Élections au Venezuela: comprendre les enjeux du scrutin. De nouvelles autorités électorales…
2e partie
Les élections législatives du 6 décembre 2020 au Venezuela ont des enjeux considérables. Plus qu’une élection de députés, il s’agit de construire un consensus démocratique pour remettre le Venezuela sur les rails institutionnels, sortir de la spirale de violence impulsée par une fraction de l’opposition, et faire front pour stopper le pillage du pays par les puissances occidentales. A n’en point douter, ces élections vont devenir une bataille géopolitique et un terrain fertile aux fakes news. Dans cette série de sept articles, Romain Migus, dresse une radiographie de la situation pré-électorale afin de nous donner des clés pour comprendre les enjeux et mieux appréhender les rapports de force existants. Les 2 Rives
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Les élections législatives du 6 décembre 2020 marqueront l’attachement des vénézuéliens à résoudre de manière souveraine et démocratique la crise politique initié par l’auto-proclamation de Juan Guaido.
Dès juin 2019, des fissures apparaissent dans le bloc d’opposition, et le leader de Guaido commence à être critiqué par des politiciens et (surtout) des médias antichavistes. Des affaires de corruption, de détournement d’argent plombent son entourage et des liens entre Guaido et les cartels de la drogue colombiens sont mis à jour.
Le gouvernement bolivarien, voyant que l’unanimité de façade cache une bataille de chiffonniers va dès cette date s’engager sur le chemin de la concertation démocratique. L’objectif recherché et de renforcer l’institutionnalité de l’État, mais surtout de ramener la paix sociale dans le pays. Il s’agit de tourner la page du putsch permanent pour faire revenir l’opposition dans le giron électoral. Une série de dialogue vont donc avoir lieu qui aboutiront en septembre 2019 au retour des parlementaires chavistes dans l’hémicycle et la mise en œuvre d’un Comité de postulation pour la rénovation des autorités électorales.
Conformément à la loi du Pouvoir électoral –articles 17 à 30– le Comité de Postulation est l’organe législatif chargée de présélectionner les candidats au poste de recteur du Centre Nationale Électoral (CNE), l’organisme chargé d’organiser les élections. Ce mécanisme n’est pas nouveau (à part pour certains « spécialistes médiatiques » du Venezuela). La loi fut approuvée le 5 septembre 2002, et a organisé la vie électorale depuis près de 20 ans sans que personne ne s’en plaigne.
De nouvelles autorités électorales
Dans une interview au site Les 2 Rives, le député vénézuélien Julio Chávez, alors vice-président du Comité de postulation précisait les dessous de ce mécanisme de sélection. La décision d’activer le Comité de Postulation « a été prise à l’Assemblée Nationale lors d’une session ordinaire, c’est-à-dire avec la présence de tous les députés. C’est le processus normal lorsque le mandat d’un recteur du CNE arrive à son terme. Mais tous les recteurs n’étaient pas dans ce cas-là, car certains avait été élus en 2014 pour sept ans. Certains recteurs devaient donc finir leur mandat en 2021. Mais, le Président Maduro a tenu compte du fait que lors des rencontres de dialogue avec l’opposition, le G4 [Les quatre principaux partis d’opposition, NdLR] insistait -et cela paraissait être un point d’honneur- pour rénover toutes les autorités du pouvoir électoral. Et donc, le président Maduro a jugé bon de changer tous les recteurs du CNE, même si certains n’avait pas terminé leurs mandats, pour que l’opposition puisse ainsi revenir dans le chemin constitutionnel ».
L’Assemblée Nationale, bien que celle-ci soit encore en outrage judiciaire a activé les mécanismes légaux pour se préparer à cette tâche. Elle a désigné en septembre 2019 une commission préliminaire de onze députés, sept d’opposition et quatre chavistes. Cette commission devait coordonner la désignation de dix citoyens de la société civile pour les intégrer à leurs travaux, et former ainsi le Comité de Postulation des nouvelles autorités du Pouvoir électoral.
