Élections Brésil : « Le capitaine arrive »… Qui est derrière Jair Bolsonaro?

La construction positive de l'image d’un candidat d’extrême-droite à travers les médias sociaux.

« Le Brésil au dessus de tout » (Brasil acima de tudo), « Dieu au dessus de tous » (Deus acima de todos) (Jair Bolsonaro)

Que ce soit pour les gens de l’extérieur ou pour les Brésiliens qui ne voteraient jamais pour Lui, surnommé « o coiso » (Machin) (1), Jair Bolsonaro est devenu populaire malgré son discours raciste, misogyne, anti LGBT, anti-pauvres … et certainement anti-socialiste, anti PT (Parti des travailleurs) et anti luliste.(2)  Le « capitaine Bolsonaro » (expression largement utilisée dans sa campagne électorale) propose de « mettre fin à tout activisme social au Brésil» (« vamos acabar com o ativismo »). Cet activisme soial désigne le PT, mais cela se réfère également à tout mouvement social (celui des femmes, des gays, des autochtones, des noirs), ainsi que le Mouvement sans Terre (MST) et sans toît. Le plan officiel décrit « comme terrorisme les invasions de propriétés rurales et urbaines sur le territoire brésilien.» (3) De plus, dans une déclaration à la télévision il affirme que « les membres du MST sont des terroristes ».[1]  Cette idéologie appuie le «bloc rural» (bancada ruraista), représenté par de nombreux députés,  qui s’oppose à une réforme agraire en faveur des petits producteurs.

C’est ainsi que « le capitaine » promet que le Brésil prendra un tournant politique et économique vers la droite. (“endireitar” o país)

L’ex-militaire de 63 ans Jair Messins Bolosnaro semblait apparaître de nulle part (notamment pour la presse internationale). Ce capitaine militaire retraité fait partie du paysage politique brésilien depuis trente ans, réélu plusieurs fois comme député, il est devenu sénateur.  D’après son blog, il a été le député fédéral ayant obtenu le plus grand nombre de voix (464.565) en 2014 alors qu’il représentait le Parti Professiste – de droite- (PP).(4) Dans sa campagne électorale pour le deuxième tour, « le capitaine Bolsonaro » prétend qu’il a pensé se présenter aux élections présidentielles dès 2014.

Les déclarations post-électorales données à partir de sa résidence révélaient une grande assurance alors que Bolsonaro se considérait déjà le président du Brésil. Face aux propos contradictoires du candidat à la vice présidence le général Hamilton Mourão [mis à la retraite anticipée mais payé suite à une décision de Michel Temer], Bolsonaro affirmait fermement, « Eu sou Capitao,  ele é General, mas Eu sou presidente! » (Je suis Capitaine, il est général, mais je suis le président du Brésil).

Sa campagne électorale pour le deuxième tour est habilement menée avec la construction d’une image nationaliste privilégiant le symbole « unificateur » du drapeau brésilien « Ordem e Progresso ». Bolsonoro et son parti, PSL, se sont approprié de ce fort symbole brésilien jaune et vert.

Photo prise de l’écran de télévision.

Dans la propagande «  Bolsonaro Presidente » (Bolsonaro Président) on y glisse des « témoignages » de Brésiliens majoritairement « blancs » et de classe moyenne en tentant d’y insérer des métis et des travailleurs, des jeunes… « Je vote pour Bolsonaro » #17 (numéro de l’enregistrement du parti).

Une femme fait de nombreux commentaires en attaquant le PT prétendant que ce parti a dépensé des millions de dollars (affirmation non prouvée) pour la campagne électorale avec l’argent des Brésiliens, avec « nos impôts » alors que le PSL a eu peu de temps d’antenne à la télévision pour sa campagne du premier tour … (le temps d’antenne est proportionnel à la représentation parlementaire du parti). Le mot d’ordre pour cette campagne électorale du deuxième tour : « Continuons la campagne sur internet… et à la télévision ».

