En Israël, la pression pour détruire la mythique mosquée Al-Aqsa à Jérusalem se généralise

Ce site antique qui remonte à l’an 705 a fait l’objet de destructions par des groupes extrémistes qui cherchent à effacer l’héritage musulman de Jérusalem à la poursuite d’ambitions coloniales et de la réalisation des prophéties de la fin des temps.

L’emblématique  Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa, situés sur le mont du Temple ou Haram el-Sharif, est le troisième site le plus saint de l’islam, il est reconnu dans le monde entier comme symbole de la ville de Jérusalem. Pourtant, cet ancien site qui remonte à l’année 705 est ciblé par des groupes extrémistes de plus en plus influents qui cherchent à effacer l’héritage musulman de Jérusalem à la poursuite des ambitions coloniales et de la réalisation des prophéties de la fin des temps.

Des observateurs ont peut-être remarqué les efforts croissants déployés par certains responsables gouvernementaux et religieux israéliens pour retirer le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa de la ligne d’horizon de Jérusalem, effaçant non seulement le lieu saint sur les affiches officielles, les banderoles et le matériel éducatif, mais également le bâtiment lui-même. Par exemple, Yehuda Glick, un membre actuel de la Knesset, appartenant au parti au pouvoir, est également directeur du Temple Institute, un institut financé par le gouvernement, qui a créé des plans architecturaux détaillés, à partir de reliques, pour un Temple qui, espère-t-il, remplacera bientôt Al-Aqsa. Glick est également un ami proche de Yehuda Etzion, qui avait participé à un complot raté en 1984 en vue de faire sauter la mosquée Al-Aqsa et a donc purgé une peine de prison.

AP_17208561539580_edited

«À la fin, nous construirons le Temple et ce sera une maison de prière pour toutes les nations», a déclaré Glick au journal israélien Maariv en 2012. Un an plus tard, le ministre israélien de l’Agriculture, Uri Ariel, a déclaré : «Nous avons construit beaucoup de petits, petits temples… mais nous devons construire un vrai Temple sur le Mont du Temple. » Ariel a déclaréque le nouveau Temple juif devait être construit sur le site où se trouve actuellement Al-Aqsa « car il est au premier plan pour le salut juif. » Depuis lors, des personnalités politiques israéliennes ont manifesté de plus en plus de soutien à la fin de la souveraineté israélo-jordanienne sur la mosquée, poussant de nombreux Palestiniens notoires à mettre en garde ces dernières années contre les plans de destruction de la mosquée.

Ces dernières années, l’effort centenaire de ce qui n’était autrefois qu’un petit groupe d’extrémistes est devenu de plus en plus courant en Israël, avec des personnalités politiques, des personnalités religieuses et des partis politiques prônant la destruction du Dôme du Rocher et de la mosquée Al-Aqsa afin de réaliser une interprétation spécifique d’une prophétie de la fin des temps qui était autrefois considérée comme marginale par les praticiens du judaïsme.

Comme Miko Peled, auteur israélien et défenseur des droits de l’homme, l’a déclaré à MintPress, le mouvement visant à détruire Al-Aqsa et à le remplacer par un Temple réinventé « est devenu notable après la guerre de 1967 », il est depuis devenu « un projet colonial gigantesque qui utilise les mythologie religieuse, biblique et leurs symboles pour se justifier » – un projet qui reçoit maintenant le soutien d’israéliens religieux et laïcs.

Alors que les efforts visant à détruire Al-Aqsa et à la remplacer par un troisième Temple réel ont gagné du terrain en Israël ces dernières années, cet effort a progressé à un rythme remarquable ces dernières semaines, en raison de la convergence de plusieurs facteurs. Ces facteurs, comme le montrera ce rapport, incluent la révélation prochaine du prétendu «Deal du Siècle», la poussée pour une guerre avec l’Iran et le Hezbollah libanais, et la grande indulgence du gouvernement Trump concernant l’activité de groupes extrémistes juifs et l’installation de leurs colonies extrémistes en Israël.

Ces facteurs sont en corrélation avec une accélération des efforts visant à détruire Al-Aqsa et le danger très réel de voir disparaître le site sacré vieux de plusieurs siècles. Alors que la presse américaine a parfois mentionné le rôle de l’extrémisme religieux dans la politique étrangère d’éminents politiciens américains tels que le secrétaire d’État Mike Pompeo, elle a rarement mis en lumière le rôle de l’extrémisme juif dans la direction de la politique étrangère d’Israël – une politique étrangère qui, à son tour, est bien connue pour influencer les politiques américaines.

Prises ensemble, les menaces pesant sur Al-Aqsa se révèlent nettement plus graves que la seule perte d’un monument physique, qui serait en soi une perte grave pour la communauté musulmane du monde entier, qui compte plus de 1,8 milliard de personnes. En outre, la destruction du site entraînerait très probablement une guerre régionale, et peut-être même mondiale, aux dimensions religieuses évidentes.

Pour éviter un tel résultat, il est essentiel de souligner le rôle que jouent les interprétations extrémistes et apocalyptiques des confessions juive et chrétienne dans des tendances qui, si elles n’étaient pas contrôlées, pourraient avoir des conséquences véritablement terrifiantes. Ces deux groupes extrémistes sont fortement influencés par des ambitions coloniales qui l’emportent souvent sur les fondements religieux sous-jacents.

