Entretien avec quatre médecins chinois à l’épicentre de la pandémie à Wuhan

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Le South China Morning Post, basé à Hong Kong, arapporté le mois dernier qu’un homme de 55 ans pouvait avoir attrapé une nouvelle infection de coronavirus le 17 novembre 2019. Cet individu est le premier cas confirmé de COVID-19, mais les autorités pensent qu’il n’était pas le patient-zéro. Le prochain cas confirmé est apparu le 1er décembre 2019, mais n’avait aucun lien avec le Marché de fruits de mer de Huanan situé à Wuhan. La chaîne de télévision publique chinoise CCTV a rapporté le 9 janvier 2020 que l’éclosion avait été détectée pour la première fois à Wuhan le 12 décembre. Des cas de maladies de pneumonie atypique sont apparus dans les hôpitaux locaux.

Hôpital de Jinyintan, l’un des premiers hôpitaux à admettre des patients atteints de maladies infectieuses souffrant d’une pneumonie atypique

Les fluides prélevés dans les poumons de ces patients admis aux unités de soins intensifs (USI) ont été évalués à l’Institut de virologie de Wuhan. Six des sept patients de l’USI étaient des vendeurs ou des livreurs travaillant au marché. Le 21 décembre, le Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies a publié son rapport sur un groupe de patients atteints d’une «pneumonie de cause inconnue».

Alors que des patients ayant eu contact avec le marché étaient de plus en plus admis pour une maladie grave semblable à une pneumonie, le comité municipal de la santé de Wuhan a publié un avis urgent le 30 décembre sur son compte de médias sociaux Weibo. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été informée de 27 cas suspects, dont sept dans un état critique. À ce moment, la séquence génétique du pathogène était considérée à tort comme indiquant qu’il s’agissait d’un coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

De nombreux médecins ont partagé ces informations sur Internet, y compris le Dr Li Wenliang, un ophtalmologiste à l’hôpital central de Wuhan, qui a envoyé un avertissement à ses collègues de l’école de médecine via un groupe WeChat. Lorsque son poste est devenu viral, il a été sévèrement réprimandé par les autorités pour avoir «fait de faux commentaires» et «perturbé gravement l’ordre social» et contraint de signer des aveux. Il a contracté l’infection le 12 janvier et est décédé le 7 février.

Le 1er janvier, les autorités chinoises ont fermé le marché des fruits de mer de Huanan. Le 2 janvier, 41 patients ont été hospitalisés pour des infections confirmées en laboratoire. Ils ont été transférés à l’hôpital Jinyintan à Wuhan.

Les scientifiques chinois de l’Institut national de la prévention de maladies virales ont déterminé la séquence génétique du nouveau virus le 3 janvier, le nommant 2019-nCoV. Les autorités sanitaires ont été alarmées par le bond soudain des cas signalés, dont beaucoup étaient gravement malades. Aucun décès n’avait été signalé, mais les personnes avec qui ils ont été en contact étroit ont été surveillées. Par ailleurs, le directeur du Centre de la prévention de maladies (CDC) américain, Robert Redfield, a alerté le même jour le secrétaire américain à la Santé et aux Services sociaux, Alex Azar, sur ses discussions avec des médecins chinois sur le virus.

Le Centre d’infection de Hong Kong a averti que la ville devrait commencer à mettre en place une surveillance stricte contre une nouvelle pneumonie virale qui se propageait d’homme à homme. Le ministère de la Santé de Singapour a été informé d’une fillette chinoise de trois ans atteinte de pneumonie et ayant voyagé à Wuhan. Le jeune enfant a été testé négatif pour le SRAS et le MERS-CoV.

Une équipe de soignants examine un patient

Le 7 janvier, les autorités chinoises supprimaient toutes les informations publiées par les médias sociaux sur l’épidémie. Le CDC américain a émis un avis de voyage déconseillant Wuhan. En Corée du Sud, les autorités sanitaires ont placé une Chinoise de 36 ans en isolement après son retour de Wuhan avec des symptômes de toux et de fièvre. L’Organisation mondiale de la santé a confirmé qu’un nouveau coronavirus avait été isolé le 9 janvier. Le premier décès a également été confirmé: un homme de 61 ans qui était un client régulier du marché de fruits de mer. Il avait de multiples conditions médicales, dont une maladie chronique du foie.

