Epandage de l’Agent Orange par l’US Army au Viêt Nam et ses conséquences

Ce texte succinct est une mise à jour du contenu de la conférence d’André Bouny pour le lancement du « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York » – qu’il constitue et préside – au Centre d’Accueil de la Presse Etrangère (CAPE) Maison de Radio France, à Paris, le mercredi 9 mars 2005 à 14h.

« La Guerre du Vietnam » (appelée ainsi de façon impropre puisque le Viêt Nam a connu de nombreuses guerres) est, du point de vue de l’armement, la guerre majeure du XXème siècle. Ce conflit entre les Etats-Unis d’Amérique et le Viêt Minh communiste nord-vietnamien, lui-même soutenu par l’Union Soviétique, devient une exportation de la guerre entre les deux superpuissances de la planète : les USA voulant stopper le communisme en Asie tandis que l’URSS l’encourage.

Le Viêt Nam est sacrifié, dans un effroyable carnage humain, en laboratoire de la guerre du futur.

Il y est déversé entre 2 à 4 fois le tonnage de bombes largué durant toute la 2ème Guerre Mondiale, soit l’équivalent de 450 bombes atomiques d’Hiroshima. Le territoire vietnamien porte les stigmates de vingt millions de cratères conséquents, les bombes etant tombées dans les cratères des bombes précédentes et ainsi de suite. Bombes de nouvelle génération à explosion, incendières, à effet de souffle, à dépression, à fragmentation… Prés d’un demi-million de tonnes d’engins n’ont pas encore explosé. Ces reliquats ont déjà tué entre 100 000 et 200 000 personnes, surtout des enfants puisque plus de la moitié de la population a alors moins de quinze ans. A Cu Chi (qui veut dire « terre d’acier » en vietnamien) situé à vingt-huit kilomètres au nord-ouest de Ho Chi Minh Ville – ancienne Saigon – il tombe plus de 10 tonnes de bombes par habitant.

L’Amérique s’enlise.

Les combattants vietnamiens, invisibles et insaisissables, se déplacent sous la forêt tropicale. Les archives de l’armée américaine avouent 8 000 000 de « sorties » en hélicoptères gorgés de napalm pour débusquer l’ennemi dans les villages de paillotes.

Sans résultat.

L’Amérique est pressée.

Sa jeunesse et celle du monde entier commencent à se soulever contre cette guerre. Aux Américains, on a promis la Lune… au Viêt Nam, ils vont la créer !

En 1961, John F. Kennedy occupe la Maison Blanche, il décide l’opération « Ranch Hand », « Ouvrier Agricole », c’est le nom de code militaire de l’épandage de l’Agent Orange au Viêt Nam et sur les parties limitrophes du Laos et du Cambodge. Il est donc décidé de raser la forêt tropicale de la surface de la terre ainsi que d’empoisonner les récoltes pour affamer les populations et les combattants.

Gigantesque génocide à retardement ; titanesque écocide qui fera disparaître à jamais de nombreuses espèces terrestres.

Dix années sont nécessaires pour pulvériser 74 000 000 de litres de défoliants – d’autres chiffres avancent 84 000 000 de litres. Dix pour cent de l’épandage se fait à la main, par véhicule terrestre ou par bateau dans les deltas et les mangroves du littoral, 90% de la pulvérisation se fait par voie aérienne, à l’aide d’avion C 123 et d’hélicoptères.

Les vietnamiens n’ont alors pas d’autre protection que celle qui consiste à imbiber un tissu d’urine et à le poser sur le nez et la bouche.

Parmi ces défoliants, il y a l’Agent Bleu contenant du cyanure, l’Agent Vert, l’Agent Blanc, l’Agent Pourpre, l’Agent Rose puis l’Agent Orange, appelés ainsi à cause des bandes de couleur sur les fûts contenant le poison. L’Agent Orange représente à lui seul plus de 60% du volume des défoliants pulvérisés sur le Viêt Nam.

L’Agent Orange contient la Tétrachlorodibenzo-para-dioxine : la Dioxine TCDD, dite 2,3,7,8. à cause de sa composition moléculaire. Les dioxines sont constituées de 2 noyaux de benzène, 2 molécules d’oxygène et 2 molécules de chlore, de fluor ou de brome(quatre pour la variété la plus toxique).La Dioxine TCDD est le plus puissant poison connu – un million de fois plus toxique que le plus puissant poison naturel – et aussi le plus durable.