Dans la partie I de cette série en plusieurs parties, MintPress examine la croissance des mouvements extrémistes en Israël qui promeuvent ouvertement la destruction d’Al-Aqsa, depuis un mouvement marginal, relativement isolé au sein du sionisme, jusqu’à la prééminence aujourd’hui en Israël ; ainsi que la manière dont les menaces pesant sur la mosquée historique ont augmenté de manière précipitée au cours du mois dernier. MintPress a interviewé l’auteur et activiste israélien Miko Peled ; le rabbin Yisroel Dovid Weiss de Neturei Karta à New York ; l’imam et érudit de l’islam chiite, Sayed Hassan Al-Qazwini, de l’Institut islamique d’Amérique ; et le journaliste et universitaire palestinien Ramzy Baroud pour leurs points de vue sur ces groupes extrémistes, leur popularité croissante et les menaces grandissantes qui pèsent sur le statu quo actuel à Haram El-Sharif / Mont du Temple.

Les autres épisodes de cette série détailleront l’influence de ce mouvement extrémiste sur la politique israélienne ainsi que sur la politique américaine, en particulier parmi les hommes politiques sionistes chrétiens aux États-Unis. La manière dont l’objectif de ce mouvement a également influencé les politiques israélienne et américaine – en particulier par rapport au prétendu «Deal du Siècle», la reconnaissance par le Président Donald Trump de Jérusalem en tant que capitale d’Israël et la pression pour la guerre contre l’Iran et le Hezbollah libanais seront également examinés.

Deux siècles dans le collimateur

Bien que les efforts visant à soustraire le site sacré contesté aux contrôles jordanien et palestinien se soient considérablement intensifiés au cours des dernières semaines, le site de la mosquée Al-Aqsa était depuis longtemps pris pour cible avant la fondation d’Israël ,et même avant la formation du mouvement sioniste moderne.

Par exemple, le rabbin Zvi Hirsh Kalisher – qui a promu la colonisation juive européenne de la Palestine d’un point de vue religieux bien avant que le sionisme ne devienne un mouvement – a exposé une des premières formes de ce que l’on qualifierait plus tard de «sionisme religieux» et s’intéressait particulièrement à l’acquisition de Haram el-Sharif (Le Mont du Temple) comme moyen d’accomplir la prophétie.

Comme indiqué dans l’essai « Le proto-sionisme et son proto-Herzl : la philosophie et les efforts du rabbin Zvi Hirsch Kalisher » de Sam Lehman-Wilzig, professeur de politique israélienne et d’études judaïques à l’université de Bar-Ilan en Israël, Kalisher a cherché à courtiser les riches Juifs européens pour financer l’achat d’Israël aux fins de la réinstallation, en particulier le Mont du Temple. Dans une lettre de 1836 au baron Amschel Rothschild, Kalisher suggéra que le frère aîné de la riche famille de banquiers utilise ses fonds abondants pour amener la souveraineté juive en Palestine, en particulier à Jérusalem et au Mont du Temple :

Spécialement à un moment comme celui-ci, lorsque la Terre d’Israël est sous la domination du Pacha… peut-être si votre très noble Excellence lui verse une belle somme et lui achète un autre pays (en Afrique) en échange de La Terre sainte, qui est actuellement en petite quantité mais de grande qualité… Cet argent ne serait certainement pas gaspillé… Car, lorsque les dirigeants d’Israël seront rassemblés des quatre coins du monde… et le transformeront en un pays habité, les gens nombreux qui craignent Dieu et les juifs charitables se rendront là-bas pour s’installer en Terre sainte sous souveraineté juive… et seront dignes de prendre leur part dans l’offrande sur l’autel. Et si le maître (Ibrahim Pacha) ne souhaite pas vendre la totalité des terres, il devrait au moins vendre Jérusalem et ses environs… ou au moins le mont du Temple et ses environs. » (Non souligné dans l’original)

La demande de Kalisher a été accueillie par une réponse évasive du baron Rothschild, ce qui a poussé Kalisher à entreprendre d’autres familles juives européennes fortunées, comme les Montefiores, dans le même but. Et bien que Kalisher ait initialement échoué à gagner le soutien de la famille Rothschild, d’autres membres importants de la riche dynastie bancaire européenne sont finalement devenus des partisans enthousiastes du sionisme au cours des décennies qui ont suivi.

Kalisher était aussi influent d’une autre manière, puisqu’il était sans doute le premier rabbin moderne à rejeter l’idée d’attendre patiemment que Dieu accomplisse la prophétie. Il proposa à l’homme de prendre des mesures concrètes conduisant à la réalisation de telles prophéties, une croyance que Kalisher qualifiait d’auto-réalisatrice. Pour ce dernier, l’installation de juifs européens en Palestine n’était que la première étape, qui devait être suivie par d’autres qui consisterait en une approche active par opposition à une approche passive du messianisme juif. Ces étapes comprennent la construction d’un troisième Temple, destiné à remplacer le deuxième Temple détruit par les Romains vers l’an 70 de notre ère, et la réinitiation de sacrifices rituels d’animaux dans ce Temple, qui, selon Kalisher, ne pourrait être placé que sur le mont du Temple, là où Al-Aqsa s’est installé et perdure.

Kalisher n’était pas seul dans ses vues, comme son contemporain, le rabbin Judah Alkalai, qui écrivait ce qui suit dans son livre Shalom Yerushalayim :

Il est évident que le Machia’h ben David [le Messie de la Maison de David] ne viendra pas de nulle part sur un char et des chevaux de feu, mais viendra si les Enfants d’Israël se plient à la tâche de se préparer pour lui.

Bien que Kalisher n’ait pas été la seule voix à promouvoir ces idées, ses convictions – à part promouvoir l’installation physique des Juifs européens en Palestine – sont restées relativement marginales pendant des décennies, voire plus d’un siècle, car les Juifs laïcs ont exercé une influence considérable sur le mouvement sioniste après sa formation officielle. Cependant, d’éminents sionistes religieux ont influencé le mouvement sioniste de manière déterminante avant la fondation d’Israël. Le Rabbin Abraham Isaac Kook était l’un de ces personnages qui cherchait à réconcilier le sionisme et le judaïsme orthodoxe en tant que grand rabbin ashkénaze de Palestine, une position qu’il assuma en 1924.

