Etats-Unis, Israël, Iran : vous avez dit « prolifération » ?

« Y a-t-il plus grand danger pour notre planète que la prolifération nucléaire ? » Celui qui vient de poser cette question fondamentale, et fondamentalement juste, l’a posée à un moment juste. C’est-à-dire au moment où Israël, 40 ans après l’avoir construite, fait savoir qu’il dispose de l’arme nucléaire

Centrale nucléaire de Dimona, Israël
Centrale nucléaire de Dimona en Israël

et, qu’expert en guerre préventive, il fait en même temps savoir qu’il dispose de suffisamment d’uranium enrichi pour attaquer l’Iran avec des armes nucléaires (tactiques bien entendu), l’Iran qui, à la différence d’Israël, a signé le traité de non prolifération (TNP).

Et tout le monde sait que, si l’Iran envisage de réaliser des armes nucléaires, il est encore loin de pouvoir en disposer. Mais surtout, tout le monde sait que plus on le menace et a fortiori plus on l’attaque, plus l’Iran sera encouragé à quitter le traité de non prolifération et à produire l’arme nucléaire au plus vite. Ce traité ayant perdu ses capacités de freinage, la prolifération connaîtrait alors un nouvel et irrésistible élan.

Déjà les Etats-Unis, les vrais pères de la prolifération dont Israël et la France ont été les premiers bénéficiaires stratégiquement choisis – comme d’ailleurs l’Iran du Shah un peu plus tard – viennent de décider d’encourager les pays arabes à se doter à leur tour de la technologie nucléaire avec l’accord tacite d’Israël.

De quoi s’agit-il avec cette nouvelle décision qui déclenche délibérément une prolifération nucléaire généralisée au Moyen-Orient bientôt transformé en poudrière nucléaire ?

Tout le monde le sait : le régime égyptien a été autorisé par Washington à relancer son programme nucléaire dans le but de « contenir » la popularité du président Ahmadinejad en se situant sur son propre terrain, la possession de la technologie nucléaire. En octobre 2006, le sommet du Caire, qui a réuni avec l’Egypte et la Jordanie les six pays du Golfe avec la participation de Condoleezza Rice, a en quelque sorte officialisé le lancement de cette nouvelle étape de la nucléarisation du Moyen-Orient.

L’objectif est triple :
-  1. démontrer que c’est le programme iranien qui provoque la course au nucléaire dans le Moyen-Orient,
-  2. montrer que même les Etats-Unis ne sont pas opposés à la production d’énergie nucléaire par un pays arabo-musulman,
-  3. dédouaner le nucléaire israélien, le banaliser et surtout en parler le moins possible.

Certains opposants en Egypte sont même persuadés qu’il y a eu des discussions avancées entre Etats-Unis et Egypte pour faire accepter par l’Egypte une attaque militaire américano-israélienne contre les installations nucléaires iraniennes. Certes, cette nouvelle étape de la prolifération nécessitera encore des délais avant de devenir opérationnelle. Mais la prolifération est en marche – elle est aussi un marché – et rapproche toujours plus le moment d’une guerre nucléaire qui mènera le Moyen-Orient vers l’abîme.

Pendant ce temps aujourd’hui, les Etats-Unis et Israël se préparent déjà à pratiquer ce qu’ils appellent une attaque préventive dans le cadre d’une stratégie dite de « contre-prolifération ». Officiellement il s’agit de prévenir toute attaque, ou de dissuader tout pays de vouloir développer une capacité nucléaire. En même temps, les Etats-Unis s’arrogent unilatéralement le droit d’établir quels sont les pays que l’on doit empêcher de se doter de cette capacité nucléaire (à partir du moment où Israël est exclu de cette liste).

Tel est le cadre stratégique qui préside aux préparatifs de la guerre israélo-américaine contre l’Iran : le XXIe siècle sera celui de l’emploi des armes de destruction massive, en particulier nucléaires. Et vouloir mener une attaque nucléaire pour prévenir l’éventualité souvent improbable que d’autres pourraient utiliser ces armes ne fait que renforcer la probabilité que les pays menacés ou attaqués accélèrent leur projet de s’en doter dans l’espoir de mieux se défendre, et même de ne pas être attaqués. A ce rythme, la prolifération a de beaux jours devant elle. Mais n’est-ce pas le but recherché ?

Aujourd’hui, après le rapport Baker-Hamilton qui propose une nouvelle approche américaine au Moyen-Orient, Bush ne veut rien entendre. L’approche néo-cons. reste dominante dans son entourage. Face aux échecs afghan et irakien, face à la défaite aux élections, face aux critiques de son propre parti, du big business et de ses propres généraux, Bush lui-même, inspiré par un fondamentalisme religieux qui allie vendetta biblique et mission évangélique, choisit encore l’escalade militaire.

Le dernier voyage de Condoleezza Rice au Moyen-Orient, destiné officiellement à faire redémarrer la négociation israélo-palestinienne à partir de la Feuille de route, avait un tout autre objectif, celui de construire la coalition anti-iranienne avec certains gouvernements arabes, une revue des troupes plutôt qu’une mission de bons offices comme le dit Philippe Gélie dans Le Figaro du 14 janvier dernier. En Israël, les préparatifs vont bon train, que ce soit avec les exercices de la petite flotte de sous-marins Dolphin équipés de missiles de croisière à tête nucléaire, et déjà déployés dans l’océan Indien, accompagnés de chasseurs bombardiers F16 armés de bombes (conventionnelles et nucléaires) à haute pénétration… Pendant ce temps se mène une campagne diplomatique pour isoler au maximum l’Iran qui va jusqu’en Chine et qui passe par Damas. Enfin, une machine de propagande a été lancée pour préparer l’opinion internationale à accepter l’intervention militaire. En France, cela passe par un paquet d’articles ou tribunes de toutes sortes et par une succession d’encadrés publicitaires qui demandent aux États européens de « refuser les violations du droit international et du traité de non prolifération des armes nucléaires signé par l ’Iran ». Tout le monde politique ou presque tombe dans le panneau. Il n’y a plus que Jacques Chirac qui résiste.

Plus que jamais il apparaît indispensable, pour renforcer le système de non-prolifération, de créer de nouveaux organes de contrôle s’imposant à tous en sachant que, pour éviter toute prolifération, la meilleure garantie serait le mise en oeuvre immédiate d’un processus de dénucléarisation de toute la région comme l’ont demandé à plusieurs reprises les conférences de révision du TNP. Sinon c’est la prolifération assurée, et la catastrophe assurée pour tous les pays du Moyen-Orient, et probablement au-delà.

Au fait, devinez qui vient de nous rappeler cette vérité tragique que le plus grand danger pour notre planète est la prolifération nucléaire – vérité qui ne peut, comme le fait le TNP, que s’adresser aux pays disposant déjà de l’arme nucléaire (dont les Etats-Unis et Israël) comme à ceux souhaitant éventuellement en disposer (dont l’Iran). Eh bien, c’est Roger Cukierman, au dernier repas du CRIF.



Articles Par : Bernard Ravenel

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