El hadj Mohamed Fechkeur nous quitte: Un pionnier de l’industrie pétrolière

« Ceux qui pieusement  sont  morts  pour  la  patrie 

Ont  droit  qu’à leur cercueil la foule vienne et prie. 

Entre les plus beaux noms, leur nom est le plus beau. 

Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère ; 

Et, comme ferait une mère, 

La voix d’un peuple entier les berce en leur  tombeau ! » 

Victor Hugo

Encore une fois, l’Algérie est à l’épreuve. Un de ses dignes pionniers de l’industrie pétrolière nous a quittés sans bruit, sans m’as-tu vu, sans tapage, dans la discrétion la plus absolue. Qui en parle en dehors de ceux qui l’ont connu et apprécié ? Cette famille pétrolière qui fut sur le front du développement dans les années 70 au plus fort des défis de l’Algérie dans son combat pour recouvrer sa souveraineté sur ses richesses.

Les fondements de l’indépendance pétrolière

Le 24 février 1971 démarrage de la Révolution pour la souveraineté pétrolière Ces combattants donnèrent une visibilité pétrolière dans une autre révolution qui éclata un certain 24 février 1971, il y a près de 50 ans, avec le fameux appel de Boumediène à la face du monde : « Kararna ta’emime el mahroukate » (Nous avons décidé de la nationalisation des hydrocarbures). Le discours de Boumediène nous l’avons écouté à l’Académie militaire de Cherchell. Il y eut très peu de personnes dans la confidence et on dit que le ministère des Affaires étrangères n’était pas au courant.

Le 24 février, il n’y eut ni coup d’État externe, ni arrestation, ni morts. Ce fut un coup d’éclat scientifique qui surprit les compagnies concernées. On ne pensait pas qu’un petit pays, sans encadrement important, allait oser s’attaquer au cartel des sept sœurs. “Le sette sorele” dont parle si bien Enrico Matteï, le fondateur de la compagnie pétrolière italienne l’ENI qui eut à en souffrir pour imposer sa compagnie. Il paiera de sa vie sa proximité avec le FLN avec lequel il voulait créer des liens pour la coopération post-indépendance.

Cela rappelle la nationalisation du canal de Suez par Nasser. Mohamed Hassenane Heykel, le grand journaliste, ami du président Nasser, raconte dans son ouvrage :  Les Documents du Caire comment l’opération fut préparée. Nasser devait tenir un discours dans lequel il donnerait par la prononciation d’une phrase le feu vert à Hadj pour la prise en charge du fonctionnement du canal par les ingénieurs et les techniciens égyptiens aidés par l’armée.

Le Dr Mourad Preure, président du cabinet Emergy, ancien cadre de Sonatrach, parlant de ces élites, déclare : « On ne répétera jamais assez combien cette culture du challenge existait… Lorsque nous parlons avec des techniciens et ingénieurs qui étaient dans les installations pétrolières désertées subitement par les techniciens étrangers en 1971 par mesure de représailles contre les nationalisations, ils nous disent combien ils sont encore surpris par le fait qu’ils aient réussi à contrôler ces installations et à les faire fonctionner sans dommages »

Les moudjahidine des hydrocarbures, à l’instar de Nordine Aït Lahoussine, ancien ministre et vice-président de Sonatrach au moment des faits, nous expliqua en termes simples comment cette aventure humaine fut menée avec professionnalisme, détermination et abnégation.  Qu’on se le dise ! Il nous expliqua comment et dans quelles conditions l’Algérie a indemnisé, à ses conditions, les entreprises françaises qui, voyant la détermination algérienne et la réussite de la nationalisation, revinrent à la table des négociations pour continuer à opérer dans le nouveau cadre des nationalisations.

La plupart de ceux qui étaient sur le front du développement avaient moins de trente ans. Pour rappel, Belaïd Abdesselam raconte dans son ouvrage : Le Hasard et l’Histoire, paru aux Editions Enag, les pires difficultés qu’a eues l’Algérie à s’imposer dans le concert des nations pour s’imposer et imprimer un développement. Quinze jours après le discours du 24 février 1971, tout ce qu’il y avait comme matière grise fut envoyé sur le front du développement.