Pourtant, le rabbin Yisroel Dovid Weiss de Neturei Karta, un groupe juif ultra-orthodoxe basé à New York et opposé au sionisme, a déclaré à MintPress que de nombreux sionistes religieux avaient depuis lors adopté les idées de Kalisher, qui avaient été largement rejetées de son vivant, afin de justifier les actions recherchées par les sionistes laïques. « Ce rabbin, à l’époque, a été éreinté par d’autres rabbins et ses convictions n’ont pas été acceptées », a déclaré le rabbin Weiss « Mais à présent, ceux qui parlent de la construction de ce troisième Temple … sont des sionistes et ils ont ont trouvé des rabbins dont les idées leur profitent et qu’ils utilisent pour justifier des actes sionistes, qui ne sont pas alignés sur le judaïsme, et les rendre casher. »

AP_196115813394_edited
Le célèbre Dôme du Rocher sur le Mont du Temple, au centre, et le dôme de la mosquée Al-Aqsa, photographié le 15 mai 1976. Horst Faas | AP

Weiss développa davantage ce point, notant que les membres du mouvement sioniste religieux moderne qui cherchent à construire un nouveau Temple juif où se trouve actuellement Al-Aqsa, sont fondamentalement, des sionistes qui ont utilisé des images religieuses et des interprétations spécifiques de textes religieux comme couverture pour des actes néocoloniaux, tels que la refonte complète du Mont du Temple.

« C’est comme un loup vêtu d’une peau de mouton … Ces personnes qui veulent intégrer les enseignements de ce rabbin [Rabbi Kalisher] disent fièrement qu’elles sont juives, mais font des choses qu’il est interdit aux juifs de faire », comme escalader le mont et s’y tenir debout, comportement que Rabbi Weiss a qualifié de «violation de la loi juive», longtemps interdit par cette loi, selon un consensus parmi les érudits et les rabbins juifs du monde entier, qui a duré bien au-delà de la formation du mouvement sioniste au XIXe siècle.

Weiss a également déclaré à MintPress :

Il n’y a que quelques péchés dans le judaïsme – qui a beaucoup, beaucoup de lois, qui amènent un Juif à se séparer de Dieu – et monter au Mont du Temple est l’un d’entre eux. C’est parce qu’il faut un certain niveau de sainteté pour escalader et… le processus pour atteindre ce niveau de sainteté et de pureté ne peut pas être accompli aujourd’hui, car [les aspects et les éléments requis par] les rituels de pureté nécessaires n’existent plus aujourd’hui.

Le rabbin Weiss a noté que, pour cette raison, la communauté musulmane qui a toujours gouverné la région où se trouve la mosquée Al-Aqsa n’a jamais eu de problèmes avec la communauté juive en ce qui concerne le mont du Temple, car on savait depuis des siècles que les Juifs ne pouvaient pas monter dans la zone où la mosquée est actuellement posée, ils priaient uniquement au mur occidental. Il a également déclaré que l’idée prophétique d’un troisième Temple était, avant le sionisme, comprise comme indiquant non pas un changement des structures physiques sur le mont du Temple, mais un changement métaphysique et spirituel qui unirait toute l’humanité pour adorer et servir Dieu à l’unisson.

Le rabbin Weiss a affirmé que le conflit concernant la mosquée Al-Aqsa n’a commencé qu’avec l’avènement du sionisme, et l’ambition néocoloniale qui en découle, de modifier fondamentalement le statu quo et les structures présentes sur le site afin d’effacer des parties clés (parties palestiniennes) de son patrimoine. « Cela [l’utilisation de la religion pour justifier l’ascension et la prise de contrôle du Mont du Temple] est un piège pour amener d’autres personnes à les soutenir », a conclu le rabbin.

Néanmoins, l’impact de Kalisher est aujourd’hui visible plus que jamais en Israël, grâce à la montée et à l’acceptation par le peuple israélien d’éléments jadis marginaux du sionisme religieux, qui ont été profondément influencés par les idées de rabbins comme Kalisher qui ont servi ces dernières décennies d’incubateur pour certains des éléments politiques les plus radicaux d’Israël.

Pendant ce temps, alors que le débat au sein du judaïsme sur le Mont du Temple a radicalement changé depuis le XIXe siècle, son importance dans l’Islam est restée inébranlable. Selon l’Imam Sayed Hassan Al-Qazwini, «Al-Aqsa est la troisième mosquée la plus sainte de l’islam… elle est considérée comme le lieu où le prophète Mahomet est monté au ciel et a été mentionnée dans le Quran, qui glorifie cette mosquée et l’identifie comme une mosquée bénie. Tous les musulmans, qu’ils soient sunnites ou chiites, vénèrent cette mosquée», un fait qui n’a pas changé depuis plus d’un millénaire et se poursuit encore aujourd’hui.

