Enquête sur les femmes autochtones: des constats plus qu’inquiétants

Cet article a été publié initialement le 3 octobre 2017.
Le passage devant la Chambre des communes, le 21 septembre dernier, des commissaires de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues soulève, à notre avis, beaucoup plus d’inquiétudes qu’il ne rassure. Les propos de la commissaire en chef, Marion Buller, sont alarmants. Après une année complète d’enquête, 75 % du budget de dépensé, une équipe incomplète de presque 60 employés et un ordre du jour encore flou, les commissaires demandent deux années additionnelles et, inévitablement, une augmentation de leur budget actuel. Malgré l’imminence du dépôt d’un rapport intermédiaire, cet automne, pas un mot ne fut prononcé sur les causes de la violence coloniale que vivent les femmes autochtones. Pour rendre les choses encore plus confuses, la commissaire Buller laissa sous-entendre que les causes de cette violence sont liées aux femmes elles-mêmes, car celles-ci vivent dans « l’extrême pauvreté », loin des grands centres, et ont eu accès à une « éducation inadéquate ».
La Commissaire en chef de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, Marion Buller, à Vancouver le 6 juillet 2017. Photo : Radio-Canada Source : Ici Radio-Canada
La violence coloniale est un outil de génocide. Aujourd’hui, une femme autochtone court cinq fois plus de risques d’être victime d’une mort violente que les autres femmes au Canada. La violence coloniale est un dispositif d’anéantissement d’un groupe particulier qui se démarque de la société dominante par des caractéristiques culturelles et physiologiques différentes. Le racisme est le principal véhicule de cette violence. Ce type de violence vise les femmes autochtones parce qu’elles sont autochtones, et non parce qu’elles vivent dans la pauvreté, qu’elles habitent loin des services ou qu’elles sont moins éduquées que la moyenne des femmes. Bien au contraire, la violence coloniale est la raison principale derrière l’extrême pauvreté des communautés et la difficulté d’avoir accès à des établissements scolaires et à des soins d’urgence.
La violence sexuelle est un outil ayant historiquement été utilisé afin de hiérarchiser les relations entre les femmes et les hommes et d’assurer le règne patriarcal inspiré des sociétés européennes chrétiennes. À leur arrivée en Amérique, les Jésuites se plaignaient que les hommes autochtones ne savaient pas châtier leurs conjointes. La violence coloniale et sexuelle continue d’être orientée vers les femmes autochtones aujourd’hui. Elle se vit partout dans la société. Elle est également partie prenante des institutions qui sont censées protéger les femmes : les gouvernements provinciaux et fédéral, le système de santé, les institutions judiciaires et la police. Elle est également et en grande partie expérimentée dans les centres urbains et touche les femmes autochtones de tous les âges et de différentes conditions économiques et sociales.
Double mandat
Ces questions sont excessivement complexes et délicates. Contrairement à la Commission de vérité et réconciliation, qui étudiait spécifiquement la question des écoles résidentielles et leurs impacts intergénérationnels, la commission actuelle a un double mandat. Elle doit étudier d’un côté les causes actuelles de la violence orientée vers les femmes et les filles autochtones et, de l’autre, examiner comment les institutions les plus importantes du pays participent aux statistiques alarmantes touchant le haut taux d’assassinats et de disparitions de ces dernières.
Jusqu’à maintenant, plusieurs irrégularités ont été dénoncées par les familles, les élus, les experts et les médias. Mentionnons notamment les démissions médiatisées et celles qui sont passées sous silence, le manque de transparence, les problèmes internes au sein de la commission, l’indépendance des commissaires maintes fois soulevées et un plan de travail encore flou après un an. À ces constats, les commissaires répondaient que les problèmes administratifs et logistiques (manque d’ordinateurs et connexion Internet fuyante) étaient les principales raisons expliquant la lenteur et la désorganisation interne de la commission. Cet été, l’Association canadienne des femmes autochtones, plusieurs associations regroupant des familles et des juristes demandaient la démission des commissaires et la mise en place d’une nouvelle équipe avec un mandat plus clair et un programme défini. Le 25 septembre, c’était au tour de l’équipe éditoriale du Toronto Star de demander au gouvernement de nommer de nouveaux commissaires et de recommencer la commission sur de nouvelles bases. Au Québec, la situation est d’autant plus confuse pour les familles souhaitant témoigner qu’une autre commission, la commission Viens, mène une enquête parallèle sur le racisme systémique.
Nous croyons qu’il est temps de se rendre à l’évidence : la question de la violence coloniale au Canada est d’une rare complexité et requiert une équipe multidisciplinaire déjà familiarisée avec cette question. Les familles attendent déjà depuis longtemps de pouvoir trouver des réponses à des deuils qui n’ont jamais été faits, et la commission n’a pas été en mesure de rassurer les familles touchées ou le public sur sa capacité à mener son mandat à terme. Le constat est clair, il faut repenser le processus au complet, et ce, avec une nouvelle équipe avant de créer encore plus de souffrances et de méfiance envers les institutions canadiennes.
Nawel Hamidi et Pierrot Ross-Tremblay
Nawel Hamidi et Pierrot Ross-Tremblay : respectivement avocate et doctorante à l’Université d’Essex et professeur à l’Université Laurentienne de Sudbury