Est-ce qu’Amnistie Internationale a perdu la tête ? Cinquième partie.

Une analyse médico-légale des rapports d’Amnestie Internationale sur l’opération israélienne Protective Edge à Gaza en 2014

La façon biaisée dont Amnistie traite les preuves est également manifeste dans le rapport Famille sous les décombres, qui étudie les frappes ciblées israéliennes sur des maisons habitées par des civils. Elle conclut que les huit attaques sur lesquelles elle s’est concentrée étaient, à divers titres illégales et constituaient de potentiels crimes de guerre. 1. Cependant, alors qu’elle affirme que «c’est à Israël qu’il revient de fournir des informations quant aux attaques et aux cible désignées» et alors que Israël lui-même «n’a fait aucun commentaire sur qui ou quoi avait été ciblé, ni même reconnu qu’il avait effectué ces attaques», Amnistie se charge étrangement d’aller dégoter des prétextes légitimes aux Israéliens pour chaque assaut meurtrier. De manière répétée et souvent sur la base des arguments les plus ténus, elle suppose qu’Israël a ciblé telle ou telle habitation civile parce qu’un militant du Hamas aurait pu se cacher à l’intérieur (voire le tableau 3 ci-dessous).

TABLEAU 3 AMNISTIE INTERNATIONALE. POURQUOI ISRAËL A CIBLÉ DES MAISONS CIVILES À GAZA

Cas N°1 (18 civils palestiniens tués dans une famille, 11 dans une autre)

Un des voisins a dit qu’il avait entendu par d’autres qu’un groupe d’inconnus déambulaient dans le corridor quelque part en bas, la nuit de l’attaque. Des voisins ont supposé, sans les avoir aperçus, qu’ils auraient pu faire partie d’un groupe armé… On ne sait pas quelle était la cible exacte de cette attaque. Même si un groupe avait pénétré le bâtiment et que les militaires supposaient ou savaient qu’ils faisaient partie d’un groupe armé, le fait d’avoir pris pour cible deux appartements familiaux était inconsidéré et disproportionné.

Cas N°2 (26 civils palestiniens tués dont 25 de la même famille)

Apparemment, la cible des attaques israéliennes était Ahmed Sahmoud, un membre des brigades al-Qassam, la branche armée du Hamas. D’après les sources israéliennes, c’était un officier de haut-rang au sein du commandement Khan Yunis. Les premiers rapports de l’attaque ont raconté qu’il se trouvait à l’intérieur du bâtiment, rendant visite à un membre de la famille Abu Jame. Ce que les membres survivants et les voisins réfutent… Les voisins ont pensé qu’il était possible qu’Ahmed Sahmoud ait pu se trouver sous le balcon de l’appartement de sa mère au rez-de-chaussée lorsque la maison a été attaquée… Si Ahmed Sahmoud était la cible désignée cela constituerait une attaque extrêmement disproportionnée.

Cas N°3 (36 Palestiniens tués, 16 d’une famille, 7 d’une deuxième, 7 d’une troisième, 4 d’une quatrième)

En questionnant de nombreux membres des familles ainsi que leurs voisins, un représentant d’Amnesty International sur le terrain a établi que trois résidents auraient pu faire l’objet d’une attaque. [Suivent quatre longs paragraphes remplis de spéculations peu probantes à leurs sujets]. Même si chacun des trois hommes qui pourraient avoir été des cibles participait directement aux hostilités, leur présence dans la maison n’exonérait pas pour autant les autres habitants de leur immunité, en tant que civils, face à une attaque directe… Les effets d’une attaque […] devraient avoir été […] considérés comme manifestement disproportionnés.

Cas N°4 (14 civils palestiniens tués, 5 venant d’une famille, 4 d’une deuxième)

Deux voisins ont soutenu qu’à la suite de l’attaque, ils ont appris qu’au moins quatre membres des brigades al-Qassem, la branche armée du Hamas, avec parmi eux un commandant de bataillon et un officier de communication, auraient utilisé l’appartement dans le bâtiment, et ce depuis quelque temps déjà avant l’attaque… Amnesty International n’a pu vérifier cette information. Quoi qu’il en soit, même si l’appartement vide dans le bâtiment était utilisé par les brigades al-Qassam, la perte de vies civiles lors de l’attaque était clairement disproportionnée.

