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En attendant d’être tués
Par Luisa Morgantini
Mondialisation.ca, 23 avril 2007
http://www.ilmanifesto.it/ 23 avril 2007
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https://www.mondialisation.ca/en-attendant-d-tre-tu-s/5465

« Les Palestiniens d’Irak n’ont nulle part pour trouver refuge. Ils sont « interdits d’entrée » partout. Les Nakba de 48 et de 67, se répètent. La responsabilité de la communauté internationale, et d’Israël au premier chef, est immense. »

« Vous les Palestiniens, traîtres, amis de Saddam, terroristes, infidèles. Vous avez dix jours pour quitter le pays, sinon nous reviendrons vous tuer ». Brigade Justice.

Ceci est le texte, écrit sur un morceau de papier, qu’une famille palestinienne a trouvé épinglé à sa porte, dans une banlieue de Bagdad, un matin de septembre dernier.

Les Palestiniens en Irak, à part les familles qui y vivent depuis fort longtemps, sont des réfugiés de 1948 et de 1967 qui, contrairement aux Palestiniens dans les autres pays arabes où ils vivent essentiellement dans des camps de réfugiés sous protection de l’Agence des Nations Unies pour la protection des réfugiés, l’UNRWA, habitent, ou plutôt habitaient, des quartiers urbains, dans des maisons qui leur avaient été assignées par le gouvernement et ils avaient des documents de voyage et des passeports.

Depuis le premier jour de l’occupation militaire et la fin du régime de Saddam Hussein en avril 2003, les Palestiniens ont été soumis à toutes sortes de discrimination. Ils ont été renvoyés de leur travail et subissent le harcèlement et la cruauté. Plusieurs organisations humanitaires ont déclaré qu’ »une campagne systématique de nettoyage ethnique » était menée à Bagdad contre les réfugiés palestiniens. Dans la seule année 2006, plus de 600 ont été tués par les milices chiites. Tawfiq Abdul-Khalil Abu Abed, un vieil homme de 70 ans, a été retrouvé mort, portant des signes évidents de torture, tué par un groupe criminel qui l’avait kidnappé. Abu Abed est l’une des nombreuses victimes des escadrons de la mort en Irak.


2007 – Palestiniens d’Irak bloqués dans un camp, à la frontière jordanienne

Le déchaînement des chiites

Dans les jours qui ont suivi l’occupation militaire, au cours de la période de vandalisme la plus importante, les citoyens irakiens, principalement des chiites, ont obligé de nombreux Palestiniens à quitter leurs maisons pour éviter d’être tués. Ils les ont accusés d’être des collaborateurs du régime, d’avoir été traités d’une manière privilégiée par Saddam, et d’être sunnites. Au Koweit également, après la guerre, les Palestiniens avaient été persécutés, emprisonnés, et plus de 300.000 d’entre eux obligés de fuir, perdant leurs biens et payant le prix de la guerre de Saddam Hussein.

En Irak, leurs maisons ont été détruites, pillées puis occupées par des Irakiens. Même l’Ambassade palestinienne a été attaquée trois fois et l’ambassadeur a été emprisonné pendant plus d’un an. On a accusé les forces de sécurité du ministre de l’Intérieur irakien d’être impliquées dans des arrestations arbitraires, des tortures, des assassinats et « la disparition » de nombreux Palestiniens. Les milices armées, liées aux brigades Badr et du Mahdi, ont diffusé des communiqués contre eux et ont attaqué des Palestiniens isolés.

Le processus de détérioration continu des conditions de vie des Palestiniens en Irak est impossible à arrêter, et on ne peut imaginer un retournement de la situation. L’état actuel de la société irakienne, noyée dans les affrontements, les bombardements et les attaques terroristes, ne le permet pas. Vus comme constituant une classe privilégiée du temps du régime de Saddam Hussein, les Palestiniens sont devenus les boucs émissaires. Ils sont la cible de toutes les forces armées en Irak, de l’armée, de la police et des milices fondamentalistes : 186 victimes au cours de 662 attaques armées, selon l’organisation humanitaire palestinienne « Rased ».

Et le processus d’exclusion et de discrimination utilisé par les autorités irakiennes est violent : tous les permis de résidence, qu’ils soient provisoires ou permanents, obtenus sous le régime de Saddam Hussein, ont été annulés. Il est pratiquement impossible d’obtenir un permis de travail, l’émission de documents pour les nouveaux-nés a été suspendue depuis 2003, toute aide humanitaire est refusée. Une loi a été promulguée qui oblige chaque Palestinien ou Palestinienne à se présenter devant les autorités compétentes tous les trois mois – toute la famille, y compris les nouveaux-nés et les personnes âgées, sans considération de leurs maladies ou handicaps. Tout retard est sanctionné par une amende de 10.000 dinars.