Le sionisme religieux gagne en force politique

L’essor moderne des mouvements religieux sionistes qui prônent la destruction de la mosquée Al-Aqsa et son remplacement par un troisième Temple juif remonte le plus souvent à la guerre des Six jours de 1967. Selon Miko Peled, qui a récemment écrit un article pour MintPress News concernant les menaces pesant sur Al-Aqsa, le «sionisme religieux» en tant que force politique est devenu plus évident après la guerre de 1967. Peled a déclaré à MintPress :

Après que le « cœur » de l’Israël biblique soit passé sous contrôle israélien, les sionistes religieux, auparavant marginalisés, considéraient comme leur mission de coloniser ces terres nouvellement conquises et, pour ainsi dire, à être les nouveaux pionniers. Ils ont pris en charge le travail des idéologues sionistes socialistes pour coloniser la Palestine et la débarrasser de sa population arabe indigène au cours des années qui ont précédé la création d’Israël et jusqu’au début des années 1950. Ils ont vu le «retour» de Hébron, Bethléem, Naplouse ou Shchem et, bien sûr, la Vieille Ville de Jérusalem, comme une intervention divine et c’était maintenant à leur tour de laisser leur empreinte. Cela a commencé avec un petit groupe de fanatiques messianiques qui ont forcé le gouvernement – qui était alors encore sioniste laïque après 1967 – à accepter leur existence dans les zones très peuplées de la Cisjordanie. C’est ainsi que fut créée la ville de Kiryat Arba [une colonie illégale en Cisjordanie occupée]. Il convient de noter que le gouvernement était heureux d’être forcé de le faire, c’est-à-dire, à partir d’un petit groupe que les gens considéraient comme des fous marginaux, bâtir une ville juive au cœur de la région d’Hébron.

Peled a en outre noté que ce modèle, utilisé par les groupes extrémistes religieux qui ont fondé des colonies illégales en Cisjordanie comme Kiryat Arba, « a été utilisé avec succès depuis et qu’il est maintenant utilisé par les groupes qui promeuvent le nouveau Temple à la place d’Al-Aqsa, mosquée de Jérusalem », a-t-il poursuivi, soulignant que « alors qu’ils étaient considérés comme un groupe marginal il y a 20 ou 30 ans, ils s’attendent à ce que plus de 50 000 personnes entrent dans la colonie pour soutenir le groupe et atteindre son objectif. Les jeunes Israéliens religieux qui décident de ne pas faire leur service militaire et choisissent le service national pourraient travailler avec les organisations de construction du [troisième] Temple. »

20180722_2_31571988_35847988_edited
Des colons extrémistes escortés par des Israéliens après avoir pris d’assaut le complexe de la mosquée Al-Aqsa le 22 juillet 2018. Mostafa Alkharouf | Anadolu

Le Dr. Ramzy Baroud – journaliste, universitaire et fondateur de The Palestine Chronicle– partage l’opinion de Peled selon laquelle les mouvements Third Temple, ou Temple Activist ont connu une croissance spectaculaire ces dernières années et sont devenus de plus en plus populaires en Israël. Baroud a déclaré à MintPress :

Il y a eu une augmentation massive du nombre de Juifs israéliens qui se sont introduits de force dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa pour prier et pratiquer divers rituels. Rien qu’en 2017, plus de 25 000 juifs ont visité l’enceinte – accompagnés de milliers de soldats et de policiers – provoquant de nombreux affrontements qui ont entraîné la mort et la blessure de nombreux Palestiniens. Depuis 2017, l’augmentation du nombre de Juifs visitant l’enceinte a été très significative par rapport à l’année précédente, alors qu’environ 14 000 Juifs avaient fait le même voyage.

Baroud a également noté :

Le mouvement militant des temples a fait beaucoup pour attirer la société juive israélienne au cours des dernières années. À un moment donné, c’était un mouvement sans importance, mais avec la montée de l’extrême droite en Israël, leurs idées, idéologies et aspirations religieuses font également partie du courant dominant israélien.

En conséquence, Baroud a affirmé :

[Il y a] un enthousiasme croissant chez les Juifs israéliens qui ne se produit certainement pas en marge de la société, mais fait vraiment partie du courant dominant, plus que jamais auparavant, pour prendre le contrôle de la mosquée al-Aqsa, la démolir et reconstruire le prétendu troisième Temple.

Cependant, le rabbin Weiss n’est pas d’accord avec Peled et Baroud sur le fait que cette faction constitue une menace réelle pour la mosquée, étant donné que sa destruction est largement rejetée par les Juifs de la diaspora – c’est-à-dire les Juifs vivant en dehors d’Israël – et que sa destruction causerait non seulement des conflits avec la communauté musulmane mondiale mais aussi avec de nombreuses communautés juives en dehors d’Israël.

Comme l’a dit le rabbin Weiss à MintPress :

Certains des plus grands et des plus religieux [i.e. les communautés juives ultra-orthodoxes] hors d’Israël, comme la deuxième plus grande communauté de juifs [ultra-orthodoxes] religieux à Williamsburg, Brooklyn [à New York] et aussi en Israël… s’opposent à ce concept de prise du Mont du Temple et d’autres idées connexes.

Weiss a fait valoir que beaucoup de ces sionistes religieux en Israël qui militent pour un nouveau Temple «ne suivent pas la loi juive à la lettre et ne proviennent pas des communautés très religieuses, y compris les colons… Ils ne vont pas dans des écoles expressément religieuses , ils vont dans les écoles sionistes. Toute leur vision est construite sur le sionisme et incorpore [secondairement] la religion». Selon Weiss, la destruction de la mosquée Al-Aqsa pourrait considérablement aliéner l’État d’Israël auprès de ces communautés plus religieuses et ultra-orthodoxes.

En outre, le rabbin Weiss a estimé que de nombreux Israéliens juifs et laïques rejetteraient également une telle démarche, car cela créerait encore plus de conflits dont beaucoup d’Israéliens ne veulent pas. Il a décrit les activistes du Temple comme « une minorité bruyante » qui représentait une « frange » parmi les adeptes du judaïsme et un groupe au sein du sionisme qui a essayé d’utiliser le Mont du Temple « afin de pouvoir excuser leur occupation et d’essayer de la présenter [l’occupation de la Palestine] en tant que conflit religieux », le conflit autour du Mont du Temple étant un prolongement de celui-ci.

