Économie pétrolière : le grand désordre

Sur fond de quasi stagnation des économies européennes et japonaise, de faible croissance de l’économie étasunienne, il étai inévitable que l’économie pétrolière internationale connaisse une période de trouble.

Face à un marché global en faible croissance, l’OPEP , Arabie Saoudite en tête a décidé de ne pas ralentir sa production et les prix se sont donc  affaissés.

Mais ces traits généraux, connus et repris dans l’information sommaire  des médias dominants, ne peuvent pas cacher des désordres géopolitiques qui influent lourdement sur le marché.

Marché instable

Il a été remarqué que la baisse du prix du pétrole mettait en difficulté les finances de plusieurs grands producteurs / exportateurs : Venezuela et Russie en premier lieu, que le retour  du pétrole iranien sur le marché international allait encore plus déséquilibrer le marché en ajoutant une offre supplémentaire et n’allait pas faire entrer dans les caisses de l’état iranien des flots considérables de dollars.

Vue ainsi la baisse du prix du pétrole  s’inscrit dans le contexte global de l’attaque des Etats-Unis contre leurs principaux adversaires politiques du moment.  Mais en même  temps, le pétrole bon marché avantage deux des plus gros importateurs : la Chine, premier client de l’Arabie saoudite et l’Inde et il se confirme que la Chine s’est organisée  pour profiter de l’aubaine et s’est donnée les moyens de faire sur son territoire quelques réserves.

Economie grise ou noire

L’autre facteur de désordre est le passage d’une partie, même mineure, de la production pétrolière dans l’économie grise ou noire.

Le vol du pétrole syrien par Daesh crée un  marché noir qui profite principalement à deux pays voisins non producteurs et hostiles à la Syrie : la Turquie et Israël. La Syrie était un petit producteur pétrolier et faisait un usage rationnel de ses ressources en les réservant principalement à son usage national. Daesh s’est emparé de la zone pétrolière syrienne et a donc spolié l’Etat syrien propriétaire et exploitant des gisements. En droit international cet acte : vol à main armée, hold-up, braquage … mériterait réparation mais DAESH n’étant pas un Etat reconnu,  qui pourra être poursuivi en ses lieu et place ?

Il reste que le pétrole volé à la Syrie peut être vendu à des prix cassés puisque DAESH n’a pas à payer les investissements : recherches, forages, installations d’extraction et de stockage de départ, qui ont été faits par l’Etat syrien.

Le cas libyen est un peu différent : les bombardements massifs de l’OTAN en 2011 n’ont pas  touché les installations pétrolières. Ce n’est pas un  hasard. La Libye a donc recommencé assez vite à exporter, mais l’expression est inexacte puisqu’en l’absence d’un Etat libyen souverain et organisé  ce n’est pas la Libye qui exporte mais des pouvoirs de fait sur les installations pétrolières : puits, pipelines et ports d’embarquement. Ces pouvoirs de fait sont des alliances de circonstance entre les entreprises occidentales spécialisées  qui ont repris les installations libyennes dans des conditions encore mal connues aujourd’hui  et les milices islamiques armées qui les laissent exécuter leurs opérations et font payer leur protection en percevant un pourcentage sur les barils vendus. Dispositif instable puisque jusqu’à présent chaque producteur fait protéger ses installations propres par la milice locale mais si Daesh  avec son  projet de califat met la main sur la Libye à défaut d’avoir pu le faire sur la Syrie  il voudra s’approprier la totalité du pétrole libyen, acquérir une véritable puissance et il essaiera de chasser les compagnies étrangères  qui font marcher aujourd’hui l’industrie pétrolière libyenne.

A l’inverse de l’Etat syrien, l’Etat libyen ayant été détruit ne pourra pas demander de réparations ni aux compagnies étrangères qui exploitent le pétrole libyen et encore moins aux milices islamiques juridiquement insaisissables.

On comprend mieux pourquoi les adversaires occidentaux de l’Etat syrien s’acharnent à obtenir une rupture constitutionnelle de l’Etat syrien et la mise en place d’un gouvernement qui ne leur demanderait pas des comptes,  pour éviter d’avoir à répondre du vol du pétrole syrien, du vol du coton syrien, du vol des usines syriennes démontées et transportées en Turquie et des destructions massives engendrées par une guerre qu’ils ont soutenu.

