu’il boycotterait les élections. Ceci pourrait mener — étant donné qu’un grand nombre d’électeurs pourraient suivre le Hamas — à avoir deux gouvernements, à Ramallah et à Gaza, chacun prétendant être le véritable représentant du peuple palestinien et tous deux dépérissant, d’un manière ou d’une autre, sous l’occupation israélienne.

Peut-être est-ce que les étasuniens veulent dire quand ils parlent du « chaos créateur » au Moyen-Orient.

En attendant, le 18 décembre, Tony Blair, le premier ministre britannique a visité Ramallah et parlé presque passionnément de la nécessité de résoudre le problème palestinienne et de défaire les forces du radicalisme et du terrorisme. Mais pendant que Blair et Bush semblaient enthousiastes au sujet du renforcement « modéré » des dirigeants comme Abbas, ni les USA ni le Royaume-Uni n’a pu persuader Israël d’enlever même un seul barrage routier en Cisjordanie.

Peu ont pris Blair au sérieux. Les Palestiniens connaissent bien les promesses vides, et ils entendent bien l’influence en chute libre de Blair sur l’administration Bush.

Khalid Amayreh est journaliste à Jérusalem.

Original : http://weekly.ahram.org.eg/2006/825/re61.htm, 24 décembre 2006.

Traduction de Pétrus Lombard


Articles Par : Khalid Amayreh

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