C’est ainsi qu’une centaine d’ingénieurs et de techniciens furent envoyés en renfort dans le Sud pétrolier, des ingénieurs furent envoyés sur le Barrage vert, d’autres sur la Transsaharienne, d’autres enfin sur le chantier des 1 000 villages agricoles qui devaient contribuer à reconstituer le tissu social de la paysannerie, détruit par les bombardements sauvages de l’aviation coloniale.

Avec quelques condisciples, je fus envoyé enseigner dans un lycée militaire, et contribuer ainsi à la formation des hommes, autre défi majeur de l’Algérie. J’ai rappelé au passage que l’École polytechnique fut aussi la colonne vertébrale de l’encadrement du secteur de l’énergie et de Sonatrach ; elle donna au pays plus de 2 000 ingénieurs dont certains occupèrent de hauts postes (ministres, P-DG, DG…).

Qui est El Hadj Mohamed Fechkeur ? 

El Hadj Mohamed Fechkeur était de ceux-là en terme de dévouement. C’était aussi un homme avenant avec un sourire contagieux qui vous désarmait et vous incitait à le connaître. Il était connu pour être à l’origine de la formation de milliers de cadres du secteur des hydrocarbures aussi bien lorsqu’il dirigeait l’IAP que lorsqu’il était à la tête de Naftogaz. Après de bons et loyaux services à Sonatrach et à l’ensemble du secteur pétrolier, El Hadj Mohamed Fechkeur a décidé de lancer une entreprise de services pétroliers, et c’est comme ça qu’il a créé en 1996 Red Med, aujourd’hui considéré parmi les groupes privés nationaux les plus importants.

Parmi les cadres — moins de trente ans — de l’après-nationalisation, qui ont donné un sens à cette aventure pétrolière, citons les pionniers de la formation dans le domaine pétrolier et dans le domaine académique. Il faudrait citer d’abord notre aîné, l’honorable Djelloul Baghli, ancien ministre. Il fut l’artisan de la formation des hommes qui eurent à prendre en charge les destinées pétrolières de l’Algérie.

Il nous raconta en termes simples comment il contribua pendant la guerre de Libération nationale à envoyer des étudiants partout dans le monde. M. Baghli nous apprit que la Révolution a permis la formation de près de 900 cadres, à comparer avec les 580 diplômés formés en 132 ans par la France. L’IAP, créé lui aussi à partir de rien et ayant démarré six mois après sa création, fut à bien des égards l’un des pourvoyeurs en cadres.

L’histoire retiendra que c’est le professeur Abdelaziz Ouabdesselam, premier recteur de l’Algérie indépendante et premier directeur de l’École polytechnique, qui mit à la disposition de l’IAP naissant le hall de génie chimique de l’école pendant la première année scolaire. Parmi les milliers de pionniers sur le front pétrolier, il me plaît aussi de citer Mohamed Fechkeur, créateur de l’IAP de Hassi Messaoud (devenu Naftogaz).

« Il n’y a de richesse que d’hommes » dit le dicton.  Mohamed Fechkeur fait partie de cette richesse algérienne. Il vaut, à lui seul, avec ses qualités humaines, son accueil, son endurance, sa consécration à la formation d’hommes… tous les gisements de la terre. Mohamed Fechkeur a consacré sa vie entière au service de la jeunesse et de sa formation dans un domaine vers lequel peu d’Algériens osaient s’orienter : le forage pétrolier, métier éprouvant et présentant des risques pouvant être mortels » (1).

« Il a su, grâce à sa force de persuasion et à ses grandes qualités humaines et de management, faire adhérer à son projet des milliers de jeunes qui, une fois terminée leur formation au sein de l’Institut algérien du pétrole de Hassi Messaoud, ont occupé et occupent toujours des postes importants de cadres techniques dans le secteur des hydrocarbures en Algérie et dans les pays du Golfe. Une école reconnue, aux plans arabe et africain, comme l’une des meilleures écoles de formation de techniciens et d’ingénieurs dans le domaine du forage pétrolier. La rigueur et la discipline sont les fondements de son management et de sa conduite des hommes.” (1)

« Dans la vie, nous sommes tout le temps au maquis”, me confie-t-il. Nous avons appris beaucoup de choses. Ce que nous recherchions, c’était d’avoir des opérationnels. La formation se déroulait carrément sur le terrain. De 1967 à 1998. 31 années dans la formation. J’étais surtout intéressé par le Sahara, le pétrole et l’exploration. Nous  étions  envoyés  dans  le  temps  par  le  GPRA,  c’était  avant l’indépendance. J’ai d’abord fait mes études en Allemagne. “Les gens formés étaient prêts à aller se battre et on avait un règlement intérieur où tout était interdit. Pour manipuler un appareil de forage, il fallait porter un sac de ciment. Je leur disais que c’est comme cela que vous construirez votre propre maison de demain. Il fallait des hommes convaincus » (1).

