Est-ce que «le principe de la baignoire» vanté par la France est dangereux pour la paix?

Le ministre des Armées français, Sébastien Lecornu, est allé à Kiev pour réaffirmer le soutien de la France à l’Ukraine. Au micro de RTL, il a donné un long entretien sur la position de la diplomatie, mais aussi militaire, de la France envers l’Ukraine et la Russie. L’échographie des déclarations de Sébastien Lecornu montre qu’il ne connaît pas les bases historiques de la diplomatie française, notamment en tentant de mettre Emmanuel Macron dans les pas du général de Gaulle.

Revenu d’une rencontre avec Volodymyr Zelensky et de son homologue ukrainien, Oleksiï Reznikov, le ministre français affirme vouloir la défaite de la Russie, confortant l’enlisement et l’intervention militaire de la France dans le conflit en Ukraine, mais aussi la mauvaise volonté de mener la fin du conflit par la diplomatie: «la Russie ne peut et ne doit gagner».

Implication plus militaire de la France. Au lieu de rester neutre, Sébastien Lecornu, a vanté «la force morale, la volonté de gagner, de garder la tête haute est intacte [de l’Ukraine]» .«Avec mon homologue, ministre de la Défense [Oleksiï Reznikov], on a multiplié les contacts depuis de nombreuses semaines», a-t-il lancé prouvant les liens inédits avec l’Ukraine et son admiration pour ce «grand chef militaire», participant «à la solidité, à la fiabilité de la relation entre Kiev et Paris». «Il y a encore quelque chose de pur et de parfait dans la manière dont il souhaite se défendre vis-à-vis de cette agression», a-t-il martelé, en rappelant «qu’ on approche malheureusement des douze mois et donc de l’année d’anniversaire» de ce conflit en Ukraine».

Sébastien Lecornu tient à préciser que ce voyage à Kiev, «c’est plus que de la symbolique ou de la communication» car «il y a une dimension très concrète». Il n’ a pas hésité à soutenir: «Ma visite avait une implication plus militaire», concernant l’ «aide matérielle, l’échange de points de vue sur la situation stratégique et technique».

Le principe de la baignoire. Suite à sa rencontre avec Volodymyr Zelensky et son homologue ukrainien, Oleksiï Reznikov, Sébastien Lecornu tient à faire savoir que l’objectif est «de bâtir un agenda de soutien militaire de la France à l’Ukraine pour les prochaines semaines et les prochains mois» et qu’il a «des propositions à faire au président de la République». «D’une part et d’autre part, on a créé un fonds de soutien de 200 millions d’euros, on est le seul pays à l’avoir mis en place, qui permet à l’Ukraine à directement s’approvisionner auprès des industries de Défense françaises». A la question sur le besoin en armes des Ukrainiens, comment la France va aider, il répond: «Il y a déjà un énorme enjeu, c’est de maintenir en condition opérationnelle les matériels qui ont déjà été livrés. C’est le principe de la baignoire. Si vous ne gérez pas le siphon, vous n’ arriverez  jamais à la remplir. C’est la maintenance des canons Caesar qui est un enjeu majeur: pièces de rechange; capacité à former des mécaniciens; ne pas avoir d’attrition sur les matériels qui ont déjà été livrés. La deuxième des choses, c’est la formation. L’attrition, c’est douloureux à dire cela concerne aussi les soldats et combattants avec les pertes, les blessés, la rotation d’unités combattantes sur le terrain: C’est vrai en matière de carburant, de munitions».

Mistral, Crotale, Mamba. «Il y a une actualité sur le terrain qui tient beaucoup lieu à la défense sol-air. On a besoin de donner des moyens de légitime défense à l’Ukraine. On n’est pas sur des moyens offensifs, agressifs, mais bien sur des moyens défensifs», souligne-t-il. Il informe sur l’aide militaire de la France: «On l’a fait avec des batteries de missiles Crotale, récemment (système d’arme sol-air à moyenne portée) et depuis plusieurs mois de cela, avec le Mistral (système d’arme sol-air à très courte portée destiné à compléter la couverture sol-air du corps blindé et mécanisé). Il complète: «On a des discussions sur des radars à longue portée, le radar de Thales, le GM200. C’est un des dossiers qu’on a fait aboutir lors de ce déplacement à Kiev». «Pour le missile Mamba, il est trop tôt pour se prononcer. Mamba c’est la couche plus haute, c’est l’équivalent des Patriot US. Le président nous a demandé des schémas du possible mais ce sont des unités dont on a besoin pour protéger le sol et le ciel français. Et, on s’en sert pour des organisations comme les Jeux olympiques. Il est trop tôt pour dire quoi que ce soit sur ce sujet», complète-t-il.

Macron dans les pas de Gaulle? A la question si on n’est pas en train de s’affaiblir en aidant l’Ukraine, Sébastien Lecornu répond: «Non, grâce au général de Gaulle, on doit notre dissuasion nucléaire. Nos intérêts vitaux sont défendus. Toute l’aide que nous apportons à l’Ukraine n’affaiblit pas notre modèle de défense»; «Et, quand on est une puissance nucléaire – cela est une réalité depuis le général de Gaulle – là aussi Emmanuel Macron s’inscrit dans ses pas». Pourtant, le 7 mars 1966, le général de Gaulle a fait part aux Américains de son intention de quitter le commandement intégré de l’Otan. Il a écrit à son homologue américain Lyndon B. Johnson: «La France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entravé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’Otan».

Et, à l’occasion de son séjour en URSS, il a signé les accords franco-soviétiques de coopération en 1966 favorisant un rapprochement avec Moscou.  En armant l’Ukraine, et en oubliant le rôle pacificateur du général de Gaulle, la France actuelle de Sébastien Lecornu met ses forces et son argent au service de l’Otan. Vouloir comparer Emmanuel Macron et le général de Gaulle nous amène sur la déclaration récente d’Henry Kissinger qui voit «un vide de leadership mondial» car «la qualité du leadership mondial décline alors que l’humanité a besoin d’un grand leadership ce qui est devenu plus urgent que jamais».

Sébastien Lecornu martèle que «l’Ukraine est notre alliée, mais que la France sait aussi discuter avec ceux avec lesquels nous ne sommes pas d’accord» car «c’est aussi la vocation de la France». Pourtant, il lance de manière agressive et non diplomatique: «la Russie ne peut et ne doit gagner». Accusant la Russie pour des raisons qui tiennent à l’Etat de droit, à l’ordre international, la Russie est source de désordre», il tambourine qu’«on ne peut pas vouloir la victoire d’un pays qui est fondamentalement source de désordre, oubliant qu’Angela Merkel a expliqué que «les accords de Minsk n’étaient qu’un moyen pour l’Ukraine de se renforcer militairement afin de se préparer à un conflit inévitable» et que la France et l’Allemagne ont violé le droit international et sont une source de désordre. Angela Merkel est devenue un symbole de l’hypocrisie de l’Occident.

Observateur Continental avertissait déjà en novembre 2021 que «l’interprétation du côté français divergeait» sur l’Ukraine concernant les Accords de Minsk. Sergueï Lavrov avait averti sur «le caractère flagrant insensé et infondé de l’approche de la France».

Olivier Renault



Articles Par : Olivier Renault

A propos :

Olivier Renault, journaliste. Il travaillé, entre autres, pour RUE89, Die Junge Freiheit, des sociétés de production à Berlin et Hambourg pour la télévision allemande...

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