Cas N°5 (5 civils palestiniens tués, tous de la même famille).

Des voisins ont déclaré au représentant d’Amnesty International sur le terrain qu’ils croyaient que l’attaque était dirigée contre le foyer de l’homme connu sous le nom de Abu Amra, lequel ne se trouvait pas dans son appartement à ce moment-là… Amnesty International a été incapable de confirmer l’identité de Abu Amra ni si oui ou non il entretenait une quelconque relation avec quelque groupe armé que ce soit. Même si Abu Amra était un combattant, ou qu’il ait participé directement de quelqu’autre façon aux hostilités, cette attaque a été effectuée d’une manière qui enfreignait les lois humanitaires internationales.

Cas N°6 (6 civils palestiniens tués, 5 d’une même famille)

Bien que des membres de la famille l’aient nié, tant Ramadan Kamal al-Bakri que Ibrahim al-Mashharawi (deux des défunts) étaient membres des brigades al-Quds du Jihad Islamique… [Si ces deux hommes] étaient les cibles désignées […] les forces israéliennes auraient dû prendre les précautions nécessaires pour minimiser les risques auprès des civils dans la maison.2

Cas N° 7 (8 civils palestiniens tués, tous de la même famille)

Tous les témoins qui ont fait des déclarations ont affirmé qu’aucun des membres de la famille n’était impliqué avec les groupes armés… [Le frère du chef de famille défunt] a déclaré : «Auparavant, Ra’fat était sorti avec une lampe-torche à la recherche d’une roquette dont il pensait qu’elle avait été lancée à partir des vergers d’oliviers à l’est de notre maison…  Ils ont probablement pensé que c’était Ra’fat qui avait tiré la roquette à partir du verger et qu’il faisait partie de la résistance. » […] Même s’ils croyaient qu’un combattant s’y trouvait, les forces israéliennes auraient dû réaliser que bombarder la maison constituait une attaque disproportionnée.

Cas N°8 (8 civils palestiniens tués, tous de la même famille)

La cible désignée de l’attaque semble avoir été Hayel Abu Dahrouj, un membre des brigades al-Quds du Jihad Islamique, qui était rentré chez lui peu de temps avant l’attaque. «Ses enfants lui manquaient alors il est revenu à la maison», a déclaré son frère Wael au représentant sur le terrain d’Amnesty International. Si Hayel Abu Dahrouj était la cible désignée, il n’est pas compréhensible que les forces israéliennes n’aient pas pris les précautions nécessaires pour minimiser les risques vis-à-vis des civils dans la région.

