Drame au Japon – Sans précédent

Le stoïcisme japonais est largement louangé depuis le début de la semaine infernale que vit ce pays, alors que les épreuves déboulent en cascade. De quoi rassurer bien des observateurs, surtout économiques, qui prévoient déjà avec optimisme la remise sur pied du pays. Mais ce calme est trompeur, car il amène à sous-estimer l’impact d’un facteur-clé: l’incertitude totale dans laquelle le Japon est plongé.

Les grandes catastrophes naturelles ont une fin: un jour, la terre finit de trembler, le volcan de cracher ses cendres, la mer de tout dévaster. Le Japon, lui, n’a pas encore eu droit à l’accalmie. Il en est réduit à tâtonner pour arriver à contrôler les défaillances des réacteurs nucléaires de la centrale de Fukushima.

Et on ne sait pas où cela mènera, que ce soit à court ou long terme. Les seuls scénarios auxquels on peut se référer, Three Mile Island et Tchernobyl, ne présentaient pas les mêmes caractéristiques que ce que vit le Japon — où, de surcroît, la population autour de la centrale est profondément épuisée — physiquement, mentalement et matériellement — par les séismes traversés. En dépit de son propre passé lourd de catastrophes, le Japon n’a pas de repères pour vivre le drame actuel. Dans ce contexte, prévoir des lendemains qui chantent est franchement prématuré. Et le calme si vanté des Japonais a aussi son revers.

Ce trait culturel a pour corollaire la tendance à minimiser les problèmes et à ne pas vouloir déranger. Ce qui expliquerait en partie le refus par la compagnie Tepco, propriétaire de la centrale de Fukushima, de l’aide offerte dès samedi par les États-Unis et l’Agence internationale de l’énergie atomique, comme l’explique un article du Monde que nous reprenons dans nos pages. Il s’agissait là d’une erreur.

De même, certains reportages associent le calme des Japonais à la confiance qu’ils ont envers ceux qui gèrent la situation. C’est faux: eux aussi s’impatientent devant les informations contradictoires qui circulent. Hier, le gouverneur de la préfecture de Fukushima, M. Yuhei Sato, a ouvertement remis en cause l’efficacité du plan d’évacuation de sa région. Le premier ministre Naoto Kan lui-même y a été d’une explosion de reproches, mardi, quand il a rencontré les dirigeants de Tepco, estimant que ceux-ci informaient mal son gouvernement.

Car l’incertitude, c’est là aussi qu’elle se vit. Pour bien des catastrophes modernes, ce sont les entreprises qui détiennent l’information, alors que ce sont les politiciens qui doivent en répondre publiquement. Critiqués au quotidien, ils redeviennent des repères pour leurs concitoyens quand le drame survient. Ce fut vrai au Québec lors de la crise du verglas, vrai aux États-Unis où la crise de la marée noire due à BP dans le golfe du Mexique reposa sur les épaules de Barack Obama, vrai en Haïti où, au contraire, l’absence de leadership politique a compliqué les lendemains du tremblement de terre.

Et c’est vrai au Japon aussi, pays où les premiers ministres n’ont pourtant jamais été des leaders comme en Occident et où M. Kan était, jusqu’à vendredi dernier, un premier ministre en sursis, ébranlé par les scandales de corruption. Depuis le séisme, il a su prendre les choses en main. Mais il se bute à son tour au manque de transparence d’une compagnie privée. Cela justifie la colère et la suspicion, et ne permet toujours pas de dessiner une voie de sortie pour un Japon terriblement ébranlé.



Articles Par : Josée Boileau

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