Le 13 janvier, des virologues chinois avaient publié la séquence du génome du virus sur la base de données des séquences génétiques du NIH, GenBank. La Thaïlande a signalé le premier cas confirmé de 2019-nCoV chez une Chinoise arrivée à Bangkok le 8 janvier. Le 15 janvier, le deuxième décès d’un homme de 69 ans en Chine a été confirmé, tombé malade le 31 décembre.

L’OMS a confirmé qu’une équipe du Centre allemand de recherche sur les infections et des virologues de l’hôpital Charité de Berlin avait développé un nouveau test de laboratoire capable de détecter le 2019-nCoV. Le protocole d’analyse a été publié. Selon le Dr Christian Drosten, directeur de l’institut, «Maintenant que ce test de diagnostic est largement disponible, je m’attends à ce qu’il ne nous faudra pas longtemps pour diagnostiquer de manière fiable les cas suspects. Cela aidera également les scientifiques à comprendre si le virus est capable de se propager d’homme à homme. Il s’agit d’une étape importante dans notre lutte contre ce nouveau virus. »

Le 21 janvier, 291 cas au total avaient été signalés dans les principales villes de Chine. Le MRC Centre for Global Infectious Disease Analysis de l’Imperial College de Londres a suggéré que sa modélisation prévoyait plus de 1.700 cas d’infection. Le gouvernement chinois a commencé à avertir les responsables subalternes de ne plus cacher la propagation du nouveau coronavirus. Il a également été révélé par la suite que le président Xi Jinping était au courant de l’épidémie plus tôt que rapporté. Le même jour, les États-Unis ont signalé leur premier cas dans l’État de Washington.

Le 24 janvier, davantage de pays en dehors de la Chine signalaient des cas importés. Le premier cas confirmé de transmission interhumaine à l’extérieur de la Chine s’est produit au Vietnam. Le Politburo chinois a placé toute la province du Hubei sous quarantaine ville par ville, touchant près de 60 millions de personnes.

Chambre des patients à Huoshenshan, l’un des hôpitaux construits en dix jours

À la mi-mars, Benjamin Mateus du WSWS a eu l’occasion de communiquer, par le biais d’un intermédiaire, avec quatre médecins chinois impliqués depuis le début dans la réponse massive à la pandémie de COVID-19 à Wuhan. Pour assurer l’anonymat de ces personnes, les noms et les lieux ont été modifiés. La correspondance a été révisée et reformatée pour plus de clarté et de concision.

Benjamin Mateus (BM): Bonjour. Je vous remercie tous de partager vos expériences. Elles sont importantes pour que les lecteurs comprennent ce qui s’est passé à Wuhan et apprennent directement de vous comment vous avez travaillé pendant cette période pénible. Mais avant de commencer, pourriez-vous nous dire brièvement ce que vous faites?

Dr X: Je suis anesthésiste dans un centre tertiaire provincial de la province du Hubei.

Dr D: Je travaille au service des urgences. Je travaille dans une autre province dans un centre tertiaire provincial.

Dr Z: Merci. Oui, je suis interne avec une spécialité en médecine respiratoire. Pendant l’épidémie de Wuhan, mon objectif était d’évaluer les patients suspects avec des prélèvements de la gorge à la recherche du coronavirus. Nous avons également organisé leurs scanographies. S’ils étaient positifs ou avaient des résultats concernant la pneumonie, nous les avons admis à l’hôpital. Nous avons appelé cette zone la salle «d’observation».

Dr W: Je suis obstétricien et gynécologue – accouchement et prise en charge des problèmes de santé des femmes. Le Dr Z et moi sommes tous deux de Wuhan.

BM: Dr. D, quand avez-vous été appelé à Wuhan?