En mettant de côté le fait que dans la plupart de ces situations, on ne comprend pas bien comment Israël pouvait connaître la présence du militant avant de frapper (la plupart des voisins n’avaient pas l’air au courant) 3 et en mettant de côté le fait que, en fournissant à Israël des motifs pour quelques-unes des atrocités les plus odieuses qu’il ait commises pendant l’Opération Protective Edge, Amnesty a commodément allégé le fardeau des hasbaraisraéliens 4 et en mettant de côté le fait que puisque même les critiques les plus sévères d’Israël admettront la possibilité d’erreurs opérationnelles de temps à autres, la détection par Amnistie d’un militant du Hamas ciblé par Israël dans chacune de ces situations tend lamentablement à les excuser – en mettant tout ça de côté, consciemment ou non, l’effet pratique du rapport d’Amnistie Internationale est de véhiculer l’impression que Israël cherchait d’abord et avant tout à cibler des militants du Hamas lors de ses frappes sur des habitations civiles. En réalité, sur la base d’une sobre estimation de sa valeur pédagogique, mais également dans un état de colère exacerbée, Israël a infligé une forme monstrueuse de punition collective en rasant de façon aveugle ou intentionnelle une quantité ahurissante de maisons de Gaza, ciblant d’abord les foyers de militant du Hamas 5 et puis au fur et à mesure que l’invasion terrestre progressait, se livrant à une frénésie de destructions incontrôlées, jusqu’au dénouement final de l’OPE où ils ont pulvérisé quatre immeubles-clé de Gaza, hauts de plusieurs étages. Dans son rapport intitulé «Rien n’est à l’abri La destruction par Israël de grands immeubles à Gaza», Amnistie, tout en reconnaissant qu’il s’agissait «d’une forme de punition collective», singularise cette action paroxystique d’Israël comme étant l’exception à la règle : «Les attaques revêtent une grande importance car ce sont des exemples de ce qui semble avoir été la destruction et le ciblage délibérés de bâtiments et de propriétés civiles, à grande échelle, effectués sans aucune nécessité militaire.» Mais la vaste majorité des destructions israéliennes pendant l’OPE a consisté en punitions collectives réalisées sur une échelle démentielle, et dépourvues de tout objectif militaires voire de toute nécessité. Le ciblage par Israël des militants du Hamas occupant ou se déployant à partir de ces maison correspondait au mieux à l’équivalent de l’erreur statistique. Est-ce qu’Amnistie croit vraiment qu’un militant du Hamas était caché dans chacune, ou dans la plupart, des dix-huit mille foyers que Israël a détruits à Gaza?

Norman Finkelstein

À suivre…

Première partie

Deuxième partie 

Troisième partie

Quatrième partie

 

Article original : https://www.byline.com/project/13/article/201

Traduit par Bluetonga, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

À suivreEst-ce que Amnesty International a perdu la tête ? [6/6]

  1.  Plus particulièrement, «la perte de vies civiles, blessures sur des civils et dégâts sur des objets civils s’avèrent disproportionnés, c’est à dire, hors de proportion eu égard aux avantages militaires supposés de l’attaque». 
  2.  Nonobstant l’intrépide investigation d’Amnesty, 2014 Conflit de Gaza (publié après le rapport d’Amnesty) désigne Omar Al-Rahim, un officier senior du Jihad islamique palestinien comme cible véritable de cette attaque (pp. 267, 456). 
  3. Également de manière déplacée, Amnesty reproche systématiquement à Israël de ne pas délivrer d’avertissement avant ses attaques. Mais si la cible était un militant du Hamas, cela n’aurait-il pas sabordé l’objectif de le prévenir à l’avance? 
  4.  L’accusation vague, subjective et relative d’une attaque disproportionnée est bien plus facile à réfuter que l’accusation d’une attaque indiscriminée ou intentionnelle sur des civils ou sur leur propriétés. Le rapport 2014 Conflit de Gaza procède à de nombreuses mises en garde quant au principe de proportionnalité, démontrant effectivement la quasi-impossibilité de condamner quelqu’un sur cette base (pp. 49, 317-33, 401-2, 452, 456, annexes, pp. 6-8). En comparaison, lorsque le Hamas tire des obus de mortier sur une zone densément peuplée, Amnesty porte contre lui l’accusation irréfutable de commettre une attaque indiscriminée, tandis que lorsque Israël largue une bombe d’une tonne et déclenche un feu d’artillerie sur une zone densément peuplée, tuant un grand nombre de civils, Amnesty l’accuse de commettre une attaque disproportionnée – une allégation qu’Israël est ensuite invitée à réfuter («c’est à Israël qu’il revient de fournir des informations sur les raisons pour lesquelles il a ciblé…)». Voir Familles sous les décombres, Bâtiment Al-Dali, Maisonnée Al-Louh 
  5.  B’Tselem (Centre d’Information Israélien pour les Droits de l’Homme dans les Territoires Occupés), Drapeau Noir : Les implications légales et morales de la politique de frappe des immeubles d’habitation dans la bande de Gaza, été 2014 (2015), pp. 37.41 


Articles Par : Norman Finkelstein

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