Elections : La farce est prête

Le mouvement des idées a toujours un train de retard sur le mouvement des choses, disait Marx. Conquête révolutionnaire, le suffrage universel a été vidé de sa substance. Que l’élu du 8 novembre, par exemple, soit le candidat qui aura dépensé le plus pour sa campagne électorale est une loi d’airain de la « démocratie américaine ». Elle se vérifie pour toutes les élections présidentielles depuis les années 50. On peut toujours voter, mais à quoi bon, puisque les dollars vont couler à flots, décidant à l’avance du résultat ?

La Cour suprême, en 2010, a déplafonné les dons pour les campagnes électorales. Avec cette incitation à la générosité, Obama avait déjà dépensé un milliard de dollars en 2012. On imagine quel nouveau pas de géant la démocratie va accomplir en 2016 ! L’issue du scrutin ne dépendra pas de la volonté majoritaire du peuple américain, mais du rapport de forces au sein d’une oligarchie mondialisée trans-partisane. Donner la parole au peuple sur son propre avenir, appliquer la souveraineté populaire ? Ne cherchez plus cette idée saugrenue. Elle a été retirée du marché, c’est le cas de le dire.

La démocratie, si elle existe, signifie le pouvoir du peuple. Mais pour que le peuple exerce le pouvoir, il faut réunir les conditions d’un débat démocratique. Or la concentration capitaliste dans les médias a précisément pour finalité de supprimer ces conditions. Rendre la parole au peuple est une bonne idée, mais où la prendra-t-il, cette parole ? Le verrouillage de l’espace médiatique le lui interdit, il sape la délibération collective. Cet espace est livré à la pensée unique, il est saturé de bêtise, crétinisé à l’extrême. La télévision française, par exemple, atteint des sommets de veulerie, et ses journalistes feraient rougir des tapineuses. Querelle débile sur un maillot de bain, exégèse du dernier vomi de Zemmour : tout ce qu’elle sait faire, c’est jouer son rôle de machine à décerveler.

La démocratie, pour les élites mondialisées, n’est qu’une foire d’empoigne destinée à faire croire au bon peuple qu’il a son mot à dire. Sous le régime clownesque exigé par la domination des marchés, le peuple est une chambre d’enregistrement. Il est convoqué, périodiquement, pour dire amen au candidat de l’oligarchie. Il ne décide de rien, il avalise docilement. Le peuple, d’ailleurs, ne sait pas ce qui est bon pour lui. Tenté par le populisme, c’est un géant sourd et aveugle que des élites, éclairées à la lueur de leur compte en banque, sauront guider dans l’obscurité.

Si le jeu démocratique est une pitrerie, c’est parce que le capital mondialisé maîtrise totalement le processus électoral et les médias qui en parlent. Aux USA, où la presse est moins monolithique, c’est l’avalanche de dollars déversée par les donateurs qui décide de l’élection. En France, c’est la presse phagocytée par neuf milliardaires qui nous dit pour qui voter. Si DSK n’avait pas tenté de saillir le personnel d’un établissement hôtelier, il serait à la place d’Alain Juppé : les médias au service de l’oligarchie l’avaient déjà choisi.

Pour les élections à venir, la farce est prête. il ne reste plus qu’à l’enfourner. Mais pour les dindons, inutile de chercher : c’est nous. Le dispositif est au complet : la corruption des partis d’un côté, l’assommoir médiatique de l’autre. Ce double tour de serrure garantit que rien de périlleux pour l’ordre établi ne sortira du scrutin. On aura beau dire que la démocratie bourgeoise est une démocratie frelatée. On aura beau constater que la souveraineté populaire a été sacrifiée sur l’autel d’une monnaie. On aura beau rappeler qu’aucune transformation sociale n’est jamais sortie d’une élection. Cela ne sert à rien. Inutile, non plus, de bourrer les urnes, les dindons s’en chargeront.

Bruno Guigue

17 septembre 2016

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Bruno Guigue, ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.



Articles Par : Bruno Guigue

A propos :

Ancien élève de l’Ecole normale supérieure et de l’Ecole nationale d’administration, Bruno Guigue est un ex-haut fonctionnaire français. Chercheur en philosophie politique et analyste politique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident », « Faut-il brûler Lénine ? » et « Les Raisons de l’esclavage », publiés chez L’Harmattan. Chroniqueur de politique internationale, il a publié des centaines d’articles diffusés en huit langues par plusieurs dizaines de sites d’information indépendants.

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