École de jeunes-loups africains pour un univers néolibéral impitoyable

Le centre éducatif supérieur de l’île Maurice, l’African Leadership College (1), formant des jeunes leaders africains est un projet politique. Il part d’une philosophie sous-jacente, une base théorique mélangeant des postulats de Francis Fukuyama d’une part, et ceux d’Hernando de Soto d’autre part, pour n’en citer que deux.

Le premier nous assenait ses thèses portant sur l’arrivée définitive de l’humanité à un horizon capitaliste – néolibéral – indépassable, dans le contexte de l’auto-dissolution de l’URSS en 1991. Les USA et ses théoriciens grisés par cette « victoire » stratégique de l’Occident furent frappés de manque fondamentale de discernement. Ils produirent ensuite des meilleures « perles » intellectuelles avec toute une génération de  néoconservateurs, provoquant encore des crimes et tragédies dans les années 2000 avec la profusion de guerres qu’ils encouragèrent. Avec les guerres contre l’Afghanistan et contre l’Irak comment points d’orgue, dont nous héritons encore les conséquences.

Le second, un économiste péruvien, d’orientation reaganienne, préconisait depuis les années 1980 les thèses du consensus de Washington – revues, corrigées, approfondies … aggravées –  préconisant le démantèlement accéléré de l’État, de l’État entrepreneur et de l’État social, dans la foulée de la politique économique d’Augusto Pinochet au Chili depuis 1973.

De Soto, ce « Chicago boy » version sud-américaine, prétendait que la voie du développement de son pays était le néolibéralisme radical (pléonasme ! mais utile ) et que la solution au chômage massif, structurel, des Péruviens résidait dans la seule volonté entrepreneuriale – ces « Yes, we can » ont une large filiation états-unienne depuis les années 1960-1970 où l’auto-suggestion poussée fut l’apanage des prédicateurs évangélistes et d’autres coachs du développement personnel par exemple –  des chômeurs qui n’auraient qu’à créer leur propre emploi en créant leur propre entreprise.

Ce de Soto, fidèle à ses thèses, est aujourd’hui le conseiller de Keiko Fujimori, la fille de son autocrate de père – en prison (25 ans) pour crimes contre l’humanité –  qui rêve de se faire élire présidente au Pérou pour libérer son père et restaurer le fujimorisme politique. Notons que ce vice de la succession dynastique n’est pas un privilège africain.

La dépolitisation des peuples est donc fondamentale, et celle des jeunes prioritaire, pour ce projet du néolibéralisme planétaire, africain à l’occasion. Dans les pays dominés du Sud ces postulats sont criminels. Car en Afrique par exemple ce qui manque fondamentalement c’est l’État, cet ensemble d’institutions solides et crédibles qui garantiraient services publiques et droits sociaux, emplois, services de santé et services éducatifs, étant le socle du développement social et économique des pays.

Les pays africains sont vassalisés, leurs « États » incompétents, corrompus, impuissants, et leurs armées ethnicisées, ridicules, impotentes. Lors d’une guerre civile, d’une épidémie ou d’une famine ce sont les ONG et les armées occidentales, françaises la plupart du temps, qui viennent à « l’aide » pour mieux approfondir la domination. Embrasser fort, pour mieux étouffer.  Les anciennes colonies françaises ayant même encore la monnaie coloniale, le franc cfa, et des accords militaires les subordonnant à Paris… éternellement.

Qui ne voit pas clair ne sait pas vers où il marche. La jeunesse africaine se fait émasculer par ces projets éducatifs – mélange de super BTS (2) « force de vente », de management et d’attaché de presse … de soi-même – véritables projets politiques néolibéraux tendant à formater irrémédiablement les jeunes, qui se présentent comme la voie par excellence de réussite personnelle par les études, pour plonger ensuite dans le monde impitoyable des affaires, tels de véritables requins voulant devenir soit golden-boys soit des nouveaux Mark Zuckerberg à la peau noire. Lamentable, ridicule, pernicieux mimétisme du modèle néolibéral anglo-saxon.

Tout peuple a besoin d’intelligence d’abord et de courage ensuite pour affronter soit une grave crise conjoncturelle, soit un délabrement stratégique ou soit une absence d’avenir prometteur, soit tous les trois au même temps. Ce n’est pas en émasculant ni en lobotomisant les jeunes africains, les parquant dans un égoïsme, dans un égocentrisme – l’horizon indépassable de leurs propres petites personnes ou de leurs familles – , lamentables et éthiquement contestables, que  les peuples de jeunes nations construiront leur avenir.

Avenirs à construire avec des intellectuels et hommes d’État solidement formés, des cadres, professionnels et techniciens compétents assurant la construction de leurs pays, assurant le respect des droits souverains de leurs peuples, garantissant leur développement, l’essor de leurs économies qui ne peuvent pas être le plagiat du modèle des dominateurs, avec des responsables sociaux et politiques formés, compétents… incorruptibles.

Pour l’instant les jeunes Africains sont ainsi appâtés  avec des paradigmes tels Malamine Koné ou Didier Drogba (3), entre autres.

Luis F. Basurto

 

(1)http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/08/12/de-quoi-le-leadership-africain-est-il-le-nom_4981984_3212.html
(2)Brevet de technicien supérieur, Bac plus 2 en France.
(3)Homme d’affaires (Airness) malien et footballeur ivoirien respectivement.



Articles Par : Luis Basurto

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