Bolsonaro dit mettre fin à la violence et la corruption. Son parti est favorable à la peine de mort alors que le pays vit la violence tous les jours. Copié sur le modèle étasunien, il veut armer la population pour « se défendre contre la violence », mettant fin au contrôle stricte des armes à feu.  Les jeunes à partir de 16 ans (actuellement 18 ans) seront soumis à un tribunal pour adulte.  L’équipe de Bolsonaro veut également privatiser toutes les prisons. Pourquoi, selon le PSL, l’état devrait gaspiller son argent pour les criminels emprisonnés? Il capte ainsi une grande partie de la population,  notamment la classe moyenne dont la peur a augmenté face à la violence quotidienne, vols à main armée fréquents.  Cette peur est largement diffusée quotidiennement par les médias, particulièrement la télévision. Ces nouvelles et ce sentiment de peur provoquent certes une paranoïa urbaine…

Les autres partis, incluant le PT, n’ont jamais pu résoudre les problèmes de sécurité, la corruption et la crise économique qui au contraire a empiré. Le taux de mortalité est en hausse, la malaria est revenu hantée l’Amazonie, la classe moyenne s’est appauvrie et le chômage est en forte hausse.

Propagande d’un partisan de Bolsonaro sur une auto dans la ville de Socorro, intérieur de Sao Paulo. 

Photo par Micheline Ladouceur

« Le capitaine arrive» ! (« O capitao esta chegando ») : Montée de la droite au Brésil

Cette montée de la droite au niveau politique est un phénomène récent. Le groupe Bolsonaro (bancada Bolsonaro) a pris une grande importance aux élections du premier tour en faisant élire un grand nombre de sénateurs et députés. (Liste des candidats au Sénat).

Le Parti social-libéral (PSL) a pu élire 52 députés fédéraux cette année et est devenu le deuxième plus grand groupe parlementaire au sein de la Chambre. (gazetadopovo.com)

Voir la liste des députés pour chaque état.

Cependant il ne faut pas oublier que la démocratie brésilienne est non seulement fragile, mais récente. Dans son histoire, le Brésil a connu de courtes périodes de démocratie. Le coup d’état orchestré par les Etats-Unis en 1964 a duré plus de 20 ans alors qu’en 1985 on assiste à des élections indirectes (l’arrivée d’un président civil, mais élu par les militaires au pouvoir). Il faudra attendre 1990 pour assister à des élections directes (Collor de Mello a été élu en 1990, puis destitué en 1992 suite à un scandale de corruption).mLes propos du nouveau président de la Cour suprême fédérale, José Antonio Dias Toffoli, épousent les idées de Bolsonaro, nostalgique de la dictature militaire. Plutôt que de parler de la dictature de 1964, on doit parler du «mouvement de 1964» (IG Ultimo Segundo, 1.10.2018).

Photo prise à l’entrée de l’exposition de l’Institut Tomie Ohtake, né il y a 50 ans.  » Ce n’est pas encore fini, une exposition qui cherche à discuter des coûts associés au retrait des droits démocratiques pour l’imagerie culturelle du pays, en réponse au 50e anniversaire de la loi organique n ° 5, du totalitarisme de la dictature civilo-militaire brésilienne (1964-1985). » Photo par Micheline Ladouceur.

Contrairement aux pays voisins (Argentine, Uruguay, Chili) il n’y a pas eu de tribunaux pour accuser formellement les tortionnaires de la dictature (particulièrement pendant le gouvernement sanglant d’Ernesto Geisel – le développement des mégaprojets masquait la répression politique et la torture.  Il n’y a pas eu de Nunca Más («Plus jamais ça») (Le journaliste uruguayen Raul Zibechi, Brésil. La racine d’un phénomène sociopolitique. Un ouragan appelé Bolsonaro).

La famille Bolsonaro a réussi à se démarquer lors du premier tour des élections. Le 7 octobre dernier son fils Flavio Bolsonaro a réussi à être élu sénateur à Rio de Janeiro avec une grande majorité (1,8 million de voix). Un autre fils, Eduardo a été facilement élu en marquant le record absolu de voix pour une élection législative au Brésil (état de Sao Paulo). En 2000, le cadet, Carlos Bolsonaro fut élu le plus jeune conseiller municipal de Sao Paulo à l’âge de 17 ans.