Le maintien à son poste de Bashar el Assad  qui signifie la continuité de l’Etat syrien empêchera de tourner cette page de pillage massif et orchestré.

Arrivée du pétrole de schiste

Un autre aspect du désordre de l’économie pétrolière vient de prendre de la consistance ces derniers jours. Dés le début de la chute des prix du pétrole il est apparu qu’un des objectifs de cette baisse était la mise hors marché international du pétrole de schiste. Tous les observateurs avertis annonçaient que le cout d’extraction le pétrole issu du fractionnement des roches (pétrole de schiste) ne pouvait guère descendre en dessous de 50/60 $ le baril  ils en concluaient donc que la politique de baisse des prix mise en œuvre par l’Arabie Saoudite  condamnait le pétrole de schiste.  Les faillites sont déjà nombreuses dans le secteur de l’extraction du gaz de schiste aux Etats-Unis. Or dans le même temps et depuis au moins deux ans  le gouvernement des Etats-Unis, Obama en tête, n’arrêtait pas de proclamer que  grâce au pétrole de schiste les Etats-Unis allaient sortir de leur position d’importateur de pétrole et redevenir exportateurs.

Ce jour là est arrivé. En effet Obama ne s’est pas contenté de bonnes paroles, il a proposé au Congrès une modification de la législation en vigueur depuis la présidence Ford  qui interdisait l’exportation de pétrole étasunien. Le Congrès a voté le 18 décembre 2015 et depuis cette date l’exportation de pétrole par les Etats-Unis est légale.

Bien sûr ce vote était attendu par les pétroliers, les pipelines nécessaires avaient été remis en état de marche  et il n’a fallu que quelques jours pour qu’un pétrolier charge du pétrole de schiste à destination d’un marché étranger.

Le 31 décembre 2015 Le THEO  T, pétrolier de taille moyenne, immatriculé aux Bahamas appartenant à l’armateur grec IONIA (encore un qui ne paiera pas d’impôts en Grèce) a chargé dans le port texan de Corpus Christi du pétrole  de schiste extrait en partie dans la région de San Antonio par les compagnies CONOCO PHILLIPS et NUSTAR  et en partie dans l’état du Dakota

Ce pétrole a été déchargé en France dans le port pétrolier français de Fos  sur mer. De là il a été acheminé vers la raffinerie suisse de Cressier, dans la région de Neuchâtel par le Pipeline sud européen  qui part de Fos et  dessert depuis sa création la raffinerie de Cressier et vers une raffinerie du sud de l’Allemagne également desservie par le même pipeline.

L’acheteur du pétrole de schiste est la société VITOL, très puissant  trader pétrolier indépendant  dont le siège est à Zoug, un petit paradis fiscal suisse proche de Zurich. Vitol fondé en 1966 à Rotterdam est installé à Genève, Houston et Singapour. La raffinerie de Cressier a été rachetée récemment par le groupe indépendant VARO  lequel a noué en Décembre 2013 un partenariat 50/50 avec le  groupe financier  US CARLYLE bien connu pour ses relations avec la CIA et la famille BUSH. Elle couvre un quart du marché suisse des produits raffinés. VARO possède également une raffinerie en Bavière.

Les deux raffineries du groupe VARO sont desservies par le Pipeline sud européen et ses deux extensions vers la Suisse et la Bavière

 Quelques jours après le THEO T un second pétrolier a été chargé à Corpus Christi à destination lui d’Amsterdam.

Question : pourquoi ce pétrole cher a-t-il trouvé preneur et pourquoi en Europe de l’Ouest ? 

Tout porte à croire qu’il s’agit d’une opération  étasunienne très politique menée avec des compagnies amies et sûres et dans ce contexte d’un face à face tendu avec le géant pétrolier russe  où les Etats-Unis ouvrent une tête de pont en Europe de l’Ouest pour vendre leur pétrole et pour laquelle le prix du pétrole de schiste a pu être fixé pour le client à un niveau bas compatible avec le niveau actuel du marché international.

 Il  ne faut jamais oublier que le « libéralisme » économique doctrinal professé par les Etats-Unis  ne sert qu’à exprimer la liberté du plus fort et s’est toujours accommodé de  formes diverses de soutien financier public à l’exportation, le cas des produits agricoles est bien connu. 

Le Theo T quitte Corpus Christi pour Fos sur mer



Articles Par : Comaguer

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