Une équivalence n’a rien de scientifique puisqu’elle s’appuit sur une donnée pour faire une projection comparative, cependant, si l’on accepte l’idée émise par les scientifiques que 2,5 Kg de dioxine de même nature que celle de Sévéso peuvent tuer 500 000 personnes, la quantité (connue) déversée sur le Viêt Nam multipliée par le différentiel de toxicité avec la Dioxine TCDD dit que la quantité déversée sur le Viêt Nam est de l’ordre de 94 milliards de fois la dose supposée de Sévéso, soit environ 100 000 milliards de fois la dose mortelle pour un être humain. Si une équivalence n’a rien de scientifique, elle a le mérite de frapper nos esprits pour saisir l’ampleur du désastre. (Une étude de 2002, de l’Université Columbia de New York, révèle que 80 g de dioxine versés dans le service d’eau d’une ville peuvent tuer 8 000 000 de ses habitants)

La Dioxine TCDD se mesure en picogramme, c’est à dire en millionième de millionième de gramme (10 puissance -12 gramme) Cette infinie petitesse lui assure une grande stabilité. Au Viêt Nam, elle est dans le sol, dans les eaux, dans les boues, dans les sédiments et passe ainsi dans la chaîne alimentaire. On la retrouve en grande quantité dans les graisses animales, viandes, lait, oeufs et poissons. Les scientifiques ont crée une unité appelée TEQ – équivalent toxique – de façon à fixer une limite de toxicité pour la consomation des aliments. En France, la dose admise par kilo de poids corporel/jour pour une personne est de 1 à 4 picogrammes. Aux Etats-Unis, la dose admise est plus drastique, elle est de 0,0064 picogramme, c’est à dire 160 fois moins que la norme française. Au Viêt Nam, cette dose peut atteindre 900 picogrammes par Kilo de poids corporel/jour par personne.

Comment la dioxine pénètre dans l’organisme ? Le noyau d’une cellule est protégé par un « périmètre de défense » qui a le rôle d’empêcher les mollécules n’ayant pas la structure requise de pénétrer le noyau et donc d’interférer avec son patrimoine génétique. Mais, au sein du cytoplasme cellulaire(c’est à dire l’ensemble des éléments de la cellule à l’exception du noyau) la dioxine se lie à une molécule naturellement présente dans toutes les cellules, le récepteur aryl-hydrocarbone, et va pouvoir pénétrer les défenses du noyau cellulaire en se « faisant passer » pour une hormone. C’est ce complexe dioxine-récepteur qui va brouiller les messages hormonaux de notre système endocrinien(c’est à dire l’ensemble des glandes endocrines à sécrétion interne rejettant la substance produite, appelée hormone, dans le sang) et va activer certaines régions de l’ADN, zones dites « sensibles aux dioxines » et entraîner ainsi l’effet toxique.

Effets invisibles agravants :les vietnamiens pratiquent le culte des ancêtres de manière fervente. Ils souhaitent une progéniture capable de perpétrer ce culte. Si ce n’est pas le cas, une grande culpabilité s’installe envers les aïeux. On comprend pourquoi des familles qui avaient un, deux, trois enfants atteints de handicaps lourds en ont conçu un quatrième, un cinquième et un sixième et parfois plus. On estime qu’un grand nombre de naissances ne sont pas répertoriées, les enfants sont « cachés ». Il faut comprendre l’épouvantable torture mentale des parents. Sans oublier que lorsque la Dioxine TCDD ne parvient pas à traverser le placenta de la future mère et que l’enfant naît sain, la maman l’empoisonne en l’allaitant car le lait maternel est la seule voie de destockage de la dioxine. De nouveau, pensons à la dévastation psychologique des mères. Ainsi des enfants naissent sans cerveau, avec deux têtes, sans yeux, avec des embryons de membres ou sans membres(phocomèlie), avec les organes externalisés… Même les gens que l’on pense bien portant souffrent souvent de dermatoses(chloracné, maladie de la peau caractérisée par des comédons, des kystes et papules ; hyperkératoses, hyperpigmentation-hirsutisme)Des troubles hépatiques(augmentation des transaminases dans le sang, et du taux de lipides) Troubles cardio-vasculaires. Atteinte de l’appareil urogénital. Troubles neurologiques(perte de la libido, migraines, neuropathies périfériques, atteinte des facultés sensorielles) Troubles psychiatriques(nervosité, insomnie, dépersonnalisation, dépression, suicide)

A Sévéso, en Italie, la dioxine n’est pas aussi toxique que celle déversée au Viêt Nam et, contrairement au Viêt Nam, l’Italie a les moyens de faire des études. Le professeur Bertazzi et son équipe(Université de Milan) déclarent : »Nous commençons à percevoir d’étranges effets à long terme/…/une étude révèle un renversement complet de la répartition des sexes. Alors que dans la population générale on trouve un rapport de 106 mâles pour 100 femelles, à Sévéso elle est de 48 filles pour 26 garçons. Signe d’une profonde mutation des métabolismes hormonaux. » Le sexe masculin a donc presque disparu de moitié.