Nettoyage ethnique à Bagdad

Les Palestiniens qui avaient un passeport ont réussi à traverser la frontière et se retrouvent une fois de plus réfugiés en Jordanie et en Syrie. Les autres sont sans identité, sans passeport. En 2003, la Haute Commission de l’UNHCR a recensé 23.000 Palestiniens en Irak, alors que le total estimé est de 34.000. L’Agence a dénoncé plusieurs attaques par des milices armées. Il y a quelques semaines dans une banlieue palestinienne de Bagdad, al-Baladiya, suite à des menaces destinées à forcer les Palestiniens à abandonner le quartier, quatre d’entre eux ont été tués, une douzaine grièvement blessés, et de nombreuses familles ont dû abandonner leurs maisons. Les ambulances qui ont essayé d’entrer dans le quartier après l’attaque ont été repoussées par ces milices armées.

La banlieue de al-Baladiya regroupaient normalement 8.000 Palestiniens, mais, selon des sources palestiniennes, il n’y en aurait plus que 4.000. L’Agence a exprimé ses sérieuses inquiétudes sur les conditions de vie des réfugiés palestiniens et sur la difficulté de leur fournir la protection nécessaire. Bien que ce soit de la responsabilité du gouvernement irakien et des forces de coalition de garantir cette protection, non seulement le gouvernement irakien n’a rien fait pour protéger la population palestinienne, mais le ministre responsable des personnes déplacées et migrantes a demandé l’expulsion d’Irak de tous les Palestiniens. La promesse du président kurde Jalal Talabani de garantir la sécurité des Palestiniens n’a rien valu et en Irak, où personne n’est en sécurité, les Palestiniens le sont encore moins que les autres.

La plupart de ceux qui ont fui les villes pour éviter d’être tués ont rejoint des camps de réfugiés situés aux frontières avec la Syrie et la Jordanie. Ils sont environ 1.300 bloqués à la frontière, et, selon l’UNHCR, environ 20.000 sont toujours piégés à Bagdad.

Pour les Palestiniens, en Irak, la fuite est la seule solution, mais elle leur est aussi interdite. Les papiers délivrés par le régime ne valent maintenant plus rien et leur statut légal n’est pas reconnu (beaucoup sont sans statut), faisant d’eux la minorité qui a le plus de difficultés à quitter le pays. La Syrie et la Jordanie, qui ont accepté des milliers d’Irakiens, ont fermé leurs frontières aux Palestiniens. En 2004, la Jordanie a accepté d’en recevoir 386, qui étaient mariés à des Jordaniens, et la Syrie en a accueilli 256 en mai 2006. Ce qui a entraîné la création de 4 camps de réfugiés, un dans le désert jordanien, un en Syrie, un en Irak et un dans le « no man’s land » entre l’Irak et la Syrie.

Le camp de Ruwayshid est l’un des premiers camps. Il est à trois heures par autobus d’Amman, à l’intérieur de l’Irak, dans le désert. Il a été installé par les Jordaniens qui ne voulaient pas autoriser le premier groupe de Palestiniens qui fuyait Bagdad dans les premiers jours du bombardement de l’Irak à trouver refuge en Jordanie. Les Palestiniens y vivent sous tentes depuis maintenant quatre ans. Ils ne peuvent pas quitter le camp, sauf pour aller à l’hôpital à Amman. Certains enfants ne connaissent pas autre chose que la vie dans ce camp, ils vivent entourés de fils de fer barbelés et surveillés par des gardes armés. La demande de l’UNHCR aux Etats voisins et aux autres pays arabes d’ouvrir leurs frontières aux réfugiés palestiniens venant d’Irak, puisque la Syrie et la Jordanie ne peuvent résoudre seules la situation, est restée lettre morte.

Depuis mai 2006, plus de 400 Palestiniens vivent sous tentes dans le camp al-Tanf, dans le désert, dans ce no man’s land entre la Syrie et l’Irak. Quand ils sont arrivés là, ils ont trouvé la frontière fermée.

Muhammod a 26 ans, il est arrivé au camp cette année, après un voyage tragique au cours duquel son compagnon a été brutalement tué. Il raconte qu’ils étaient déjà à l’extérieur de la ville lorsque les policiers irakiens les ont arrêtés. Quand ils ont réalisé qu’ils étaient palestiniens, ils leur ont pris tous leurs objets de valeur et les ont battus. L’ami de Muhammod a été tué par un coup à la tête, et lui-même a été touché au cou par une balle. Il a survécu parce qu’ils l’ont cru mort. Il a eu le nez cassé par les coups et la police a pensé que la balle l’avait touché au visage.

« Que veulent-ils de nous ? »

Sahar Ahmed a 41 ans et elle est née en Irak. Sa famille s’est enfuie d’un des 362 villages palestiniens évacués en 48 par Israël, qui les a ensuite complètement détruits pour en faire disparaître la mémoire et rendre impossible le retour de leurs habitants.

