En quête de nouvelles preuves du caractère politique du procès d’Assange

La journaliste italienne Stefania Maurizi se bat pour récupérer des courriels manquants qui pourraient révéler la motivation politique derrière les poursuites contre l'ancien éditeur de Wikileaks.

Un tribunal britannique doit décider s’il faut ordonner au Crown Prosecution Service (CPS) du gouvernement de prouver qu’il a supprimé des courriels qui auraient pu dissimuler d’autres preuves de poursuite à motivation politique contre Julian Assange.

Les trois juges ont entendu les arguments le 24 septembre dans la saga de la liberté d’information qui dure depuis près d’une décennie concernant les courriels qui, selon les principaux procureurs britanniques, ont été supprimés.

Ils impliquaient un échange avec la Suède lors de la tentative d’un procureur suédois, à partir de 2010, d’extrader l’éditeur de Wikileaks.

Assange était recherché en Suède pour être interrogé dans le cadre d’une enquête préliminaire sur des allégations d’inconduite sexuelle, qui a été abandonnée à trois reprises, et définitivement en 2017. Il n’a jamais été inculpé. Après avoir perdu sa bataille contre son extradition vers la Suède devant la Cour suprême du Royaume-Uni, Assange s’est réfugié à l’ambassade d’Équateur en juin 2012, craignant que la Suède ne l’envoie aux États-Unis.

Assange a passé sept ans à l’ambassade pour se protéger d’une arrestation par la police britannique jusqu’en avril 2019, lorsque la police l’a extrait manu militari de la mission diplomatique, et l’a incarcéré dans la prison de sécurité maximale de Belmarsh à Londres.

Ce n’est que lorsque les États-Unis ont réalisé qu’ils perdraient en appel après une bataille d’extradition de quatre ans que le ministère de la Justice a conclu un accord de plaidoyer avec Assange, qui a été libéré le 24 juin pour rentrer dans son Australie natale.

Assange a été inculpé aux États-Unis en vertu de la loi sur l’espionnage pour avoir possédé et publié des informations classifiées révélant des preuves de crimes de guerre américains.

La Grande-Bretagne a joué un rôle actif dans les poursuites contre Assange. Son Crown Prosecution Service a tenté d’empêcher la Suède de se rendre à l’ambassade pour l’interroger.

Stéfania Maurizi. (X/Twitter)

Cherchant à en savoir plus sur le rôle de la Grande-Bretagne contre Assange, la journaliste d’investigation italienne Stefania Maurizi a d’abord fait une demande en vertu de la loi sur la liberté d’information (FOIA) en 2015 pour tous les courriers électroniques entre les gouvernements britannique et suédois concernant Assange.

Certains des courriels qu’elle a obtenus ont montré une motivation politique de la part du procureur britannique en chef, Paul Close. Un courriel du parquet suédois (SPA) révélé que M. Close semblait faire pression sur les procureurs suédois pour qu’ils continuent de requérir l’extradition d’Assange au lieu d’abandonner l’affaire, ou de l’interroger à l’ambassade d’Équateur, où Assange avait obtenu l’asile.

“Je n’ai pas changé d’avis : selon moi, il ne serait pas prudent pour les autorités suédoises de tenter d’interroger l’accusé [Julian Assange] au Royaume-Uni”,

a écrit M. Close à la SPA en 2011, selon l’un des courriels obtenus par Maurizi.

“Ne vous dégonflez pas!!!”, a-t-il écrit à Marianne Ny, directrice des poursuites publiques de Suède, en 2012. Un an plus tard, Close écrivait : “Soyez consciente que cette affaire n’est pas traitée comme une simple extradition.”

Après que Mme Maurizi ait remarqué des lacunes importantes dans les courriels qui lui ont été communiqués, elle a déposé une autre FIOA cherchant à obtenir les courriels manquants.

Le CPS a d’abord affirmé avoir détruit les courriels. Il a ajouté que lorsque Close a pris sa retraite, son compte ainsi que ses courriels ont été automatiquement détruits.

Mais Mme Maurizi n’a pas été dupe. Elle a demandé au tribunal, lors de l’audience du mois dernier, d’ordonner au CPS de lui remettre des “métadonnées” – des données sur les données, telles que les dates de création et de modification des fichiers, les adresses des expéditeurs et des destinataires des e-mails, les horodatages, les informations de routage des e-mails, les mots-clés et l’intitulé des courriels – prouvant que les e-mails ont vraiment été supprimés, et quand.

“Nous n’avons aucune certitude” que les e-mails ont été détruits, a écrit Mme Maurizi dans un message adressé à Consortium News. Elle estime que les courriels prétendument supprimés pourraient fournir des preuves supplémentaires d’une poursuite politiquement motivée contre Assange.

Elle souhaite également obtenir des métadonnées sur un document du CPS datant de 2012, expliquant la politique de suppression des e-mails du CPS ne lui a été communiqué qu’en 2023.

Le document de politique supposé de 2012 stipule que 30 jours après la désactivation d’un compte de messagerie, les “données de messagerie” qui lui sont associées “seront automatiquement supprimées et ne seront plus accessibles”.

“Comment est-il possible qu’ils n’aient fourni ce document qu’en 2023, après de multiples demandes, de multiples recours, personne n’en a jamais parlé ou n’en a eu connaissance ?”, a déclaré Mme Maurizi.

Une telle politique n’explique pas pourquoi des milliers de courriels liés à une affaire en cours seraient supprimés.

Afin de déterminer si le document de 2012 sur les suppressions est authentique, Mme Maurizi a réclamé les métadonnées pertinentes du fichier. Elle veut s’assurer qu’il n’a pas été créé des années plus tard dans le but de justifier rétroactivement la suppression des courriels de Close.