Mais les divisions internes de l’opposition vont faire capoter ces efforts. Le 5 janvier 2020, alors que la présidence de l’Assemblée nationale était remise en jeu, un groupe de députés frondeurs de l’opposition, allié pour la circonstance aux députés chavistes, vont élire un nouveau président du parlement, Luis Parra.
Cette élection déclencha l’ire les députés fidèles à Guaido, qui au prétexte de ne pas reconnaitre cette nouvelle direction, font saboter les avancées du Comité de Postulation.
Cependant, l’État vénézuélien prévoit ce genre de situation. Le jugement 1556 dicté par le Tribunal Suprême de Justice (TSJ) le 9 juillet 2002 prévoit que lorsqu’un consensus des 2/3 de l’Assemblée Nationale n’est pas trouvé pour nommer les nouveaux recteurs du CNE, c’est le TSJ qui est chargé de trancher et de désigner les nouvelles autorités électorales. De fait, l’imbroglio institutionnel n’est pas une première. En 2003, 2006, 2014 et 2016, le TSJ avait déjà désigné les recteurs du CNE en reprenant les travaux du Comité de Postulation de l’Assemblée Nationale. Autrement dit, la direction de l’organisme électorale qui avait validé la victoire de l’opposition aux élections législatives de 2015 avait, elle aussi, dû être désignée par le pouvoir judiciaire, sans que personne n’y trouve à redire.
Face au sabotage organisé par l’équipe de Guaido, un politicien d’opposition, Felipe Mujica, déposera un recours au TSJ, et celui-ci nommera le 12 juin 2020 de nouvelles autorités électorales. Ce renouvellement est la première des garanties électorales demandée par l’opposition démocratique.
Indira Alfonso, une magistrate vénézuélienne, prend donc les rênes du CNE. Parmi les cinq recteurs de l’organe électorale, on trouve notamment Jose Luis Gutierrez, frère du dirigeant d’opposition Barnabé Gutierrez (Accion Democratica) ainsi Leonardo Morales, nommé vice-président du CNE. Ce dernier est un professeur universitaire membre du parti d’opposition Avanzada Progresista. Le CNE compte donc deux recteurs qui ne cachent pas leur préférence politique pour l’anti-chavisme. Parler d’un supposé contrôle de Maduro sur le CNE est une lubie complètement équivoque. Cette volonté d’équilibre politique pour assurer le pluralisme et la transparence des résultats est la deuxième garantie électorale exigée par l’opposition démocratique.
La construction d’un consensus démocratique accepté par tous les partis
Le nouveau CNE va donc se mettre au travail, et engager l’organisme sur la voie de réformes concertés en vue des élections du 6 décembre 2020. En plus des audits préalables sur les mécanismes de l’élection -audits qui doivent être approuvés par tous les partis politiques sous peine de ne pas réaliser l’élection-, le CNE a intégré plusieurs autres garanties électorales réclamées par l’opposition. Il s’engage, à travers la création d’une nouvelle entité spécialisée, à favoriser un équilibre dans l’accès de toutes les options politiques en compétition aux médias traditionnels et digitaux.
De même, les membres des bureaux de vote seront tirés au sort par un processus supervisé par tous les partis politiques en compétition. Cette mesure est clairement au détriment du Psuv, seul parti politique vénézuélien comptant le nombre de militants suffisant pour assurer une présence dans tous les bureaux de vote. Revenant sur une polémique passée, le CNE décide d’interdire la présence de stands de propagande politique le jour de l’élection. Ces structures ne seront désormais autorisées que lors de la campagne électorale.
Le CNE s’engage, à la demande de l’opposition, à réintroduire le marquage de l’électeur à l’encre indélébile pour éviter que celui-ci ne vote deux fois. Ce système, utilisé lors des processus électoraux au début du siècle, avait été progressivement abandonné pour des moyens technologiques au moins aussi performants. Mais qu’importe. Étant donné que l’opposition est attachée à cette manière de faire, ce sera une nouvelle concession et une garantie électorale de plus. Tout comme la rénovation des listes électorales. Le CNE a procédé à l’inclusion de 251.398 nouveaux électeurs portant le total des inscrits à 20.733.941. Cette rénovation était exigée à la fois par l’Union européenne et l’opposition.