« Il y avait beaucoup d’anciens P-DG qui étaient des anciens élèves de l’IAP. Tout au long de ma carrière, j’ai formé plus de 5 000 techniciens. On n’avait pas besoin de tous les moyens qu’il y a aujourd’hui, tout a été fait en ramassant par-ci et par-là les ingrédients de la réussite. M. Fechkeur restera unique. » « Il est de la trempe des hommes exceptionnels dont la devise a toujours été : servir, servir et encore servir, et ne rien attendre en retour si ce n’est la satisfaction de Dieu et sa conscience.” (1)

M. Djelloul Baghli  ancien ministre fondateur de l’IAP fut l’artisan de la formation des hommes qui eurent à prendre en charge les destinées pétrolières de l’Algérie. Il nous raconta en termes simples comment il contribua pendant la guerre de Libération à envoyer des étudiants partout dans le monde. Parmi eux, M. Fechkeur, qui fut un des piliers de la formation par la création ex-nihilo de l’IAP de Hassi Messaoud.

À ce propos, j’ai signalé que l’École polytechnique d’Alger a eu un rôle majeur dans la formation de l’élite républicaine du pays, donna au pays plus de 1 000 ingénieurs dont certains occupèrent de hauts postes (ministres, P-DG, DG…). C’est Abdelaziz Ouabdesselam, premier recteur de l’Algérie indépendante, qui eut à ouvrir dans des conditions difficiles, en octobre 1962, l’École d’ingénieurs d’Alger, qui deviendra plus tard l’École polytechnique d’Alger. Elle eut d’ailleurs à héberger pendant deux ans l’IAP — cycle court — qui se déplaça plus tard à Dar El-Beïda.

Ce que je retiens de El Hadj Fechkeur, c’est sa disponibilité et son inclination naturelle à faire le bien. Ainsi, il a participé à plusieurs Journées de l’énergie et a beaucoup aidé sans compter à leur réalisation et me félicitait chaque fois pour les efforts à former l’élite du pays. Il me disait qu’il était mille fois “payé” pour son aide en voyant les jeunes élèves ingénieurs s’emparer avec fougue de la nécessité d’aller vers la transition énergétique sans tarder pour laisser un viatique aux générations futures.

Des hommes, à l’instar d’El Hadj Ferchkeur, dont l’honnêteté, la foi, la droiture, la sincérité, les compétences, le patriotisme et l’ouverture d’esprit durant toute leur carrière étaient et restent des exemples d’intégrité, à suivre. C’étaient des météores, qui ont sacrifié leurs vertes années au service d’un honorable idéal : l’algérianisation à outrance de l’encadrement de l’amont, l’ouverture sur l’universel et l’ambition pour faire de l’Algérie un pays moderne, fasciné par le savoir. Je garde d’eux l’image d’hommes accomplis, modestes.

C’étaient des êtres entiers, mêlant rigueur, intelligence, clairvoyance et esprit, tout en finesse. Ils ont fait leur devoir dans toute la noblesse du terme. Nous avons plus que jamais besoin de former des compétences “patriotiques” et intègres qui seules sauveront le pays et lui permettront de garder son rang dans un siècle où il n’y a pas de place pour les faibles. El Hadj Fechkeur et tant d’autres disparus, à l’instar de Abdelhak Bouhafs et de Mohamed Nafaa Babagayou, ont fait honnêtement leur devoir. Puisse leur sacerdoce être longtemps cité en exemple. 

Que Dieu leur fasse miséricorde.  Amine !

Professeur Chems Eddine Chitour   

Ecole Polytechnique Alger

Note :

1. Mohamed Fechkeur. Il n’y a de richesse que d’hommes, par M. Khiati. Edts A.C.COM 2018

Article de référence : https://www.liberte-algerie.com/actualite/un-pionnier-de-lindustrie-petroliere-339982



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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