Dr D: Mon équipe et moi avons été dépêchées à Wuhan le 24 janvier, lorsque la province du Hubei a été mise en confinement. C’était la veille du nouvel an chinois. Une fois que nous avons reçu les instructions du gouvernement, nous avons immédiatement organisé nos équipes et nos fournitures médicales. J’ai travaillé en équipe avec 138 travailleurs.

BM: Vous vous y êtes rendus comment?

Dr D: On a été transporté par un vol affrété par le gouvernement. Une fois arrivés, nous avons été logés dans un hôtel voisin. Tous les travailleurs médicaux, même ceux de Wuhan, bien que leurs maisons soient justes à côté de l’hôpital, ont dû rester dans les hôtels désignés. La nourriture était abondante et nutritive. Elle a été donnée par les citoyens.

Des médecins intubent un patient

BM: Pourquoi avez-vous été hébergés de cette façon?

Dr Z: Principalement, pour protéger nos familles. On s’est rendu compte qu’il serait impossible d’être avec eux et de les protéger.

BM: Pouvez-vous nous parler de la façon dont les hôpitaux étaient approvisionnés?

Dr D: Le gouvernement était responsable de la coordination de toutes les fournitures nécessaires. Un ministère gouvernemental assurait la coordination à travers les instances régionales qui les distribuaient ensuite aux hôpitaux. Il existe un réseau que nous avons établi pour ces questions.

BM: Dr D, où avez-vous travaillé?

Dr D: Mon équipe a été affectée à un hôpital général traditionnel à Hankou qui a été converti en hôpital d’admission de patients COVID-19 pendant l’épidémie.

[La ville de Wuhan est une agglomération de «trois villes de Wuhan» – Hankou, Wuchang et Hanyang. Elle se situe au nord du confluent des fleuves Han et Yangtze.]

BM: Dr X, pouvez-vous parler du nombre d’agents de santé qui a été mobilisé à Wuhan?

Dr X: Lorsque le confinement est entré en vigueur et que nos ressources ont été mobilisées, je pense que nous avions environ 40.000 agents de santé soutenant nos efforts ici dans la province du Hubei. C’était difficile au début. Les hôpitaux étaient submergés de patients et nous n’avons pas pu suivre. Nous manquions de fournitures, mais nous avons maintenant réussi à doter les hôpitaux en personnel et à disposer du matériel nécessaire.

BM: Et comment s’est déroulé le travail dans les services? Nous avons vu des photos de médecins chinois portant un équipement de protection individuelle complet.

Dr X: Nous avons rapidement appris à développer la procédure pour mettre et enlever notre équipement de protection. [Ils ont expliqué qu’ils portaient un équipement de protection complet – au lieu de seulement des blouses et des filets à cheveux — avec des masques et des boucliers et comprenant quatre paires de gants]. C’était très difficile d’y travailler. Nous avions des quarts de travail. Les médecins effectuaient un quart de travail de six heures tandis que les infirmières effectuaient un quart de travail de quatre heures. Nous passions une heure avant notre quart de travail pour enfiler notre protection et une autre heure après juste pour les retirer. Lorsque nous intubions des patients, nous utilisions des respirateurs.

Dr D: Nous avons peut-être été trop zélés avec le port de lunettes et de vêtements de protection extérieurs alors que peut-être cela n’était pas nécessaire. Nous avons porté trois à quatre couches de gants. Mais il était difficile de dire si c’était nécessaire ou non. Mais nous y sommes allés avec beaucoup de prudence.

BM: Dr Z, j’avais lu que les médecins chinois utilisaient des scanographies pour diagnostiquer les patients atteints de COVID-19. Pourquoi ça?

Dr Z: Nous avons reconnu que les patients présentant des symptômes bénins étaient parfois renvoyés chez eux et qu’ils s’effondraient ensuite. Nous avons appris que la scanographie avait valeur de pronostic. Ainsi, si un patient est testé positif, mais présente des symptômes bénins, il peut rentrer chez lui à moins que sa scanographie ne montre qu’il y a des infiltrats [pneumonie]. Nous hospitalisons ces patients parce que nous avons constaté qu’ils pourraient connaitre une décompensation plus tard.

