En pleine récession économique, de nouveaux blindés pour le Canada

Les craintes que nous avons exprimées concernant le processus du recyclage des plans de sauvetage financier dans le réarmement planétaire (mondialisation.ca) viennent de se concrétiser au Canada avec l’annonce d’un investissement majeur de cinq milliards de dollars dans le secteur de la défense dévoilé par le ministre Peter Mackay le 8 juillet dernier (Castonguay, 2009).
Cette somme servira à l’acquisition de 108 à 138 véhicules de combat approché ou véhicules blindés pour l’armée de terre et pour la modernisation de 550 blindés légers VBLIII existants (photo 1) «rendus hors d’usage en raison des conditions extrêmes (qui prévalent sur le champ de bataille) de Kandahar, avec la poussière, les variations de température et les attentats» (Castonguay, 2009).
Photo 1. VBL III. Véhicule blindé léger
Source: http://www.armee.gc.ca/land-terre/Images/2_0/48.jpg
Alors que nous savons, pour le moment, que le déficit budgétaire cumulatif appréhendé et annoncé du gouvernement fédéral devrait dépasser les 155 milliards de dollars en 2014 et tandis que les besoins sociaux augmentent considérablement en raison de la hausse du taux de chômage dans le cadre d’un environnement économique global rempli d’incertitudes le gouvernement Harper a profité du moment où l’attention était tournée vers le Sommet de l’Aquila en Italie pour communiquer cette nouvelle au public canadien.
I. Des dépenses difficiles à justifier
Ce programme majeur de modernisation des équipements militaires de l’armée canadienne s’avère difficile à justifier et c’est sur le bout des lèvres que le ministre en a fait l’annonce. Les nouveaux blindés de même que ceux que l’on remettra à neuf seraient conçus pour remplacer ceux qui sont utilisés en Afghanistan et ne seront disponibles qu’à partir de 2012 et 2013 alors que le Canada devrait mettre un terme à son aventure belliqueuse en Asie centrale en 2011. Alors pourquoi des dépenses d’une telle ampleur et pourquoi maintenant? Les réponses du ministre sont restées très vagues en laissant entendre que ces équipements pourraient servir dans des conflits semblables à la guerre d’occupation de l’Afghanistan. Ainsi, le Canada se prépare à servir sous d’autres fronts de guerre en se montrant fidèle à ses engagements envers l’OTAN et fait preuve d’une obéissance exemplaire aux pressions exercées par le lobby des industries de la défense, car comme l’indique le ministre ces investissements seront bénéfiques pour l’économie des provinces.
De plus, il est vraisemblable de penser que le Canada a pu s’inspirer largement de l’Agenda caché des pays membres du G8 à l’Aquila qui a mis l’accent sur les moyens de relancer l’économie mondiale en fonction de leurs intérêts. Dans ce contexte, il est permis de croire qu’une augmentation des exportations d’armements constitue certes un atout précieux quand on sait que cinq d’entre eux sont les plus grands fournisseurs d’armements dans le monde. En effet, les États-Unis avec 47%, le Japon avec 5%, le Royaume-Uni avec 4%, la France avec 4% et la Chine avec 4% forment ce Club sélect qui contrôlaient plus de 64% des 1 130 milliards de dollars qu’a représenté le commerce international des armements en 2006 (http://www.degerencia.com/actualidad.php?actid=17834). Les trente conflits armés qui se poursuivent en 2009, des tensions interétatiques croissantes au Moyen-Orient et en Amérique latine et le processus de réarmement d’un grand nombre de pays génèrent un marché assuré pour leur production.
Pendant que les membres du G8, en Italie, mesuraient l’ampleur potentielle de la demande en armements les appels répétés qui leur ont été adressés pour que les priorités du développement mondial soient dirigées vers les régions et les secteurs les plus affectés par la crise économique ont reçu de leur part très peu d’attention. Dans les dernières heures de la rencontre une somme de 20 milliards de dollars sur trois ans (un peu plus de 6.6 mlliards par année) a été collectée (non sans peine) pour lutter contre la faim, un prix de consolation pour les pays pauvres: «Les 20 milliards sont vraiment une bonne chose, estime Actionaid. Mais il en faudrait trois fois plus» alors qu’un milliard de personnes souffrent de la faim (Le Temps) et (cyberpresse.ca).
Cette somme allouée à la sécurité alimentaire est dérisoire quand on pense que les dépenses militaires mondiales dépasseront probablement les 1 500 milliards de dollars en 2009 et quand on estime que les pays pauvres devaient assurer en 2007 un transfert net de 18,9 milliards de dollars aux pays industrialisés, ce montant étant un transfert net sur la dette extérieure publique à long terme (mondialisation.ca).