Le parti social-libéral (PSL) fondé en 1994 par Luciano Bivar (centre) était peu populaire au Brésil avant que Jair Bolsonaro y adhère. Le PSL prend alors un tournant vers l’extrême-droite. Le PSL a fait d’autres gains aux élections du premier tour alors que Janaina Paschoal (PSL) a été élue avec le plus grand nombre de suffrages enregistrés dans l’histoire pour son poste de députée dans l’Etat de São Paulo [avec 2,06 millions de voix]. Janaina Paschoal  est avocate et l’une des auteurs de la pétition (trois au total) pour la destitution de l’ex-présidente Dilma Rousseff en 2016. Bolsonaro avait proposé  Janaina Paschoal commevice-présidence, mais elle s’est désistée (opovo.com).

Les réseaux sociaux utilisés par les promotteurs de la campagne a contribué au raz-de-marée de la droite.

Le succès de Bolsonaro est un phénomène virtuel alors que sa campagne s’est construite autour des réseaux sociaux et le développement d’un site Bolsonaro.com.  L’équipe de Bolsonaro a utilisé sans relâche les médias sociaux en mettant en ligne fréquemment des vidéos : Facebook avec 4.3 millions d’inscrits, Twitter avec 446 millions de personnes qui suivent le candidat, Instagram avec 446 mille utilisateurs, il participe à plusieurs groupes sur WhatsApp. Bolsonaro répond souvent à ses « fans » à travers ses réseaux sociaux. De nombreux réseaux sociaux ont été créés par des partisans. Un jeune brésilien, Raul Holderf, a créé l’un des plus grands réseaux en appui à Bolsonaro. C’est ainsi qu’on a construit une idole (narcissique), une image positive, »un mythe », mais bien ancré dans la politique réelle.

Jair Bolsonaro a un « militantisme organique » qui fonctionne volontairement et sans rémunération. Mais il y a des signes que sa force sur Internet dépasse ses militants, ce que ses adversaires appellent des « bolsominions ». C’est probablement aussi lié à l’utilisation de cyborgs – « un demi-robot, un médium humain », explique le coordinateur du Laboratoire d’études sur l’image et la cyberculture (Labic) de l’Université fédérale d’Espírito Santo (Ufes) de Fábio Malini.

Bolsonaro est un phénomène numérique. De l’actuel présidentiel, depuis début juin, qui a le plus de succès sur Facebook. Avec 4,3 millions d’adeptes, le sénateur Aécio Neves, qui est tombé en disgrâce après la délinquance JBS, a été écarté de la première place. Les plateformes de médias sociaux numériques regorgent de pages et de profils pour soutenir la candidature de Bolsonaro au Planalto.

(Jair Bolsonaro, o mito de pés de barro)

Plusieurs médias ont rapporté le voyage de l’un des fils de Bolsonaro aux Etats-Unis. Eduardo Bolsonaro a rencontré Steve Bannon qui était responsable de la Campagne de Donal Trump.

Le responsable marketing qui a contribué à la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, Steve Bannon, évoquera la campagne de Jair Bolsonaro (PSL) pour la présidence, a déclaré le représentant Eduardo Bolsonaro (PSL-SOP). Le fils de Bolsonaro, Eduardo était avec l’Américain la semaine dernière et a déclaré que Bannon serait un éventuel conseiller. « Bannon s’est rendu disponible pour aider, ce qui n’inclut évidemment rien de financier. » Nous l’avons clairement expliqué, lui et moi. Le soutien est un indice, tout à coup une analyse, une interprétation, des données, etc. dit Eduardo Bolsonaro. (source: Filho de Bolsonaro diz que marqueteiro de Trump vai ajudar seu pai, Globo.com, le 9 août 2018)

De plus, il est intéressant de noter que le PSC a payé un cours de « media training » au candidat Jair Bolsonaro à travers la conseillère en image Olga Curado. Madame Curado avait été également en charge de l’image électorale de l’ex-président Lula et l’ex-présidente Dilma. Les candidats à la présidence apprennent ainsi les différentes façons de donner une entrevue, des discours clairs, sans tons agressifs…

Un scandale vient de surgir alors que des entreprises auraient acheter  « des forfaits tout compris contre le PT chez WhatsApp et préparent une opération majeure la semaine précédant le second tour. »

Cette pratique est illégale, car il s’agit d’un financement de campagne, don effectué par des entreprises, interdit par la législation électorale, et non déclaré.

La Folha a déterminé que chaque contrat atteignait 12 millions de réais (3,25 millions de dollars environ) et que Havan figurait parmi les sociétés acheteuses. Les contrats concernent l’envoie de centaines de millions de messages.