Un policier israélien lève sa matraque sur les fidèles Palestiniens près de la mosquée Al Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem, le 27 juillet 2017. Mahmoud Illean / AP
Un policier israélien lève sa matraque sur les fidèles Palestiniens près de la mosquée Al Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem, le 27 juillet 2017. Mahmoud Illean / AP

Weiss a estimé que la tentative de s’emparer du Mont du Temple était une « tactique alarmiste » visant à garantir le caractère indéfini de l’occupation, et a noté que de nombreux Israéliens ne souhaitaient pas une recrudescence ou une reprise du conflit qui aurait inévitablement lieu si la mosquée était détruite. Il a également ajouté qu’il ne pensait pas qu’il y avait une « menace réelle » de ciblage de la mosquée, car les autorités rabbiniques internationales s’opposent fermement au projet promu par les activistes du Temple.

«Demain, il sera peut-être trop tard»

Ce n’est pas un hasard si le développement de l’activisme dans les temples et les mouvements associés tels que le «néosionisme» ont coïncidé avec la multiplication des menaces pesant sur la mosquée Al-Aqsa elle-même. Beaucoup de ces menaces peuvent être comprises à travers la doctrine développée par le rabbin Kalisher et d’autres au milieu du XIXe siècle – l’idée que des mesures «actives» doivent être prises pour assurer la reconstruction d’un Temple juif à Haram El-Sharif afin de provoquer la venue de l’Âge messianique.

En effet, durant la guerre de 1967, le général Shlomo Goren, grand rabbin de l’armée israélienne, avait déclaré au chef du commandement central, Uzi Narkiss, que peu de temps après la conquête par Israël de la vieille ville de Jérusalem, le moment serait venu de faire sauter la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher. « Faites ceci et vous entrerez dans l’histoire », a déclaré Goren à Narkiss. Selon le livre de Tom Segev de 1967, Goren estimait que la destruction du site ne pouvait se faire que sous le couvert de la guerre : « Demain, il sera peut-être trop tard ».

Goren a été l’un des premiers Israéliens à arriver dans la vieille ville de Jérusalem, récemment conquise. Il a été rejoint à l’enceinte Al-Aqsa, « libérée », par un jeune Yisrael Ariel, qui est désormais un des principaux dirigeants du mouvement activiste du Temple, et chef de file de l’Institut du Temple, voué à la construction d’un troisième Temple où se trouve actuellement la mosquée Al-Asqa.

Narkiss a rejeté la demande de Goren, mais a approuvé le démolition du quartier marocain de Jérusalem. Selon Mondoweiss, la destruction du quartier de Jérusalem, vieux de près de sept siècles, avait pour « but sacré » de rendre le mur occidental plus accessible aux Israéliens juifs. Quelque 135 maisons ont été rasées, ainsi que plusieurs mosquées et plus de 700 Palestiniens ont été ethniquement nettoyés dans le cadre de cette opération.

Suite à l’occupation de Jérusalem-Est, Al-Aqsa est de plus en plus menacée par la croissance des mouvements extrémistes qui cherchent à détruire le site. En 1969, un extrémiste chrétien australien, Daniel Rohan, a incendié la mosquée. Rohan avait étudié en Israël et, avant de commettre l’acte criminel, avait déclaré à Arthur Jones, étudiant en théologie américain, qui étudiait avec Rohan, qu’il était devenu convaincu qu’un nouveau Temple devait être construit à l’endroit où se trouve Al-Aqsa.

Puis, en 1984, un groupe d’extrémistes messianiques connu sous le nom de Jewish Underground a été arrêté pour avoir comploté d’utiliser des explosifs pour détruire Al-Aqsa et le Dôme du Rocher. Ehud Yatom, qui était un responsable de la sécurité et organisateur du complot et l’avait finalement déjoué, a déclaré à la chaîne israélienne Channel 2 en 2004 que la destruction prévue du site aurait été « horrible, terrible », ajoutant qu’elle pourrait entraîner « le monde musulman dans son ensemble [dans une guerre] contre l’État d’Israël et contre le monde occidental, une guerre de religions. »

Yehuda Etzion, ancien membre de Jewish Underground, emprisonné en 1984 pour avoir fait partie du complot de l’attentat à la bombe a, par la suite, écrit depuis sa prison, que l’erreur de son groupe n’était pas d’attaquer la mosquée, acte qu’il qualifiait d’« abominable » , mais d’avoir agi alors que la société israélienne n’accepterait pas un tel acte. « La génération n’était pas prête », a écrit Etzion, ajoutant que les sympathisants du mouvement Jewish Underground  « doivent constituer une nouvelle force qui croisse très lentement, déplaçant son activité éducative et sociale vers un nouveau leadership [politique, NdT] ».

« Bien sûr, je ne peux pas prédire si le Dôme du Rocher sera retiré du Mont pendant que le nouveau mouvement se développe ou après qu’il a pris le contrôle », a déclaré Etzion, « mais il est clair que le Mont sera purifié [des Sanctuaires islamiques] c’est une certitude… »

À sa sortie de prison, Etzion a fondé le mouvement Chai Vekayam (Vivant et Existant), décrit par Mersiha Gadzo, d’Al Jazeera, comme visant à «former l’opinion publique comme condition préalable à la construction d’un troisième Temple dans le complexe religieux de la vieille ville de Jérusalem où se trouvent la mosquée Al Aqsa et le Dôme du Rocher». Gadzo note également que « selon la croyance messianique, la construction du troisième Temple dans l’enceinte d’Al Aqsa – où les temples ont été construits il y a environ 2 000 ans précipiterait l’avènement du Messie. »

Six ans plus tard, un autre groupe appelé «Le Mont du Temple fidèle», dédié à la construction du troisième Temple, a provoqué ce que l’on a appelé le massacre d’Al-Aqsa en 1990 après que ses membres ont tenté de poser la pierre angulaire du troisième Temple sur le Mont du Temple / Haram El-Sharif, entraînant des émeutes au cours desquelles la police israélienne a tué plus de 20 Palestiniens et blessé environ 150 autres.