Dr D: Même maintenant que l’épidémie est passée, nous restons vigilants. Il y a peut-être deux ou trois semaines, nous avons fait venir un homme de 72 ans sans aucune difficulté à respirer ou de la fièvre, juste des étourdissements et de la fatigue. Le patient a été admis au service de neurologie. Quand ils ont fait une tomodensitométrie, le patient avait toutes les caractéristiques de poumons atteints de COVID-19. Dix-sept médecins et infirmières ont été infectés et le service a été fermé. Ainsi, la tomodensitométrie [scanographie] s’est avérée utile lorsque les patients ne présentent pas les signes et symptômes courants.

Personnel soignant portant l’équipement de protection individuelle complet

BM: Comment vos familles gèrent-elles votre absence pendant l’épidémie?

Dr W: Mon mari travaille dans un chantier naval en tant que cadre et nous avons été séparés pour le protéger contre l’infection. Mais il est également impliqué dans la lutte contre COVID-19. Ce ne sont pas seulement les agents de santé. Le pays tout entier est impliqué dans la lutte – il me manque, mais cela nous aide à comprendre que tout le monde est impliqué.

Dr X: Mon fils est à l’université, donc nous savons qu’il est en sécurité. Ma femme est également médecin et nous travaillons dans le même hôpital. Nous sommes hébergés à l’hôtel, mais avons des chambres séparées. La situation est difficile, mais nous savons que la maladie est évitable, contrôlable et traitable si nous restons engagés et vigilants.

Dr Z: Mon mari est médecin et travaille également dans notre hôpital. Nous avons envoyé notre fils chez ses grands-parents avant le verrouillage de Wuhan. Nous savions que la situation serait très grave et nous ne pourrions pas prendre soin de lui.

BM: Quelles ont été les difficultés rencontrées par Wuhan selon vous dans sa lutte contre l’épidémie?

Dr X: Au début de l’épidémie à Wuhan, les autorités locales ont dissimulé le problème. Elles ne l’ont pas signalé au ministère de la Santé ou au gouvernement. Plus tard, il est devenu impossible de le cacher, mais l’infection évoluait rapidement. Le système de santé manquait de personnel et de fournitures.

BM: Est-ce pour cela que le taux de mortalité était tellement plus élevé à Wuhan que dans les autres provinces?

Dr X: Nous étions dans une situation difficile. Il nous manquait les fournitures médicales. Cependant, le gouvernement a pu allouer du matériel médical – combinaisons de protection, gants, masques – même de la nourriture et plus à chaque hôpital. Nous avons même construit deux hôpitaux en deux semaines.

BM: Avez-vous travaillé là-bas? C’était un exploit formidable.

Dr W: Non, nous n’y étions pas.

BM: Les hôpitaux en Europe et aux États-Unis sont submergés de cas. Comment avez-vous fait face à l’afflux des patients infectés?

Dr X: À l’hôpital où je travaillais, ils avaient 3.000 chambres pour patients hospitalisés. Nous avons décidé de mettre les patients avec COVID-19 dans la même chambre, mais de garder les patients suspects isolés dans une seule chambre chacun. De cette façon, nous avons augmenté notre capacité. Mais il faut faire ce qui est nécessaire. Le fait de regrouper les patients COVID-19 ensemble les a également aidés à mieux faire face à la maladie car ils se tenaient compagnie. Les familles n’étaient pas autorisées à faire des visites.

BM: Dr W, avez-vous constaté que les patientes enceintes atteintes de COVID-19 se portent mal ou ont plus de complications?

Dr W: Nous n’avons pas vu de risques particuliers supplémentaires pour la grossesse par rapport aux femmes non enceintes. Nous n’avons pas traité leur grossesse différemment que d’habitude, mais leurs familles n’étaient pas autorisées à être avec elles.

BM: Donc, les femmes enceintes se portaient bien?