Elle a quatre enfants. L’un d’entre eux a été torturé, sa fille a été violée et son mari tué. Des hommes armés cagoulés sont entrés chez eux et ont tout détruit. Sahar a réussi à se rendre au Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies et, après avoir raconté son histoire, elle dit : « Je demande au monde, que voulez-vous de nous ? Qu’attendez-vous pour nous aider ? Ma fille a été violée, mon fils tué, mon mari tué, je n’ai plus de maison, que faut-il de plus pour que vous m’aidiez à quitter ce pays ? Combien de souffrances devons-nous encore endurer ? Faut-il que nous attendions ici d’être tués, dans la crainte quotidienne d’être pris et torturés ? »

Nadia Othman, qui ayant fui Bagdad, est en Jordanie, raconte la mort de son frère : « Les milices chiites l’ont arrêté alors qu’il allait à l’école où il enseignait l’arabe. Après avoir vu ses papiers, ils lui ont tiré dans la partie arrière du cou, de sang froid. Le même jour, ils ont enlevé et tué le président du Club sportif palestinien Haifa d’Irak ».

Un autre Palestinien, qui a réussi à aller en Cisjordanie du nord, dit que maintenant, personne ne sort plus avec ses papiers, afin d’ essayer de masquer son identité. Cela ressemble à ces histoires, au Liban pendant la guerre civile – où on demandait aux personnes suspectées d’être palestiniennes de dire « tomate ». Les Palestiniens répondaient « bandura » et les Libanais « banadura ». On dit que beaucoup de Palestiniens au Liban furent reconnus et tués à cause de cette différence de vocabulaire.

Cela suffit, nous ne permettrons pas d’autres crimes

Adam Schapiro, sociologue américain, et Perla Issa, Palestinien qui vit au Liban, ont recueilli les témoignages des conditions tragiques des Palestiniens en Irak dans un documentaire. Ils se consacrent à aider les Palestiniens à quitter l’Irak.

Nous avons invité Perla au Parlement européen pour participer à une réunion avec la délégation du Conseil Législatif Palestinien pour sensibiliser l’Europe et le Parlement sur les conditions des réfugiés palestiniens et pour demander à l’Union et aux gouvernements européens d’intervenir.

« Le documentaire et notre engagement ont une fonction spécifique : persuader les dirigeants des gouvernements nationaux de garantir l’asile politique aux réfugiés palestiniens venant d’Irak », dit Perla. « Adam et moi voyageons à travers le monde, d’une institution nationale à une autre, pour discuter directement avec les gouvernements, sonder les possibilités politiques et essayer de trouver des moyens de garantir la sécurité des réfugiés. La situation est très délicate – explique Perla Issa – nous devons trouver le juste équilibre dans la présentation médiatique. Trop insister peut faire empirer la situation des Palestiniens qui sont toujours en Irak. Il est vrai que le problème devrait entrer dans le domaine public, mais nous pensons qu’il n’est possible de le résoudre qu’à un niveau politique-institutionnel. Nous demandons à tous les gouvernements d’accepter les Palestiniens irakiens. Notre récente visite au Chili a été très fructueuse. Le Chili, bien qu’il ne soit pas un pays traditionnellement ouvert aux réfugiés, a accepté 200 réfugiés palestiniens. En conséquence, il est probable que le camp de Ruwayshid sera fermé. Nous sommes en contact avec d’autres pays d’Amérique Latine et d’Europe et notre prochaine mission est au Yémen, où l’UNHCR essaie d’installer un centre d’évacuation temporaire. »

L’Union européenne a le devoir de soutenir ce projet, mais sa principale responsabilité doit être de faire pression sur les gouvernements nationaux pour qu’ils acceptent de recevoir des groupes de réfugiés palestiniens. La communauté internationale dans son ensemble doit prendre le cas en considération et reconnaître la tragédie, tout d’abord en demandant à la Jordanie et à la Syrie d’ouvrir leurs frontières, et à Israël, responsable des réfugiés de 48 et de 67, d’ouvrir la Cisjordanie et Gaza pour les victimes palestiniennes d’Irak. L’Italie également, parmi les pays européens les plus sensibilisés au problème, doit contribuer de façon concrète. Jusqu’à maintenant, l’UNHCR n’a trouvé de solution que pour 62 réfugiés (54 ont été acceptés au Canada et 8 en Nouvelle-Zélande), pendant qu’Adam et Perla, agissant de manière indépendante et allant discuter directement avec des gouvernements, ont réussi à trouver une solution pour 200 autres et ouvert des négociations avec le Brésil et l’Afrique du Sud.

Mais une solution plus juste consisterait à empêcher les persécutions des Palestiniens en exigeant du gouvernement irakien et des forces d’occupation qu’ils les défendent et les protégent. Et le mieux serait d’autoriser le retour des réfugiés sur leur propre terre : les Territoires palestiniens occupés. Israël refuse sous les prétextes habituels de sécurité – les Palestiniens irakiens pourraient être de dangereux extrémistes – et le gouvernement palestinien, sans souveraineté, n’est pas en capacité de décider de les accepter ou non.

Il faut agir en urgence. Leurs vies sont en danger et la communauté palestinienne irakienne subit une nouvelle Nakba, après celle de 1948. Nos responsabilités et celles de la communauté internationale sont immenses. Ne permettons pas de nouveaux crimes. Sauvons-les.

Luisa Morgantini, italienne, est vice Présidente du Parlement Européen. Cet appel a été publié dans « Il Manifesto » le 6 avril 2007.

Source : Pacusa

Version française: ISM,  traduction : MR pour ISM

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