Il existe ainsi une campagne publicitaire massive via les réseaux sociaux qui brise les règles officiels des élections.  Il n’y a pas de doute que cela se fera en faveur de Bolsonaro pour le deuxième tour.  Les avocats du Parti des travailleurs ont réclamé aux procureurs et à la police fédérale d’ouvrir une enquête.

Qui est derrière Bolsonaro?

1.BBB « Bíblia, Boi e Bala » (Bible, boeuf et balle) : Groupes évangéliques, pro-armes et ruraliste au congrès national

Il existe au Brésil un réseau important de TV Record appartenant à l’«évêque» évangélique et homme d’affaires Edi Macedo Bezerra. Réd. Les évangéliques ont réussi à s’infiltrer en grand nombre à la Chambre des députés. Le groupe comprenait en 2016 87 députés fédéraux et 3 sénateurs

Le front parlementaire évangélique (Frente Parlamentar Evangélica), connu comme la bancada evangélica, a désormais une grande influence avec des idées très conservatrices (contre l’égalité des femmes et des hommes, l’avortement, l’euthanasie, le mariage entre les personnes du même sexe prenant la violence et la discrimination contre les LGBT…). Bolsonaro, catholique, devenu évangélique, représente clairement les intérêts de cette industrie religieuse avec une influence sans précédent à la Chambre des députés. (photos : le baptême de Bolsonaro dans le fleuve Jourdain (frontière naturelle entre Israël et la Jordanie).  Le bloc évangélique a également eu un rôle fondamental dans la destitution de l’ex-présidente Dilma Roussef en 2016.(5) Les nombreuses accusations de corruption parmi les membres du bloc n’ont pas pour autant affaiblit le pouvoir économique des évangéliques.

La « bancada da bala » (groupe pro-armes) est en faveur de l’industrie de l’armement. Bolsonaro revendique le droit pour tous de « porter des armes pour se défendre contre la violence »et veut changer la loi sur l’armement tout en visant une loi sévère pour punir les crimes.

La bancada ruralista est un front parlementaire qui représente les grands propriétaires en faveur de l’agro-industrie.

Le gourou du Capitaine Bolsonaro

L’économiste Paulo Guedes (6), désigné par Bolsonaro comme son gourou , a permis de donner une image positive du candidat à la présidentielle en rassurant les investisseurs. Cet économiste pourrait devenir le prochain ministre des Finances si Bolsonaro accède à la présidence.  Il fallait un gourou pour guider le capitaine alors qu’il affirme lui-même « ne rien connaître à l’économie ». Il déclare cependant être un néolibéral et contrer « ce socialisme du PT » qui a duré trop longtemps.

Dès l’annonce de Paulo Guedes comme futur ministres Finances sous un gouvernement PSL (22 novembre 2017), la Bourse des valeurs a grimpé.

Le gourou croit que Bolsonaro est en train d’apprendre à devenir un « libéral-démocrate » malgré ses éloges à la dictature militaire (entrevue aves Paulo Guedes, EL PAÍS, août 2018).

Paulo Guedes pourra ainsi faire de Bolonaro un véritable néolibéral.  « Eu sou néolibéral » « Je suis néo-libéral », c’est ce qu’il affirmait dans le premier et unique débat à la télévision (depuis son attaque au couteau, il n’a participé à aucun débat, « si j’accepte un débat ce sera selon mes propres règles »).

“Bolsonaro représente la classe moyenne, blessée et abandonné par la gauche” (Paulo Guedes)

Le plan économique de Paulo Guedes s’inscrit parfaitement dans la ligne de Washington, du Fonds monétaire international (FMI)  et des créanciers internationaux.  L’économiste formé à l’université de Chicago veut vendre le pays en privatisant toutes les grandes industries nationales (au moins 147 industries seraient vendus pour « payer la dette publique » dont la gigantesque industrie Eletrobrás, l’aéroport de Congonhas, la Maison de la monnaie…) et en optant pour des réformes fiscales et sociales « radicales » dans la perspective du néolibéralisme.  Paulo Guedes pourrait-il jusqu’à privatiser la Banque du Brésil ? Alexandre Bettamio (Bank of América Merrill Lynch en Amérique latine)pourrait devenir le prochain président de la Banque Centrale… favori parmi les noms proposés, il vit à New-York. (Folha de Sao Paulo, le 9 octobre 2018)  Le choix d’un président lié au secteur privé pourrait se résumer à une forme de privatisation axée sur Washington.

