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Élections en France – La vengeance de la classe ouvrière ?
Par Bernard Hugo
Mondialisation.ca, 02 mars 2017

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Au premier tour des élections  présidentielles en France, des millions de gens s’apprêtent à voter afin qu’ils dégagent tous, les serviteurs  du capital, et les aigrefins de la finance mondialisée, les argousins des médias, les politiciens professionnels, toutes ces grandes âmes de l’oligarchie mondialiste, qui profitent de la concurrence sur les coûts de la force de travail  pour faire baisser les salaires.

Tout a été mis en œuvre par le pouvoir  médiatique aux mains de cinq ou six propriétaires  des appareils de communication pour endiguer la vague de la France Insoumise avec Mélenchon et dénaturer un projet politique cohérent avec l’aide du magistère qui définit la pensée autorisée. Le personnel médiatique, armé de l’instrument manipulateur  des sondages, obéit docilement à la stratégie de l’oligarchie, rompue à tous les traquenards comme les téléspectateurs ont pu le constater sur France 2 avec la clique de Pujadas pour faire trébucher un incorruptible.  Le machiavélisme, qui consistait sous Mitterrand à affaiblir le PCF et à favoriser l’émergence du Front National, a pris une autre ampleur avec la promotion systématique de l’égérie de l’extrême-droite, rectifiant la mauvaise image collabo et fasciste de son père. La croissance de la nouvelle idéologie xénophobe ne pouvait s’accomplir qu’en ralliant tous les abandonnés de la désindustrialisation, toutes les victimes  de l’Europe et de sa monnaie unique, tous les déçus de la droite souverainiste,  tous les escroqués du socialisme et de la gauche au pouvoir. Marine Le Pen a donc gauchit son discours, copiant quelques arguments économiques du programme de la France Insoumise et des traits redoutables du tribun Jean-Luc Mélenchon.

L’autre facette de cette stratégie, avec l’obligation de s’adapter aux circonstances de l’actualité préfabriquée, consiste à créer la confusion, à multiplier les jokers gauchistes, les margoulins de gauche à la Hamon (dixit Bruno Guigue) d’un PS en déroute, tout en  misant  sur un nouvel étalon. Car au bout du compte, favoriser Marine Le Pen pour museler Jean-Luc Mélenchon peut déboucher sur la pire des solutions. La promotion de l’extême-droite par les apprentis-sorciers nécessite une alternative positive pour contrer l’épouvantail. Mais la classe dirigeante ne forme pas un bloc uni. Des intérêts contradictoires font valoir leurs prérogatives et leurs calculs divergents.  Tout le monde se souvient du piège grossier dans lequel était tombé le directeur social-libéral du FMI, Strauss-Kahn, et son remplacement au pied levé par Hollande le désastreux. La caste pariant sur « la tyrannie des imbéciles »  a vidé  la philosophie et l’étude historique des programmes scolaires, mais la bourgeoisie française n’a pas oublié la mésaventure hitlérienne, sur laquelle avait misée la bourgeoisie allemande et européenne. L’oligarchie a promu son produit marketing. Macron doit ratisser large, à gauche et à droite et surenchérir dans le show hystérique du spectacle électoral à l’américaine, afin de capter l’immense marais des gogos et des  bien-pensants, pour vaincre avec certitude le risque calculé que représente Marine Le Pen. L’utilisation de la peur  du terrorisme pourrait  aussi offrir opportunément  une fenêtre de tir.

Dans le contexte international changé de 2017, avec d’une part la montée en puissance économique de la Chine et la présence diplomatique de la Russie sur la scène géopolitique mondiale, contrant défensivement l’encerclement de l’OTAN, et d’autre part l’échec de la stratégie de renversement d’El-Assad diabolisé, dans la guerre d’ingérence et de division de la Syrie, après le massacre irakien et l’instrumentalisation religieuse du terrorisme takfiris, l’élection de Trump à la présidence des Etats-Unis, a bouleversé les repères habituels du jeu politique. S’appuyant sur l’électorat populaire des victimes de la désindustrialisation occidentale, Trump est parvenu au pouvoir sur des thèmes xénophobes en damant le pion à Hillary Clinton, championne de l’etablishment, de la bien-pensance mondialiste et de l’interventionnisme armé humanitaire. Trump vient d’augmenter considérablement le budget militaire, en réponse aux déplacements des souffrances mondiales des gens chassés par la famine et les guerres que l’appareil militaro-industriel a lui-même créé.  En France, l’équation présidentielle, singeant les primaires entre républicains et démocrates, ressemble au jeu de quilles à l’américaine, où se profilent les manipulations médiatiques des services de renseignement  et où par conséquent l’on ne sait plus très bien qui lance la boule… comme l’a fait remarquer Slobodan Despot.

La faction hillaro-atlantiste du PS n’aspire qu’à devenir le point de mire d’un nouveau parti démocrate en chevauchant la monture marketing du parti des médias, du CAC 40, du Medef, de la finance de l’ombre, des banques et des assurances. Macron a reçu le soutien des frères siamois Attali-Minc, du maire de Lyon et de nombreux parlementaires PS, de Terra Nova, des écologistes De Rugy et Cohn-Bendit…, de Ségolène Royal, et cerise sur le gâteau, de Bayrou le centriste  et de Varoufakis le caméléon grec.  De son coté, le parti républicain a déjà changé son nom d’écurie et représente avec Fillon, la faction néo-conservatrice et catholique, libéralo-tatchérienne du patronat traditionnel et de la droite française. Mais les anciens de l’ENA et leur copain Hollande ont glissé une peau de banane sur la trajectoire de Fillon, piégé par une corruption mineure.

Les  laissez-pour-comptes superflus de la désindustrialisation, ne veulent plus du jeu perdant abstentionniste, ou plus exactement ils retournent le cynisme des dirigeants en utilisant émotionnellement les mauvaises cartes, celles dont on les affuble en les traitant d’archaïques, de déplorables, de crétins, de populistes, de fachos, de nationalistes, de racistes, d’adeptes du « complotisme » … et qu’ils endossent comme un mauvais costume mal taillé pour vilains sujets braillards et mal polis. Les abandonnés de la financiarisation s’estiment  sans défense et isolés qui, bien souvent se claquemurent dans le repli sur soi et la défiance de l’étranger. Face aux populations en colère, les jugements moralistes sont de peu de poids. La multitude des exclus finit un jour par prendre forme entre désespoir, rage, et révolte. Si par malheur le second tour réduisait  l’enjeu politique de la France à un duel Le Pen-Macron, habilement conditionné, les classes populaires pourraient bien se venger,  avec le geste désespéré de préférer le désordre créé par l’élection de Le Pen à la perspective de leur extermination à petit feu, programmée par les élites de la technocratie et de l’oligarchie financière que représente le carnassier Macron.

Bernard Hugo, le 27 février 2017

 

 

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