AP_9509270592_edited
Des traces de tache de sang marquent l’entrée de la mosquée Al Aqsa après que la police israélienne a ouvert le feu sur des fidèles palestiniens en 1996. Khaled Zighari | AP

Cela a été suivi par les émeutes de 1996 après qu’Israël a ouvert une série de tunnels creusés sous la mosquée Al-Aqsa que de nombreux Palestiniens craignaient de voir utilisés pour endommager ou détruire la mosquée. Ces préoccupations sont peut-être fondées, compte tenu de la participation du Premier ministre israélien d’alors et actuel, Benjamin Netanyahu, et des groupes d’activistes du troisième Temple à la création des tunnels et aux fouilles ultérieures menées près du site sacré, qui étaient et sont toujours décrites comme étant de nature « archéologique ». Lors de l’incident de 1996, 80 Palestiniens et 14 policiers israéliens ont été tués.

Certains archéologues israéliens ont fait valoir que ces tunnels n’avaient pas été construits à des fins archéologiques ou scientifiques et qu’il était fort peu probable qu’ils conduisent à de nouvelles découvertes. L’un de ces archéologues israéliens, Yoram Tseverir, a déclaré à Middle East Monitor en 2014 que «les affirmations selon lesquelles ces fouilles visent à trouver des informations scientifiques sont secondaires» et ont qualifié de «fausses» les fouilles, toujours en cours, parrainées par le gouvernement à Al-Aqsa. Lorsque des fouilles archéologiques à Al-Aqsa ont endommagé le Mur des Lamentations près de Al-Aqsa l’année dernière, un chœur d’éminents Palestiniens, dont le porte-parole du parti Fatah, a déclaré que le gouvernement israélien avait élaboré un plan de destruction de la mosquée.

Depuis 2000, la mosquée Al-Aqsa a été le théâtre d’incidents qui ont entraîné une nouvelle répression de la part de l’État d’Israël contre les Palestiniens à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de Jérusalem. En effet, la deuxième Intifada a été largement provoquée par la visite du candidat du Likoud à l’époque, Ariel Sharon, au poste de Premier ministre, qui est entré dans la mosquée Al-Aqsa sous une garde importante. Ofir Akounis, alors porte-parole du Likoud, a par la suite été cité par CNN, affirmant que le but de la visite de Sharon était «de montrer que, sous un gouvernement du Likoud, le [mont du Temple] resterait sous la souveraineté israélienne».

Cette seule visite de Sharon a entraîné cinq années de tensions exacerbées, la mort de plus de trois mille Palestiniens et celle d’environ une centaine d’israéliens, ainsi qu’une répression massive et toujours actuelle contre les Palestiniens vivant sous l’occupation israélienne et bloqués dans la bande de Gaza.

M. Ramzy Baroud a déclaré à MintPress que les politiciens israéliens planifiaient et utilisaient souvent les provocations de Sharon en particulier pour justifier la répression et les restrictions imposées aux Palestiniens. Il a soutenu :

[Certains politiciens israéliens puissants] se servent de ces provocations régulières à Al-Aqsa pour créer le genre de tensions qui augmente la violence en Cisjordanie et alors en profiter pour [à l’époque] mettre en œuvre toutes les politiques qu’ils envisagent. Ils savent exactement comment provoquer les Palestiniens et il n’y a aucune autre question aussi sensible et unificatrice dans la psyché palestinienne que la mosquée Al-Aqsa. Nous devons non seulement être conscients du fait que [les provocations à] la mosquée Al-Aqsa sont utilisées pour mettre en œuvre des plans archaïques et destructeurs [c’est-à-dire la destruction d’Al-Aqsa et la construction d’un troisième Temple] par certains éléments qui sont maintenant au cœur de la politique israélienne, mais aussi du fait que ce type de provocation est également utilisé pour mettre en œuvre des politiques plus larges concernant les Palestiniens ailleurs.

Le tambour bat fort

Bien que des efforts soient déployés depuis longtemps pour détruire la mosquée historique Al-Aqsa et le Dôme du Rocher, des incidents suggérant que les groupes influents d’Israël qui militent depuis longtemps pour la destruction de la mosquée se sont récemment multipliés et pourraient bientôt arriver à leurs fins. Cela reflète ce que Ramzy Baroud a décrit à MintPress : le soutien à la construction du Troisième Temple, où se situe actuellement Al-Aqsa, est désormais «plus important que jamais auparavant» dans la société israélienne.

Ce mois-ci, le 2 juin, un conseiller religieux de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Al-Habbash, s’est adressé aux médias sociaux pour avertir d’un « complot israélien contre la mosquée Al-Aqsa », ajoutant que « si les musulmans n’agissent pas maintenant [pour sauver le site]… le monde entier le paiera chèrement.”

La déclaration d’Al-Habbash a probablement été influencée par un événement troublant survenu le même jour sur le lieu sacré, lorsque la police israélienne a fourni une couverture aux colons extrémistes israéliens qui sont entrés illégalement dans l’enceinte pendant les derniers jours du mois sacré islamique du Ramadan. La police israélienne a utilisé du gaz au poivre et des balles en caoutchouc pour disperser les fidèles palestiniens rassemblés à la mosquée lors de l’une des fêtes les plus importantes de l’islam, tout en permettant à plus de mille Juifs israéliens de pénétrer dans l’enceinte. Quarante-cinq Palestiniens ont été blessés et plusieurs ont été arrêtés.