Ces plans de privatisation faisaient déjà partie de l’agenda de l’actuel président Michel Temer. Ce dernier privilégiait les accords comerciaux avec la Chine, devenu le principal partenaire économique du Brésil.

Est-ce qu’un éventuel gouvernement PSL dirigé par Bolsonaro favorisera encore la Chine ? En alliance avec le nouveau gouvernement et le lobbying de Washington, les États-Unis pourraient tenter de déloger la Chine si elle prend trop de place dans les accords commerciaux, l’achat des industries nationales et l’investissement dans les infrastructures. Le gourou de Bolsonaro a-t-il déjà prévu de nouveaux accords commerciaux avec les États-Unis ?

Le parquet fédéral anticorruption du Brésil enquête désormais sur le conseiller économique. Quelques jours après les élections le gourou était visé par une enquête l’accusant d’avoir dévié l’argent de fonds de pension.

Selon des informations d’abord révélées par le journal Folha de S. Paulo, les faits allégués se sont produits entre 2009 et 2014 et porteraient sur un milliard de reais (232 millions d’euros environ).(..)

La Folha de S. Paulo, qui s’appuie sur des documents judiciaires, précise que Guedes n’est accusé d’aucun fait répréhensible mais qu’il aurait travaillé avec des cadres dirigeants étroitement liés au Parti des travailleurs.(..)

La fraude présumée aurait porté sur sept fonds de pension, dont ceux mis en place par la compagnie pétrolière publique Petroleo Brasileiro, ainsi que par Banco do Brasil, la banque publique Caixa Economica Federal et la poste fédérale.

Le parquet enquête sur des investissements dans une société dont Guedes était l’actionnaire majoritaire et sur le versement de dizaines de millions de reais à des inconnus, officiellement comme indemnités pour des interventions lors de conférences économiques.

(Zone bourse)

Conclusion

Si la gauche accuse Bolsonaro d’être un fasciste et un dictateur, l’élection du « capitaine » représenterait la légitimation d’une « dictature ». Cela pourrait également favoriser la fin du PT ou la chute brutale de la gauche au Brésil.  La « gauche » en prison (Lula), les manifestations contre les gouvernements PT (2013: hausse du transport urbain, manifestation pour la destitution de Dilma Rousseff en 2016), les enquêtes sur la corruption du PT et  ses ex-alliés du MDB…  (Photo : manifestation pour la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016, Traduction de la pancarte « Intervençao militar jà » : Intervention militaire maintenant )

L’image médiatique et négative du Venezuela contre le gouvernement Maduro a certes une influence sur la vision des Brésiliens de la gauche.

Le Venezuela s’est invité dans les élections brésiliennes non pas comme un vrai pays, mais comme l’épouvantail que chacun rhabille à sa convenance, au mépris total de la réalité – unique et complexe – de notre pays voisin.

Les candidats de droite ont bourré leurs prêches contre Fernando Haddad de récits macabres sur le gouvernement bolivarien du président Nicolás Maduro. Ils ont insinué qu’en cas de victoire du candidat luliste, le Brésil se retrouverait plongé dans une crise similaire à celle qui affecte le Venezuela. Ce même discours intègrera certainement l’arsenal de propagande de Jair Bolsonaro lors du choc décisif du second tour. (Igor Fuser, Au Brésil, la bataille présidentielle ignore le vrai Venezuela, Le point d’impact entre le conflit vénézuélien et l’impasse actuelle au Brésil se situe dans l’hystérie antiesquerdiste de ceux qui recherchent l’association entre Haddad et Maduro, 9 octobre 2018)

De fausses nouvelles prétendent que la gauche envoie de l’argent au gouvernement dit « sanglant » de Maduro… Tout comme en Colombie, la « peur de reproduite un autre Venezuela » au Brésil a un impact sur « l’ignorance » des Brésiliens alimentée par les grands médias.  Cependant la violence de droite (impunie) s’est reflété en août dernier lorsque que dans le Nord de l’Amazonie (État du Roraima), des Brésiliens « blancs » chassaient violemment des réfugiés économiques vénézuéliens.

