Emmanuel Macron: au-delà des mots

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Le 7 novembre, Emmanuel Macro a donné un interview à The Economist. Chacune des deux parties est resté dans son rôle. Le président s’est présenté en Européen convaincu dans une vision française de l’Europe, c’est-à-dire une Europe dirigée en sous-main par la France, en raison de sa force de frappe nucléaire, de son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, de son armée et de sa capacité à se projeter à l’étranger. De son coté, The Economist a soulevé les questions habituelles sur les divisions européennes et la réalité de l’Europe en tant qu’entité politique.

La déclaration du président sur la mort cérébrale de l’OTAN a suscité beaucoup de commentaires, y compris à l’étranger. Elle n’est étayée par aucun fait, hors l’attitude ambigüe de la Turquie, et les déclarations de Donald Trump. Elle vise à donner corps à son projet d’Europe de la défense. C’est une chimère. Une défense commune n’est possible que s’il existe une politique étrangère commune, définie sur la base d’intérêts ou d’ennemis communs. Ce n’est pas le cas. Les intérêts des pays européens, bien que proches, ne sont pas identiques. La Russie n’est pas l’ennemi de l’Union européenne. Elle est diabolisée par les néoconservateurs parce qu’elle se met en travers de leur projet hégémonique. Le complexe militaro-industriel s’en sert comme chiffon rouge pour justifier l’augmentation du budget américain de la défense. Une politique étrangère exige aussi une industrie de l’armement indépendante. A nouveau, ce n’est pas le cas. L’Europe s’approvisionne pour partie aux Etats-Unis. Les trois premiers importateurs sont la Grande-Bretagne, la Norvège et l’Italie. On sait les pressions exercées par Washington pour obliger un certain nombre de nations à acheter le F-35 – un avion au coût exorbitant dont le sénateur John McCain, ancien de l’aéronavale, avait demandé à ce qu’il soit abandonné !

Une industrie de l’armement indépendante suppose une industrie nationale. Or, la France ne cesse de voir disparaître ses champions nationaux : Alstom, Technip, Lafarge, Dentressangle, etc. et demain Latécoère ! Ne faudrait-il protéger ces entreprises avant de parler de défense européenne ?

Emmanuel Macron justifie la nécessité d’une défense européenne par l’émergence d’une nouvelle guerre froide sino-américaine qui n’existe pas encore, et qui n’existera sans doute jamais tant les liens économiques et financiers entre ces deux nations sont forts. Les Etats-Unis ont tout autant besoin de la Chine que la Chine des Etats-Unis. La relation sino-américaine est l’histoire d’un pari américain qui a mal tourné. Les Etats-Unis ont parié que l’inclusion de la Chine dans les relations économiques occidentales au travers de l’Organisation mondiale du commerce et du Fonds monétaire international, transformerait le système politique chinois. Ils se sont trompés. Les dirigeants chinois se sont servis de cette ouverture pour moderniser leur pays, en se gardant bien de reléguer leur pouvoir au peuple. C’est un pari de dupes. Les Américains ont été dupés par les Chinois qu’ils pensaient duper ! La politique de Donald Trump est un combat d’arrière-garde, une guerre économique mal conçue qui ne peut conduire qu’à des résultats désastreux pour les deux protagonistes, et pour le reste du monde, s’il n’y est pas mis fin rapidement.

Revenons à la défense européenne. Les Etats-Unis qui considèrent l’Europe comme un sous-continent à leur main, ne tolérerons jamais une défense européenne indépendante. Qu’arriverait-il si cette Europe s’alliait à la Russie ? Les Etats-Unis seraient marginalisées. La crainte, exprimée jadis par Halford Mackinder, se réaliserait (1). Précisons enfin que le souhait du président d’inclure la Grande-Bretagne dans la défense européenne ne fait pas sens. Ce pays a délégué pour partie sa défense aux Etats-Unis. Elle en serait donc le cheval de Troie.

En matière de politique étrangère, le discours du président a des accents gaullistes avec cependant une dose de néoconservatisme, comme l’indique ses remarques sur Bachar al Assad, la Turquie et la Russie. La présence de la France en Syrie est illégale. Rappelons qu’il n’a jamais été démontré que le président syrien avait utilisé des armes chimiques en 2013. C’est pourquoi Barack Obama a considéré que la « ligne rouge » n’avait pas été franchie, et a renoncé aux frappes aériennes. Emmanuel Macron est tout aussi gaullien lorsqu’il déclare vouloir améliorer les relations de la France avec la Russie, mais son analyse s’appuie sur une vision néoconservatrice de ce pays.

En revanche, il est tout à fait dans son rôle lorsqu’il souligne la nécessité pour l’Europe d’être à la pointe des nouvelles technologies, en particulier dans le domaine des télécommunications avec la venue du 5G.

Au-delà des mots échangés lors de l’interview, il apparaît que dans sa définition de la politique étrangère de la France, Emmanuel Macron fait face à un double dilemme. Il ne peut être Européen et gaulliste, et il ne peut être l’un ou l’autre sans irriter l’ami américain. C’est le dilemme de la France.

Jean-Luc Baslé

 

(1) Halford Mackinder, géographe anglais, postule que qui contrôle les plaines s’étendant de l’Europe centrale à la Sibérie – région qu’il appelle l’île-monde – contrôle l’Eurasie, et donc le reste du monde.



Articles Par : Jean-Luc Baslé

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