Bien que de telles visites provocatrices d’Israéliens juifs à Al-Aqsa aient eu lieu de plus en plus fréquemment au cours des dernières années, cet événement était différent car il a mis fin à un accord de longue date entre le gouvernement jordanien, qui gère le site, et Israël, qui n’autorise pas de telles visites sur le lieu pendant les grandes fêtes islamiques. En conséquence, la Jordanie a accusé le gouvernement israélien de « violations flagrantes » de cet accord en autorisant les visites de nationalistes religieux, qualifiées d ‘« intrusion provocatrice d’extrémistes ».

Moins d’une semaine après l’incident, Miri Regev, ministre israélienne de la Culture et des Sports, membre du parti Likoud dirigé par Netanyahu, a appelé un plus grand nombre de colons extrémistes à prendre d’assaut le Mont, déclarant : «Nous devons tout faire pour continuer à monter au Temple … Et j’espère que bientôt nous allons prier au Mont du Temple, notre lieu sacré.» De plus, Regev a également remercié le ministre israélien de la Sécurité intérieure, Gilad Erdan, et le chef de la police de Jérusalem d’avoir laissé les extrémistes colons entrer dans l’enceinte.

En 2013, Moshe Feiglin, alors membre du Likoud, a déclaré à la Knesset que le fait d’autoriser les Israéliens juifs à pénétrer dans l’enceinte n’était «pas une question de prière». «Les Arabes ne craignent pas que les Juifs prient Dieu. Pourquoi devraient-ils s’en soucier ? Nous croyons tous en Dieu», a déclaré Feiglin – qui dirige maintenant le parti Zehut, ou Identity, – en ajoutant : « La lutte concerne la souveraineté. C’est la vraie affaire ici. L’histoire ne concerne qu’une chose : la souveraineté. »

En d’autres termes, le Likoud et ses alliés idéologiques considèrent l’autorisation donnée aux Israéliens juifs de «prier» sur le site de la mosquée comme une stratégie visant à réduire le contrôle exercé par les Palestiniens et les Jordaniens sur le site. Les commentaires antérieurs de Feiglin confirment la prétention du rabbin Weiss, mentionnée plus haut dans le présent rapport, selon laquelle les fondements religieux et les appels religieux des activistes du Temple sont secondaires par rapport à l’aspect colonisateur – c’est-à-dire sioniste – du mouvement, qui cherche à éradiquer le Patrimoine palestinien et musulman du mont du Temple dans le cadre du projet sioniste en cours.

Feiglin, plus tôt cette année en avril, a appelé à la construction immédiate du troisième Temple, déclarant dans une conférence à Tel-Aviv : « Je ne veux pas construire un [troisième] Temple dans un ou deux ans, je veux le construire maintenant. » Le Times of Israel, rapportant les commentaires de Feiglin, a noté que le politicien israélien « jouissait d’une popularité croissante ».

Au début de ce mois-ci, peu de temps après les commentaires controversés de Miri Regev, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le maire israélien de Jérusalem, Moshe Leon, ont assisté à un événement. Une bannière présentant la ligne d’horizon de Jérusalem, avec le Dôme du Rocher ostensiblement absent. Bien que certains puissent qualifier cette retouche photo créative de pure hasard, ce n’est que le dernier d’une série d’incidents similaires dans lesquels des événements officiels ou des documents ont supprimé le bâtiment emblématique et, dans certains cas, l’ont remplacé par un Temple juif reconstruit.

photo-depicting-Jewish-temple-at-Al-Aqsa-Mosque
L’ambassadeur des États-Unis en Israël, David Friedman, pose avec une image du «troisième Temple», le 22 mai 2018. Israël Cohen | Kikar Hashabat

La veille de cet événement, la police israélienne avait arrêté trois membres du Comité de reconstruction de la mosquée Al-Aqsa, qui est supervisé par le gouvernement jordanien. Parmi les personnes arrêtées figuraient le chef du comité et son adjoint. Les trois hommes ont été arrêtés alors qu’ils effectuaient des travaux de restauration mineure dans une cour d’Al-Aqsa. L’autorité dirigée par la Jordanie a condamné les arrestations, pour lesquelles aucune raison officielle n’a été donnée, et a qualifié la démarche de la police israélienne «d’intervention dans le travail de reconstruction de ses hommes». Selon l’agence de presse palestinienne Safa, la police israélienne a également empêché l’entrée des outils nécessaires aux travaux de restauration sur le site, entravant ainsi la réalisation des travaux de maintenance.

En outre, une autre personnalité importante d’Al-Aqsa, Hanadi Al-Halawani, enseignante à l’école de la mosquée et surveillant depuis longtemps le site pour empêcher son occupation par les forces israéliennes, a été arrêtée à la fin du mois dernier.

Les arrestations d’autres membres importants du personnel d’Al-Aqsa se sont poursuivies ces derniers jours, notamment l’arrestation de sept résidents palestiniens de Jérusalem, y compris des gardiens de la mosquée, et leur interdiction ultérieure d’accéder au site. Les Palestiniens ont été arrêtés chez eux dimanche lors de raids matinaux et le motif officiel de leur arrestation reste flou. Tellement d’arrestations en si peu de temps ont suscité l’inquiétude que, si le nombre d’arrestations d’importants membres du personnel d’Al-Aqsa se poursuivait, certains incidents sur le site, tels que le mystérieux incendie qui a éclaté en avril dernier à Al-Aqsa alors que Notre-Dame en France était également en flammes, pourraient ne pas être gérés efficacement en raison du manque de personnel.

Peu après ces arrestations, 60 membres d’un groupe extrémiste de colons sont entrésdans l’enceinte d’Al-Aqsa sous la garde de nombreux policiers israéliens. L’agence de presse Safa a rapporté que ces colons avaient récemment été accompagnés par des agents des services de renseignements israéliens lors de leurs incursions sur le site.