Dr W: Oui, pour la plupart. Nous avions un seuil inférieur pour la prise en charge d’une patiente pour une césarienne en raison de la difficulté à respirer pendant le travail.

BM: Et qu’en est-il du nouveau-né?

Dr W: Les nouveau-nés ont été envoyés dans une chambre d’hospitalisation à pression négative, isolés et sont restés en quarantaine pendant deux semaines. Les mères sont restées en quarantaine deux semaines supplémentaires après être devenues asymptomatiques et avoir eu un test d’acide nucléique négatif. Si la mère et le bébé ont été testés tous deux négatifs, le bébé pouvait rester avec sa mère qui pouvait l’allaiter.

BM: Quelle partie du travail avez-vous trouvée la plus difficile?

Dr X: J’ai travaillé à l’USI du centre régional d’admission. Ainsi, tous les patients les plus sévèrement touchés nous arrivaient. Je sais que les patients ont toujours été très reconnaissants de nos efforts et ils savaient que nous faisions de notre mieux. On pouvait voir qu’ils avaient peur. Parfois, on se sentait tellement impuissant et c’était douloureux.

J’ai eu un patient. Il avait la cinquantaine. Il avait perdu ses parents à cause de COVID-19. Bien qu’il ait été intubé, il a toujours levé le pouce. Il a toujours essayé de rester positif. Mais son état ne s’améliorait pas, alors je savais qu’il n’allait pas se rétablir. Trois semaines plus tard, il est décédé d’une insuffisance respiratoire. Je ne sais pas pourquoi sa mort m’a autant affecté. Je me suis senti écrasé. Je suis retourné dans ma chambre d’hôtel isolé. Ma femme était dans la pièce voisine. Nous nous asseyions contre le mur et nous parlions. Je n’oublierai jamais cette nuit.

Dr D: Lorsqu’on se reposait – on ne se sentait jamais vraiment reposé. C’est difficile à expliquer. Ce n’était pas un engourdissement ou une perplexité. Peut-être un sentiment de douleur ou de peur. Dans ma tête, tout ce à quoi je pouvais penser était de savoir comment sauver ces patients – rechercher constamment des références, consulter des lignes directrices, lire des articles, avoir des discussions et des réunions.

Voir un patient sous respirateur et regarder son taux d’oxygène dans le sang diminuer lentement, à ce stade, il n’y a plus rien à faire. Les voir mourir lentement est très douloureux. On se sent tellement impuissant.

Je pense que 129 patients sont décédés dans l’hôpital où je travaillais en février seulement – 38 d’entre eux rien que dans mon service. Au plus fort de l’épidémie, j’ai vu quatre corps gardés dans le service pendant plus de 24 heures, car la morgue était pleine et manquait de personnel. C’était tellement bouleversant que la peur a traversé mon corps de la pointe de mes cheveux jusqu’à mes pieds. J’avais le sentiment que le monde entier était malade – le monde entier est juste malade.

Beaucoup de mes collègues m’ont dit qu’ils n’étaient pas capables de dormir. Beaucoup ont développé de graves angoisses lors de leur arrivée dans le service. Ils tremblaient quand ils devaient nettoyer les déchets médicaux. J’ai essayé de les consoler, de travailler avec eux, de les calmer.

Dr Z: Je me souviens que nous avions perdu un patient et je cherchais le courage d’avertir la famille. J’ai appelé et dès qu’il a répondu au téléphone, il a dit: «C’est mon père?» J’ai dit oui. Puis il a dit: «Merci. Je serai là dans environ une heure. Je dois finir de soigner un patient.» C’est mon collègue. Il m’a dit que sa mère était décédée la veille et ses deux frères la semaine précédente. Il est venu et a signé les papiers et est reparti. Je l’ai appelé et il s’est retourné et a dit «Merci. Au revoir», et est parti.

BM: Pouvez-vous parler du Dr Li Wenliang? Il est décédé de COVID-19 [le 7 février 2020], mais a été réprimandé lorsqu’il a averti ses collègues sur les réseaux sociaux de l’épidémie en décembre. Quelles sont vos pensées?