Nous donnons ici, pour illustrer nos propos, les données d’un seul contrat d’armement, soit celui concernant la production des avions de chasse Lockheed F-22 Raptor usinés aux États-Unis et entrés en service en décembre 2005 (photo 2), un contrat correspondant à un «investissement» de 70 milliards de dollars. En 2006, chaque unité coûtait 360 millions de dollars en incluant les coût de R&D (wikipedia). Or, le parc mondial d’avions de combat est estimé emtre 28 000 et 29 000 appareils dont 5 800 aux États-Unis (strategy page.com).
Photo 2. Avion de chasse Lockheed F-22 Raptor
Source: http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Lockheed_Martin_F-22.jpg
II. Répondre aux recommandations du rapport du Forum Humanitaire sur « l’impact humain du changement climatique»
Des investissements dans le domaine de la défense créent peu d’emplois alors que les taux de chômage s’acheminent vers des sommets historiques. Des ressources pour la guerre et ses préparatifs qui devraient plutôt soulager l’état de pauvreté qui affecte les populations les plus marginalisées et de plus en plus fragilisées par les changements climatiques. En effet, selon les données du rapport du Forum Humanitaire sur «l’impact humain du changement climatique» lancé à la fin du mois de mai dernier, on calcule que plus de 325 millions de personnes les plus pauvres de la planète sont sérieusement affectées par les changements climatiques pour des coûts totaux de l’ordre de 125 milliards de dollars par année: «C’est plus que le montant actuel de l’aide de tous les pays industrialisés aux pays en développement» selon le rapport (http://www.ghf-geneva.org/OurWork/RaisingAwareness/HumanImpactReport/tabid/180/Default.aspx). Selon Greenzer commentant le même rapport, 99% des victimes du réchauffement climatique vivent dans les pays en voie de développement. Or, les 50 pays les moins avancés contribuent à moins de 1% des émissions mondiales de CO2 (greenzer.fr).
De plus, on estime que les changements climatiques sont responsables, à chaque année, du décès de 300 000 personnes à cause des atteintes à la santé et à la baisse des taux de productivité de l’agriculture et c’est en Afrique sub-saharienne que l’on retrouve le quart des dommages globaux, ce continent étant déjà vulnérable aux aléas de la sécheresse et des inondations. On prévoit que les rendements agricoles de cette région fléchiront de moitié vers 2020 (ghfgeneva.org).
Des dizaines de milliards de dollars seraient donc requis immédiatement pour soulager l’état de pauvreté endémique que connaissent les pays du continent africain.
Conclusion
Nous assistons à un scénario bien connu: Des investissements majeurs pour la guerre en pleine tourmente économique. Quelques deniers pour les pays pauvres et aussi moins de ressources pour les pauvres des pays riches.
Le gouvernement du Canada a mis le pied dans ce processus de réarmement du pays en mai 2008 avec la présentation de son plan de défense «Le Canada d’abord» en rencontrant très peu d’opposition tant de la part des partis politiques que de celle de la société civile. Il a inscrit peu à peu la logique de guerre à l’intérieur de l’économie canadienne en justifiant sans cesse ces dépenses militaires par sa participation à la «mission» de la Coalition en Afghanistan, participation qui, nous osons l’espérer, devrait officiellement prendre fin en 2011. Par la suite, d’autres raisons seront invoquées et les menaces à la souveraineté du Canada dans l’Arctique reviendront sans doute à la surface.
Références
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AFP. 2009. Triste cap franchi: un milliard d’affamés. Le 19 juin 2009. En ligne: http://www.cyberpresse.ca/international/200906/19/01-877180-triste-cap-franchi-un-milliard-daffames.php
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CASTONGUAY, Alec. 2009. Cinq milliards pour l’armée de terre. Le gouvernement Harper confirme la modernisation de son parc de blindés. Journal Le Devoir, le 9 juillet 2009. En ligne: http://www.ledevoir.com/2009/07/09/258374.html
CASTONGUAY, Alec. 2009. Forces canadiennes. Des missions de paix à la guerre. Les achats annoncés par Ottawa indiquent que l’armée canadienne se prépare à des missions violentes. Journal Le Devoir, les 11 et 12 juillet 2009. En ligne: http://www.ledevoir.com/2009/07/11/258631.html
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Sites Internet
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http://armstrade.sipri.org/arms_trade/trade_register.php
Exportations des USA : http://armstrade.sipri.org/arms_trade/values.php
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Jules Dufour, Ph.D., est président de l’Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU) /Section Saguenay-Lac-Saint-Jean, professeur émérite à l’Université du Québec à Chicoutimi, membre du cercle universel des Ambassadeurs de la Paix, membre chevalier de l’Ordre national du Québec.