Toutes ces récentes provocations et arrestations liées à la mosquée interviennent peu de temps après que le roi de Jordanie, Abdullah II, a déclaré publiquement fin mars qu’il avait récemment subi de fortes pressions pour renoncer à la garde de la mosquée et du site saint contesté sur lequel elle est construite. Abdullah II a promis de conserver la garde des sites chrétiens et musulmans à Jérusalem, y compris Al-Aqsa, et a refusé de préciser qui faisait pression sur lui au sujet du site. Cependant, ses commentaires sur cette pression pour céder le contrôle de la mosquée interviennent quelques jours à peine après sa visite aux États-Unis et sa rencontre avec le vice-président américain Mike Pence, un sioniste chrétien qui estime qu’un Temple juif doit remplacer Al-Aqsa pour accomplir la prophétie de la fin des temps.

En mai, un institut de recherche lié au gouvernement israélien, le Centre pour les affaires publiques de Jérusalem, a écrit qu’Abdullah II a failli être renversé à la mi-avril, quelques semaines à peine après avoir dénoncé publiquement les pressions externes pour que le contrôle d’Al-Aqsa soit abandonné. Le rapport indiquait qu’Abdullah II avait été la cible d’un « complot visant à saper son pouvoir », qui l’avait conduit à remplacer plusieurs membres éminents de son gouvernement. Ce rapport affirmait en outre que le complot visait à supprimer les obstacles au « Deal du Siècle » de l’administration Trump, soutenu par le gouvernement israélien.

L’année dernière, des politiciens israéliens ont cherché à demander le transfert de la responsabilité du site à l’Arabie saoudite, faisant craindre que cela ne soit lié aux projets de certains militants du troisième Temple de retirer la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem et de la transférer pièce par pièce dans la ville saoudienne de la Mecque. Jeudi, le Centre pour les affaires publiques de Jérusalem a publié un article affirmant que des « changements tectoniques » étaient en cours en ce qui concerne le contrôle d’Al-Aqsa, un groupe politique, financé par l’Arabie saoudite, faisant des intrusions spectaculaires qui pourraient bientôt changer le pays qui contrôle la mosquée historique.

Sayyed Hassan Al-Qazwini a déclaré à MintPress que, selon lui, l’actuel régime de surveillance par le gouvernement jordanien n’est pas idéal, car le contrôle de la mosquée Al-Aqsa « devrait être entre les mains de son peuple, et la mosquée Al-Aqsa appartient à la Palestine. » Sinon, à tout le moins, un comité de nations à majorité musulmane devrait être formé pour régir le lieu saint en raison de son importance. Al-Qazwini a déclaré à MintPress que « les Saoudiens ne sont pas qualifiés, car ils ne sont même pas capables de gérer les sites sacrés en Arabie saoudite. Chaque année, il y a une tragédie et de nombreux pèlerins meurent pendant le pèlerinage islamique annuel du hadj.”

Autrefois à la marge, maintenant proche du consensus

La menace qui pèse sur la mosquée Al-Aqsa et le complexe du Dôme du Rocher, troisième site sacré de l’islam et d’une importance capitale pour trois grandes religions du monde, est le résultat de la croissance spectaculaire de ce qui était autrefois un mouvement marginal d’extrémistes. Après la guerre des six jours, ces éléments marginaux se sont battus pour s’intégrer davantage au sein d’Israël et ont cherché à obtenir le soutien international de leur vision colonialiste et religieuse, en particulier aux États-Unis. Comme le montre cet article, les menaces pesant sur Al-Aqsa se sont considérablement accrues au cours des dernières décennies, puis au cours des dernières semaines.

Comme l’ancien membre du mouvement Jewish Underground, Yehuda Etzion, l’avait demandé, il y a plusieurs décennies, un mouvement éducatif et social visant à gagner de l’influence auprès des dirigeants du gouvernement israélien a largement réussi à obtenir le consentement de nombreux Israéliens religieux et laïcs pour la construction d’un troisième Temple. Ce mouvement a connu un tel succès que de nombreux politiciens israéliens puissants et influents, en particulier depuis les années 1990, ont non seulement ouvertement défendu ces convictions et la destruction de la mosquée Al-Aqsa et du Dôme du Rocher, mais ont également détourné des quantités importantes de financements publics vers les organisations dédiées au remplacement de la mosquée historique par un nouveau Temple.

Comme le montreront les épisodes suivants de cette série, ce mouvement a acquis de puissants alliés, non seulement au sein du gouvernement israélien, mais parmi de nombreux chrétiens évangéliques aux États-Unis, y compris des personnalités de l’administration Trump qui estiment également que la destruction d’Al-Aqsa et la reconstruction d’un Temple juif est une condition préalable à l’accomplissement de la prophétie, bien que différente. De plus, étant donné l’influence de tels mouvements sur les gouvernements israélien et américain, ces convictions de messianisme actif influent également les politiques clés de ces mêmes gouvernements et ainsi poussent le monde vers une guerre dangereuse.

Whitney Webb

 

Article original en anglais :

In Israel the Push to Destroy Jerusalem’s Iconic Al-Aqsa Mosque Goes Mainstream

MintPress News, le 24 juin 2019

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

Whitney Webb est une journaliste de MintPress News basée au Chili. Elle a collaboré avec plusieurs médias indépendants, notamment Global Research, EcoWatch, le Ron Paul Institute et 21st Century Wire, entre autres. Elle a fait plusieurs apparitions à la radio et à la télévision et est la lauréate 2019 du prix Serena Shim pour son intégrité sans compromis dans le journalisme.



Articles Par : Whitney Webb

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]