Dr W: Je le connaissais. J’avais parlé avec lui. Je suis choqué qu’il soit mort. Il était si jeune. Sa femme était enceinte quand il est décédé. Il est difficile d’en parler. Cela aurait pu arriver à n’importe qui. Mais ce sont des questions politiques… Et sa famille ne pouvait pas être avec lui. Ils ont juste mis son corps dans un sac et l’ont livré aux pompes funèbres.

BM: J’ai lu que le Parti communiste chinois (PCC) l’avait exonéré et avait présenté des «excuses solennelles» à sa famille.

Dr W: Il ne s’agit pas de l’exonérer. Parler du PCC – je déteste surtout en parler. Trop de sacrifices inutiles. Trop de pertes de vie inutiles. Quatre médecins sont décédés de COVID dans leur propre hôpital – deux du même service (ophtalmologie). Il y a également quatre médecins qui sont toujours sous respirateur depuis près de deux mois. Personne n’ose les laisser mourir, car le public ne leur pardonnera pas.

BM: Dr D, combien d’agents de santé sont venus à Wuhan et combien ont été infectés?

Dr D: Au moment où mon équipe est arrivée, nous avions environ 40.000 agents de santé dans la province du Hubei. Je pense qu’environ 3.000 personnes ont été infectées, mais surtout pendant la phase initiale de la réponse. Nous n’avions pas encore mis en place de politique stricte de contrôle des infections et nous manquions de fournitures médicales.

BM: Des membres de votre équipe ont-ils été infectés?

Dr X: Nous avons été impliqués presque immédiatement début janvier. Dans mon équipe, quatre ont été infectés, mais un seul a dû être intubé, mais ils ont récupéré.

Dr D: Aucun de nos 138 agents de santé de mon équipe n’a été infecté.

BM: Quelles leçons avez-vous tirées de cette épidémie? Qu’est-ce qui a bien fonctionné et qu’est-ce qui n’a pas fonctionné?

Dr X: Il était important de poser le diagnostic tôt. Nous avons rapidement isolé les patients et mis en place un traitement immédiatement. Mais, plus important encore, la protection des travailleurs de la santé est essentielle. Nous avons environ 200 employés dans notre institut de virus et zéro infection.

Pour la population en général, le port de masques et le lavage des mains étaient essentiels pour réduire les infections. Cela vaut également pour les agents de santé. Mais le port correct de l’équipement de protection est quelque chose que nous avons appris rapidement. Nous avons également constaté que la ventilation des chambres des patients aidait à contrôler les infections.

Dr Z: On a également immédiatement arrêté toutes les rotations cliniques pour les étudiants en médecine. On a demandé à plusieurs reprises aux résidents de porter une attention particulière aux procédures de protection individuelle. On montait les escaliers au lieu d’utiliser l’ascenseur. On limitait notre temps dans des espaces fermés. On avait un ensemble de vêtements, chaussures et chapeau à porter à l’extérieur. On aspergeait tout notre corps avec de l’alcool médical avant de regagner notre chambre, puis on prenait immédiatement une douche. On a coupé nos cheveux très courts.

BM: Y a-t-il eu des traitements que vous avez trouvés inefficaces? Aux États-Unis et en Europe, les gens utilisent la chloroquine parce qu’ils ont entendu dire qu’elle pouvait aider à combattre l’infection.

Dr X: Nous avons utilisé Arbidol (umifenovir — un traitement antiviral pour la grippe utilisé en Russie et en Chine). Cela n’a pas aidé du tout et a causé des dommages au foie. Nous avons également administré du lopinavir (antirétroviral de la classe des inhibiteurs de protéase utilisé contre le VIH), qui a également provoqué des lésions hépatiques et donné des nausées ou des vomissements aux patients. C’était également inutile. Le virazole (également connu sous le nom de ribavirine, utilisé pour traiter les infections du virus respiratoire syncytial) n’a eu aucun effet secondaire évident, mais n’a eu aucun avantage. Les stéroïdes ne semblent pas non plus avoir eu des effets bénéfiques, mais peuvent avoir réduit l’immunité des patients.