Pour compléter le tableau, l’État vénézuélien s’engage á assurer le transport de tous les électeurs vers leurs bureaux de vote. Cet engagement, que ne garantit aucun gouvernement occidental à ses électeurs, se fait dans un contexte pourtant très particulier. En raison de la pandémie, l’État devra assurer ce transport en le doublant de mesures sanitaires préventives. D’autres part, en raison du blocus criminel que les États-Unis imposent au Venezuela, le carburant est en pénurie constante. Cet mesure, exigé par l’opposition et l’Union européenne, impliquera de détourner une partie de l’essence ou du diesel vers la seule fin électorale. C’est une garantie de plus offerte par le CNE à l’opposition et à ses soutiens internationaux.
Lors des élections à l’Assemblée Constituante en 2017, des groupes de choc de l’opposition avaient empêché l’accès à quelques bureaux de vote, menaçant l’intégrité physique des citoyens qui osèrent se déplacer aux urnes. Afin de préserver la sécurité des électeurs, le CNE avait fermé ces bureaux de vote pour les élections municipales suivantes et réorienter les électeurs inscrits vers d’autres bureaux proches. Pour l’élection du 6 décembre 2020, tous les bureaux de vote ont été rouvert. Une autre garantie exigée par l’opposition et acceptée par le CNE.
D’autre part, l’Assemblée Constituante élue à cette occasion cessera ces fonctions après l’élection législative du 6 décembre 2020. Le mille-feuille institutionnel né des stratégies de confrontation violente de l’opposition prendra donc fin avec l’élection de la nouvelle assemblée législative. Le président de la Constituante, Diosdado Cabello, a fait savoir qu’une nouvelle constitution ne serait pas à l’ordre du jour. Le rôle de l’ANC s’est donc limité à maintenir le fil constitutionnel au milieu d’un conflit des institutions qui aura duré cinq ans. Pour l’opposition, ces deux garantis électorales de plus étaient primordiales pour garantir leur participation aux élections. C’est désormais chose faite.
L’Union européenne avait conditionné la reconnaissance des élections au Venezuela à la libération de certains politiciens emprisonnés pour sédition ou tentative de coup d’État. À la grande surprise de Bruxelles, le président Maduro concéda une grâce présidentielle à 110 personnes inculpées et condamnées pour des motifs liés à la sécurité de l’État. C’était une des garanties fondamentales exigés par l’Union européenne.
Le CNE doit aussi composer avec la conjoncture sanitaire lié à la pandémie de Covid-19. Un protocole sanitaire drastique a été établi pour que l’électeur puisse se déplacer aux urnes sans crainte d’être contaminé par le virus. La rigueur du protocole (distanciation sociale, masque, gel hydro-alcoolique) énoncé par la rectrice principale du CNE, Indira Alonzo, contraste avec la plupart des élections qui ont eu lieu dans la région pendant cette période. Il est aux antipodes de l’absence totale de protection lors du premier tour des élections municipales en France, réalisé pendant le pic de contamination au Covid-19.
Le nouveau CNE va aussi réaliser deux modifications importantes qui auront des répercussions politiques parmi les participants à l’élection. Prenant en compte l’augmentation de la population en vingt ans, il a, d’une part, augmenté de 110 députés le nombres d’élus à l’Assemblée nationale, passant de 167 à 277 députés. D’autre part, il a significativement étendu le nombre d’élus à la proportionnelle.
Au Venezuela, les députés sont élus à la fois nominalement et proportionnellement. La proportion d’élu entre les deux formes d’élection (un nom ou une liste) a été radicalement modifié. Lors des élections législatives de 2010, 60% des députés étaient élus de manière nominale, et 40% à la proportionnelle. En 2015, cette proportion était passé à 70% d’élus nominaux pour 30% à la proportionnelle. Lors des élections du 6 décembre 2020, le CNE a pris la décision de favoriser l’émergence de petits partis politiques en permettant l’élection de 52% des députés à la proportionnelle pour 48% au vote nominal.
