Evo Morales: «La Bolivie n’a plus de maîtres, mais des partenaires»
Propos recueillis par Benito Perez
INTERVIEW – De passage en Suisse, le président bolivien a fait le bilan d’un an et demi de pouvoir. L’ancien syndicaliste met en avant les indicateurs économiques et une crédibilité internationale nouvelle.
Le secret avait été bien gardé. Jeudi, le président Evo Morales a réalisé un voyage éclair à Zurich pour défendre la cause du football bolivien auprès de Joseph Blatter, le patron valaisan de la FIFA qui s’était mis en tête d’interdire toute compétition internationale au-dessus de 2500 mètres. Un voyage gagnant – contre toute attente – selon un communiqué publié hier par la fédération internationale du sport roi…
Entre ses deux traversées de l’Atlantique, le président bolivien a encore trouvé le temps de s’entretenir avec un expert suisse des biocarburants, de prendre part à un match de foot (perdu 2-1) contre des Boliviens de Zurich, de rencontrer longuement ses compatriotes exilés et de répondre aux questions du Courrier et de L’Evènement syndical! Un entretien en forme de bilan de dix-sept mois de gouvernement populaire, marqués par la reconquête de la dignité nationale et une politique économique et sociale aussi ambitieuse que pragmatique.
Vous dites souvent que vous ne vous étiez jamais préparé à diriger la Bolivie. Quels enseignements tirez-vous après dix-sept mois?
Evo Morales: Nous avons démontré qu’un Indien pouvait gouverner, et même mieux que d’autres! Bien sûr, nous avons fait des erreurs. Je n’avais jamais rêvé d’être président. Les circonstances ont voulu que nous passions de la défense de la feuille de coca à celle des ressources naturelles et à la politique. Personnellement, je m’étais seulement préparé à la lutte syndicale, à faire des blocages de routes, ça, oui, je savais faire! (rire)
En un an et demi, nous avons beaucoup appris. Et le processus de transformations structurelles en démocratie porte ses fruits. Mais il faudra beaucoup plus de temps pour payer la dette accumulée avec le peuple depuis 500 ans.
De quels résultats économiques et sociaux êtes-vous le plus satisfait?
Durant la campagne électorale, nos adversaires assuraient que, si nous parvenions au pouvoir, l’inflation exploserait et notre monnaie serait dévaluée… Rien de ça n’est arrivé. Au contraire, la stabilité macroéconomique est assurée. La croissance est supérieure à 5% et notre monnaie s’est appréciée face au dollar. Quant aux investissements, ils croissent, même si ce n’est pas encore assez.
Mon inquiétude, en janvier dernier, lorsque j’ai rédigé mon rapport devant le Congrès, était que les progrès ne se remarquaient pas assez dans la microéconomie, les petites entreprises, l’économie familiale. Or, j’ai appris dimanche que, selon un journal qui ne nous fait pourtant pas de cadeaux, 12 000 nouvelles microentreprises sont nées. Si l’on compte les initiatives non déclarées, c’est sûrement le double!
Et au niveau social?
Un récent rapport d’une ONG pourtant très critique avec le gouvernement estime que le chômage a reculé de deux points. Je pense que c’est plus! Et après des années de stagnation, le salaire minimal a été augmenté de près de 20%.
Aujourd’hui, presque 5 millions de personnes, soit plus de la moitié des Boliviens, bénéficient d’une attention sanitaire gratuite. La mortalité infantile a reculé. Grâce à la coopération de Cuba, 100 000 personnes ont pu être opérées des yeux!
Sur le plan de l’éducation, nous avons rencontré davantage de difficultés. Pourtant, grâce au bon Juancito Pinto (le gouvernement distribue 30 francs annuels par enfant scolarisé, ndlr), de nombreux enfants sont revenus vers les écoles publiques. L’an dernier, nous n’avons pas connu un seul jour de grève dans les écoles, et seulement deux en 2007. Et encore, le mouvement était extrêmement minoritaire… Pourquoi? Parce qu’avant les enseignants étaient contraints de faire en moyenne un mois de grève pour obtenir une augmentation de salaire de 3,5%. Nous, nous les avons augmentés de 7% puis de 6%.
Quel rôle a joué la réforme des hydrocarbures dans ces avancées?
Central, selon moi. L’an dernier, les investissements publics ont atteint un niveau record. Malgré cela, la Bolivie a fini l’année 2006 avec un bénéfice public, et ce, pour la première fois depuis 1940!! L’explication en est simple. En 2005, l’Etat avait touché moins de 300 millions de dollars de recettes liées à l’exploitation du gaz et du pétrole. Grâce à la révision des contrats des multinationales et à la nationalisation, cette année nous recevrons 1,6 milliard! Et ce chiffre ne comprend même pas la hausse des tarifs que nous venons de signer avec l’Etat brésilien de Cuiabá et celle que nous sommes sur le point d’obtenir de Rio de Janeiro… En dix-sept mois, nous avons réduit notre dette extérieure de 500 dollars par habitant à 200 dollars. Grâce en partie à l’abandon de créances du Japon et de l’Espagne.
La bonne santé de l’Etat est aussi due à l’austérité que nous avons imposée, en baissant les hauts salaires de l’Etat, à commencer par le mien. Il faut aussi signaler la lutte contre la corruption. J’ai dû me séparer de membres du gouvernement et de fonctionnaires contre lesquels des accusations graves avaient été portées. Les Boliviens savent que désormais on ne pardonne plus. Un sondage indique qu’ils sont 82% à penser que la corruption s’est réduite.
Tout cela a permis de faire passer nos réserves internationales de 1,4 milliard de dollars à 3,7 milliards. Je ne vous cache pas que nous avons un vif débat au sein du gouvernement. Certains disent: «Il faut dépenser ces réserves, investir, on ne va pas garder cette cagnotte en attendant que les néolibéraux reviennent au pouvoir!» Mais je ne suis pas d’accord. J’espère que nous dépasserons les 4 milliards cette année. Vous savez, un pays, c’est un peu comme une famille, son influence dépend en bonne partie de sa fortune!
Après le gaz, avez-vous d’autres projets de réforme structurelle?
Nous avons déposé un projet de loi instaurant un impôt sur l’exportation des minerais. Les prix n’arrêtent pas de monter, il faut que le peuple en bénéficie aussi.
N’avez-vous pas peur d’éloigner les investisseurs?
La réforme est faite de façon à ne ponctionner qu’une part des profits. Si les prix internationaux grimpent, nos recettes monteront aussi. Et dans tous les cas, les investissements demeurent intéressants. Aucune des transnationales des hydrocarbures n’est partie, car nos réformes ne sont pas confiscatoires. Leur but est simplement de faire cesser le pillage de nos ressources. Nous n’avons pas assez de capital propre pour nous passer des investisseurs. Mais, aujourd’hui, nous n’avons plus de maîtres, nous avons des partenaires. Désormais, les transnationales doivent tenir leurs promesses d’investissements, sinon nous reverrons leur situation. Elles veulent la sécurité juridique? Qu’elles commencent par remplir leur part de contrat.