Les Brésiliens se sont sentis trahis par le PT qui les a dirigés vers une grave crise économique affectant une classe moyenne « oubliée », des jeunes au chômage ou sans perspective d’avenir, des pauvres qui n’ont jamais bénéficié des programmes sociaux des gouvernements petites malgré leurs promesses…

La campagne électorale d’Haddad a démarré tardivement et le fait d’être intimement lié à Lula, accusé de fraude, n’a pas permis le développement d’une stratégie électorale pour l’élection d’un gouvernement PT.

La machine électorale des médias sociaux n’a pas non plus favorisé Haddad qui a été la cible de nombreuses fausses nouvelles répandues par les médias sociaux de Bolsonaro.

Le PT n’a pas su résoudre les problèmes de la violence urbaine quotidienne en hausse.  La violence dans les favelas a également été dramatique avec l’assassinat de la militante Marielle Franco et la présence importante de milices privées (qui seraient également les auteurs de l’assassinat de Marielle) qui sèment la terreur dans les communautés pauvres du Morro (colline) à Rio de Janeiro.

Le PT et ses partisans critique Bolsonaro pour sa nostalgie de la dictature militaire, mais les tortionnaires de la dictature militaire sont restés impunis sous les gouvernements du PT. Lula a refusé de mettre en place un Tribunal comme en Argentine, en Uruguay et au Chili.

La gouvernance luliste était fondée sur un large accord qui incluait plus d’une douzaine de partis, la majorité de centre droit, comme le MDP (Parti de l’ex-président Sarney). Mais cette coalition s’est désintégrée sous le second gouvernement de Dilma Rousseff [depuis 2014], entre autres parce que la société a élu en 2014 le parlement le plus à droite des dernières décennies, celui qui l’a démise en 2016. (Raul Zubechi)

Haddad est prisonnier du passé luliste et pétiste…

Il n’y a pas eu de mouvements sociaux contre les politiques d’ajustement structurel (comme en Argentine, même sous le gouvernement Temer). Le PT n’a pas de plans économiques nationaux en alternative aux demandes principales des créanciers. Au contraire, les politiciens qui ont travaillé avec le PT se vantent d’avoir payé la dette en niant les effets dévastateurs de ces paiements. Le mot d’ordre d’Haddad « Divida Zéro » (Déficit Zéro) – remplaçant « Pauvreté Zéro » ne propose pas une nouvelle stratégie économique. Cependant les politiques du gourou de Bolsonaro vont certes conduire à d’énormes coupures dans les programmes sociaux.

Sous Bolsonaro, toute manifestation contre les politiques économiques serait réprimée et même interdite. Bolsonaro veut « en finir avec l’activisme »… « Vamos acabar com o ativismo ! » (Jair Bolsonaro)

C’est pourquoi beaucoup de Brésiliennes et Brésiliens mécontents du PT diront encore EleNao (Non pas Lui) contre l’élection d’un parti autoritaire : dictature qui serait légitimée par les élections, sans plan favorisant l’économie nationale – voire nationaliste. Cependant les sondages continuent à conclure que le capitaine Bolsonaro sortira le grand gagnant de ces élections…

Micheline Ladouceur

Sao Paulo, Brésil

 

Mis à jour le 22 octobre 2018.

 

Notes

(1) O  » coiso » : Machin, mot employé pour désigner quelqu’un qu’on ne veut pas ou ne peut pas nommer

(2) Luliste se réfère à un partisan de Lula, ex-président du Brésil du Parti des Travailleurs (PT)

(3) Page 32 du plan Bolsonaro: Plano de Governo. Le mot invasion est utilisé à la place du mot occupation des terres.

(4)Bolsonaro a adhéré à sept partis et changer son adhérence environ huit fois.

(5)Le bloc évangélique était alors dirigé par Eduardo Cunha accusé plus tard de corruption.

(6)Guedes est l’un des fondateurs d’IBMEC, du think tank Institut Millenium et de la Banque  Pactual qui veut privatiser toutes les industries nationales.



Articles Par : Micheline Ladouceur

A propos :

Ph.D. en géographie. Spécialiste des questions latino-américaines et brésiliennes. Vice-présidente du Centre de recherche sur la Mondialisation, Rédactrice de Mondialisation.ca et des pages en portugais et en italien.

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