Cette décision va conforter les partis de l’opposition démocratique dans leur choix de participer aux élections. Face à l’importante machine électorale du Psuv, le vote à la proportionnelle est un garant de l’équilibre législatif. Ce rééquilibrage va, comme nous le verrons dans la prochaine partie, accroitre les tensions entre la frange démocratique de l’opposition et les factions putschistes. Mais, cela aura aussi une conséquence de l’autre côté de l’échiquier politique. L’alliance entre le parti hégémonique du chavisme, le Psuv, et certains petits partis de la gauche traditionnelle va se heurter à cette nouvelle donne électorale. Nous y reviendrons.
Cette disposition du CNE est le résultat du dialogue entre le gouvernement bolivarien et l’opposition démocratique. Elle permettra sans aucun doute une plus grande pluralité de représentation et une plus ample diversité politique au sein du futur hémicycle.
Toutes les nouvelles garanties électorales avalisées par l’État vénézuélien ont permis de créer un consensus démocratique entre le chavisme et une frange majoritaire au sein de l’opposition. 107 partis politiques de toutes tendances ont donc postulé 14.400 candidats à l’élection législative.
Les États-Unis et leurs vassaux sur le chemin de la guerre
Sûr de la transparence et de la sécurité du système électoral vénézuélien, le président Maduro a donc demandé à l’ONU et à l’Union européenne d’envoyer des observateurs électoraux, bien qu’aucun observateur vénézuélien ni d’aucun pays n’ait jamais été invité à venir superviser les élections en France, en Espagne ou en Allemagne.
Cette demande a pris l’Union européenne à dépourvu. La plupart de ses exigences politiques ayant été acceptées, l’entité supranationale s’est retrouvée au pied du mur. Soit elle se rendait à l’évidence, et acceptait d’envoyer des observateurs reconnaissant ainsi la validité des élections vénézuéliennes. Soit elle servait de supplétif aux États-Unis, engagés dans une guerre hybride contre le Venezuela. Malgré les discours de propagande dont elle abreuve ses citoyens, l’Union européenne choisit le chemin de la guerre et rejeta la demande de Nicolas Maduro.
Le motif invoqué pour ne pas envoyer de mission électorale au Venezuela est une insulte au sens commun. En trois mois, l’Union européenne n’aurait tout simplement pas le temps d’organiser une mission d’observation. Une simple lecture de la Constitution vénézuélienne aurait permis à la superstructure bruxelloise d’anticiper la date des élections législatives. En effet, l’article 192 spécifie que le mandat des députés est de 5 ans. L’Union européenne avait cinq ans pour se préparer à une mission d’observation. Ce prétexte fallacieux cache malheureusement mal la subordination de l’entité supranationale à la politique étrangère de Washington.
La Maison Blanche avait dès le début des négociations exprimé son refus de reconnaitre le résultat de ses élections. Dans le monde imaginaire construit par les États-Unis autour de Juan Guaido, ce dernier n’est « président intérimaire » que parce qu’il occupe le poste de président de l’Assemblée nationale, comme le stipulent les illégaux « Statuts pour une transition démocratique » voté par l’Assemblée Nationale en février 2019 (Chapitre III, paragraphe 14).
Washington a donc déclaré que Juan Guaido demeurerait président intérimaire tant que le président Maduro « usurperait » les fonctions.
Dans le silence médiatique le plus absolu, l’envoyé spécial des États-Unis pour le Venezuela, Elliot Abrams a, le 4 août 2020, désigné Guaido comme président à vie. Ce qui n’a pas manqué de raviver les querelles au sein de l’opposition.
Un mois plus tard, la foudre impériale s’abat sur les nouvelles autorités du CNE. La présidente Indira Alonzo et le recteur Jose Luis Gutierez sont placés sur les listes noires du département du Trésor au motif qu’ils piétineraient la démocratie vénézuélienne. Au vu de toutes les garanties électorales accordées, c’est le monde à l’envers. Qui plus est, venant d’un pays où le système électoral est notoirement défaillant.
L’adoption de nouvelles garanties électorales qui satisfassent à la fois les chavistes et l’opposition va alors avoir pour conséquence de chambouler complètement les rapports de forces au sein des organisations anti-chavistes.
Romain Migus