Aujourd’hui, au Viêt Nam, la troisième génération est là et les gens sains de corps et d’esprit engendrent encore des nouveaux-nés monstrueux avec, parfois, les organes génitaux au milieu du visage. Le « Rapport Stellman » estime à 4 800 000 le nombre de victimes potentielles ou silencieuses sprayées. Ce chiffre ne tient pas compte des victimes empoisonnées ultérieurement par la chaîne alimentaire. Les victimes passées, présentes et à venir se comptent par millions.

L’utilisation de cette arme chimique de destruction massive, tératogène et indélébile, par l’armée américaine demande « réparation ». Lors de la visite de Bill Clinton au Viêt Nam en 1999, la première du genre depuis 1975, les responsables vietnamiens ont évoqué l’incommensurable malheur de l’Agent Orange. Madeleine Albrigth a « cimenté » la conversation en répondant qu’il faut des preuves scientifiques. C’est une façon de laisser le Viêt Nam seul y faire face. Une analyse pour rechercher la dioxine dans le sang coûte entre 3000 et 4000$. Comment le Viêt Nam qui cherche les moyens de son développement peut-il assumer pareil budget ?

La Constitution des Etats-Unis d’Amérique ne permet pas de se retourner contre des actes de guerre perpétrés par l’US Army, même s’ils ne sont pas « autorisés » par la Convention de Genève. Il reste les fabricants des défoliants qui, en connaissance de cause – dès 1965 des laboratoires américains établissent les conséquences de la dioxine sur des rats – et pour leur plus grande fortune, fournissent l’US Army. Parmi les 37 sociétés qui fabriquent le poison, certaines s’appellent Monsanto, Dow Chemical, Uniroyal, Diamond, Thompson, hercules… Le 31 janvier 2004, quatres jours avant que soient échus les 10 ans de levée de l’embargo qui interdiraient de ce fait tout recours selon la loi étasunienne, l’ »Association des victimes de l’agent orange/dioxine Vietnam » et 5 victimes à titre personnel déposent une plainte au Tribunal de Première Instance de la justice fédérale américaine de New York dont le siège se trouve à Brooklyn-Est, Etat de New York. Au mois de septembre 2004, 22 autres victimes viennent s’ajouter à une liste qui risque d’être sans fin… Sous la plume de l’avocat vietnamien Le Duc Tiet, la plainte déposée par Constantine P. Kokkoris, avocat à New York, engage, selon Jack Weinstein magistrat responsable du procès, une grande et complexe procédure. Grande car il y a beaucoup de plaignants, beaucoup d’accusés et beaucoup de faits se déroulant pendant une longue période. Il y aura des implications économiques, financières et sociales. Ce procès sera complexe tant au point de vue juridiction appliquée que de juridiction théorique. Le procès des personnes impliquées dans l’Agent Orange sera une première dans l’histoire de la justice américaine, et un procès dont on n’a pas de précédent légal. Le 9 mars 2005, j’ai lancé le « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York » au Centre d’Accueil de la Presse Etrangère dans la Maison de Radio France, à Paris. Le lendemain, le 10 mars 2005, le magistrat Jack Weinstein(qui a défendu les vétérans US victimes de l’Agent Orange et obtenu « réparation »)rejette la plainte des victimes vietnamiennes. Le 30 septembre 2005 sera déposé le dossiers des plaignants à la Cour d’Appel. Le 16 janvier 2006, remise du dossier de la défense. Fin février, remise du dossier de réponse des plaignants. Premier mars 2006, rejet ou oral. Ca sent la Cour suprême. En ce moment, elle subit une recomposition. Est-ce en vue de… En effet, si les victimes vietnamiennes venaient à gagner au nom de toutes les victimes de l’Agent Orange(victimes du Viêt Nam, du Laos, du Cambodge, vétérans US, de Corée du Sud, de Nouvelle-Zélande, d’Australie, celles qui vivent autour du point de stockage aux Philippines)ainsi que de la décontamination des territoires, la porte serait alors ouverte aux victimes de l’Uranium Appauvri d’Afghanistan, des Balkans, d’Irak…

Ces victimes, nos semblables, supportent des souffrances physiques et psychologiques particulièrement horribles. Les enfants du Viêt Nam sont souriants comme tous les enfants du monde mais, quarante ans après le début de l’épandage de l’Agent Orange, ces enfants du Viêt Nam crèvent la gueule ouverte !

André Bouny, père d’enfants vietnamiens.

P.S. André Bouny est fondateur de D.E.F.I. Viêt Nam. Cette association a envoyé 300 tonnes de matériel médical au Viêt Nam et y parraine 200 enfants. André a écrit et enregistré « Les enfants de l’Apocalypse ». Il est l’auteur d’une « Lettre ouverte à John Kerry » envoyée à la presse internationale des cinq continents. Il préside le « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York ».

Photo : les avions C-123 sprayent l’Agent Orange pour empoisonner les rizières et la population vietnamienne.



Articles Par : André Bouny

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