“Quand, comment et pourquoi” les e-mails ont-ils été supprimés ?

Mme Maurizi, qui s’est rendu à Londres depuis Rome pour assister à l’audience du 24 septembre au Tribunal de première instance conteste le refus persistant du CPS à répondre de manière adéquate à sa demande FOIA de décembre 2019 concernant les courriels manquants.

“[Le CPS] n’a pas recherché d’informations concernant la suppression du compte”, a déclaré Mme Maurizi à Consortium News, à la fin de l’audience.

“Il doit y avoir une correspondance concernant les suppressions. Lorsque nous avons demandé ces informations, ils ont dit que tout avait été fait selon la procédure habituelle.”

Deborah Hillary, responsable de la gestion des services au CPS, a témoigné lors du contre-interrogatoire à l’audience que le CPS ne lui avait jamais demandé de retrouver les informations sur le système qui expliqueraient “quand, comment et pourquoi les courriels de l’avocat du CPS, M. Paul Close, ont été supprimés”.

Au lieu de cela, Mme Hillary a simplement été invitée à rechercher des directives politiques relatives à la suppression de comptes de messagerie. Il s’agissait du document de 2012 qui aurait été envoyé à Maurizi l’année dernière.

Estelle Dehon KC, qui représentait Maurizi à l’audience, a fait valoir que le témoignage de Mme Hillary prouve clairement que le CPS n’a pas effectué de recherche appropriée des informations requises par Maurizi en 2019, à savoir toute information relative aux circonstances qui ont entraîné la suppression des e-mails de M. Close.

Des explications insuffisantes

(David Pearson, CC BY-SA 2.0, Wikimedia Commons)

L’avocate de Mme Maurizi a soutenu qu’il n’est tout simplement “pas crédible”que M. Close n’ait ni envoyé ni reçu de courriers électroniques aux procureurs suédois lorsque la Suède a émis le mandat d’arrêt contre Assange, lorsqu’Assange s’est réfugié à l’ambassade et lorsqu’il a obtenu l’asile en Équateur.

“Il n’a jamais été établi que les vides laissés dans le dossier comportaient quelque chose de suspect, ni que des courriels étaient passés sous silence”,

a plaidé Rory Dunlop KC, au nom de l’autorité de poursuite, lors de son réquisitoire.

“Le CPS tient à préciser que cette question n’a jamais été abordée et qu’elle n’a jamais été tranchée d’une manière ou d’une autre”,

a-t-il insisté. Le CPS a changé de version quant à la suppression du compte de M. Close au fil des ans, en réponse aux requêtes de la FOIA et aux appels interjetés.

Par exemple, en 2017, après que Maurizi a contesté la lacune dans les courriels, un employé du CPS a déclaré dans une déclaration de témoin que “s’il y a jamais eu d’autres courriels, ils n’ont été ni imprimés ni archivés” et par conséquent “ne sont plus en possession du CPS”.  

Selon un article de Mme Maurizi dans le quotidien italien Il Fatto Quotidiano qinq ans plus tard, le CPS a déclaré en réponse à une demande distincte de la part du député travailliste John McDonnell que

“la suppression d’un compte de courrier électronique d’un ancien membre du personnel de l’époque n’entraîne pas la suppression des courriers électroniques conservés dans le dossier”.

Le CPS a également concédé à M. McDonnell qu’il n’avait connaissance que d’un seul autre cas au cours de la dernière décennie qui a entraîné la destruction prématurée de documents de l’affaire, selon l’article de Maurizi.

L’audience du 24 septembre a également confirmé que la procédure concernant les dossiers du CPS stipule que la correspondance générale “doit être conservée dans le dossier dans les cinq ans à compter de la date de la correspondance la plus récente”, ce qui ne permettrait pas sa suppression lors du départ à la retraite du procureur de l’affaire.

Les métadonnées relèvent-elles du champ d’application de la FOIA ?

Le CPS et le Information Commissioner’s Office (ICO), l’organisme britannique chargé de défendre les droits à l’information, affirment tous deux que les métadonnées ne relèvent pas du champ d’application des demandes FOIA, et que permettre au public de demander des métadonnées aux autorités publiques serait trop onéreux.

Mme Maurizi est convaincue que le tribunal lui donnera raison et que les métadonnées sont clairement des informations qui peuvent être obtenues en vertu de la loi sans grandes difficultés. Si elle obtient gain de cause, les futures demandes de FOIA pourront également exiger des métadonnées si et quand le demandeur les estime utiles.

Mme Hillary, qui a été appelée à témoigner pour le CPS, a librement admis au tribunal qu’elle pouvait facilement fournir les métadonnées demandées par Maurizi et qu’elle serait heureuse de le faire, à condition que toute information permettant d’identifier des individus soit expurgée.

Le tribunal examinera également s’il faut “ordonner au CPS de procéder à une recherche appropriée et complète des informations” quant au “quand, comment et pourquoi” Les milliers de courriels auraient été supprimés alors que l’affaire d’extradition d’Assange vers la Suède était encore en cours.

Aucune date n’a encore été fixée pour l’annonce de la décision du tribunal.

Joe Lauria à Washington et Mohamed Elmaazi à Londres,

Spécial pour Consortium News, le 23 octobre 2024

 

Article original en anglais :

https://consortiumnews.com/2024/10/23/fighting-for-more-evidence-of-assanges-political-prosecution/

Traduction : Spirit of Free Speech

Image en vedette : Julian Assange, le 1er octobre, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui le reconnaît comme prisonnier politique. (Capture d’écran de la vidéo de l’APCE)



Articles Par : Joe Lauria et Mohamed Elmaazi

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