BM: Quelle a été votre expérience clinique avec cette infection? L’âge des patients, combien de temps il leur a fallu pour tomber malade, à quel point l’infection était-elle mortelle?

Dr X: Pour les personnes âgées, c’était assez dévastateur. Elles ne s’en sont pas bien sorties, mais nous avons vu tous les âges. D’habitude, une fois qu’une personne est exposée, il fallait quelques jours ou une semaine avant de développer des symptômes. Les patients présentant des symptômes minimes ont été isolés à domicile et des agents de santé les ont régulièrement contrôlés. Après une semaine ou deux, ils se sont rétablis ou se sont présentés à l’hôpital et ont été admis. Environ 80 pour cent des patients nécessitant une intubation sont décédés, généralement au cinquième jour d’hospitalisation. Parfois, ils restaient plus longtemps, mais les chances de guérison s’aggravaient.

BM: Je voulais conclure en vous demandant votre avis sur la réponse mondiale à cette pandémie. Qu’aimeriez-vous dire au reste du monde – en Europe, aux États-Unis, en Afrique et en Amérique latine?

Dr D: Chaque gouvernement doit accorder autant d’attention que possible à cette pandémie. Allouer du matériel, des agents de santé aux zones les plus touchées. Fermez la ville, même le pays tôt. Isolez tôt les personnes à risques.

Dr Z: Je pense qu’il est important que nous travaillions ensemble. Après cette énorme catastrophe et la pénurie de matériel, la Chine a envoyé 300 travailleurs de la santé pour aider l’Italie et apporter des fournitures médicales.

Dr X: Dans les pays sous-développés, leurs gouvernements doivent utiliser leurs ressources de la manière la plus efficace possible. Ils doivent protéger la population en général et si cela signifie fermer les villes ou les pays, ils devraient le faire le plus tôt possible. Ils devraient éduquer la population à se laver les mains et à garder leurs maisons ventilées. Protéger les travailleurs de la santé.

Nous n’avons pas prêté assez attention au début.

BM: Je tiens à vous remercier tous pour votre participation. Je vous remercie pour votre travail. Et faites attention à vous.

Le 18 mars 2020, les autorités chinoises n’ont signalé aucune nouvelle infection, franchissant une étape importante dans une pandémie qui a touché plus de 200 pays et territoires avec plus d’un million de cas et plus de 53.000 décès. La lutte contre la pandémie est menée dans ses nouveaux épicentres en Europe et aux États-Unis. La Chine a contenu son nombre de cas à moins de 82.000, avec plus de 76.000 personnes ayant récupéré et 3.318 décès signalés. Il y a actuellement 1.863 cas actifs.

Le 25 mars, le verrouillage strict dans la province du Hubei a pris fin lorsque la Commission de la santé du Hubei a annoncé qu’elle assouplirait les restrictions de voyage. Cependant, les autorités locales refusent de lever les interdictions de voyager. Malgré la tentative de Pékin de ramener les gens au travail, il existe de grandes inquiétudes et des doutes quant aux assurances données par le gouvernement que l’épidémie a été maîtrisée. Le 28 mars, la police de la ville de Jiujiang a mis en place un blocus pour empêcher les travailleurs migrants de quitter le Hubei. La situation est devenue violente avec des images montrant des policiers de Jiujiang et Huangmei s’affrontant ainsi que des centaines de personnes attaquant la police.

Mardi, la province du Henan, dans le centre de la Chine, juste au nord du Hubei, a mis en confinement le comté de Jia, touchant 600.000 personnes. Toutes les entreprises ont été fermées, à l’exception des services essentiels comme les services publics, les fournisseurs médicaux et la logistique. La raison citée pour ces mesures a été un reportage dans les médias qui faisait état de trois nouvelles infections dimanche. Un médecin nommé Liu a été testé positif samedi ainsi que deux collègues à qui il avait transmis l’infection.

 

Article paru en anglais, WSWS, le 3 avril 2020



Articles Par : Benjamin Mateus

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